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Critique de beatriceferon


Un bilan dans la vie du narrateur, quadragénaire mal dans sa peau. Éloignement progressif d'avec Léa, sa femme, disputes incessantes avec Paul, l'adolescent dans toute son horreur, sur le point d'être renvoyé de l'école. Heureusement, il y a Élise, la petite dernière, si gentille avec son papa, mais pour combien de temps encore ?
Sûrement, tout va s'arranger. Pour son anniversaire de mariage, il a préparé une soirée mémorable. Sauf que, pour être mémorable, elle le sera : c'est ce jour-là que les terroristes ont choisi pour mettre Paris à genoux.
Ce roman, je ne peux pas dire que je l'attendais impatiemment. Il y a d'abord la couverture, peu engageante, qui me confronte au regard buté et arrogant d'un jeune homme maussade. Mais passons. Les bons lecteurs ne s'arrêtent pas à de tels détails. Et, comme on me le prête, ce livre, je vais le lire.
Peu de personnages. Nous sommes plongés dans le huis clos d'une famille. Il y a Léa, la mère, une pharmacienne accaparée par son boulot, d'autant que son officine est au rez-de-chaussée de l'habitation, et que des gens n'hésitent pas à sonner, les nuits de garde, pour réclamer de l'aspirine ou des stimulants sexuels. Paul, seize ans, « affalé sur le divan, le téléphone portable sur les genoux, la télécommande de la télévision dans une main et un paquet de chips dans l'autre » ne parle qu'avec des « mots de moins de six lettres », pour la plupart des insultes. On dirait que son seul but dans la vie est de faire enrager son entourage, « mettre [la] famille à feu et à sang », collectionner les mauvaises notes, rapports de discipline et plaintes du corps enseignant. Quand il daigne adresser la parole à son père, c'est pour lui lancer des « tu commences à me faire chier » ou le traiter de « Boulet ». Ambiance électrique partiellement améliorée par la gentillesse d'Élise, douze ans, qui révise avec papa, mais est, hélas, réfractaire aux matières scientifiques.
Le narrateur n'est jamais nommé. Dépassé par les événements, il consulte une psychologue en secret, mais est bien plus intéressé par son « jean moulant et une chemise blanche à col rond qui laissait deviner de tout petits seins » que par la recherche de solutions à ses problèmes. Chez lui, il fuit et se réfugie aux toilettes où il a entassé des classeurs consacrés aux destinations de rêve qui lui permettent de s'évader, de nier la grisaille de son quotidien. Il me paraît détestable. En dépit de ses quarante ans, il se comporte lui-même comme un adolescent attardé. Il est incapable de nouer un dialogue avec son entourage. Il ne se pose pas de questions sur sa responsabilité dans les problèmes qui empoisonnent sa vie. Et pourquoi le ferait-il, puisqu'il a un coupable tout désigné : l'école, qui ne comprend pas son fils (lui non plus) et ne cherche qu'à le brimer. Rappelons tout de même que Paul a uriné contre la porte de sa classe et a hurlé « Allahou akbar » dans la cour, sans même se demander ce que cela signifiait. Son père imagine de beaux dialogues avec son affreux rejeton, mais, puisqu'il ne les prononce pas à voix haute, ils ne servent à rien.
Son attitude machiste me hérisse. Il est mécontent lorsque la psy ne porte pas les tenues sexy qui l'émoustillent. Il croise la directrice de l'école et la jauge d'un coup d'oeil : elle portait un legging gris qui laissait déborder de larges bourrelets juste au-dessus des genoux. Pourquoi son mari la laissait-il sortir dans une pareille tenue ? »
Il n'accorde visiblement d'importance qu'à l'apparence. Une femme qui ne répond pas aux diktats de la mode est forcément une mocheté et une idiote. Il oublie qu'on ne vit plus à l'époque où les maris pouvaient imposer une tenue vestimentaire à leur épouse. Il ne sait que répondre au proviseur (son fils est accusé de trafic de drogue) et se venge comme un gosse. Il se sent terriblement fier en imaginant Paul comme un héros, mais ne songe pas qu'il aurait dû être à l'école au lieu de se promener en ville et qu'il aurait pu lui-même figurer au nombre des victimes.
L'auteur déteste manifestement l'enseignement et ses représentants. Peut-être a-t-il eu lui-même une scolarité éprouvante. Mais je n'accepte pas qu'il dénigre tous les professeurs sans exception. Oui, sans doute, il y en a qui ne font pas bien leur métier. Tout comme il y a des médecins qui vendent des certificats de complaisance ou des entrepreneurs qui facturent un matériel de qualité et utilisent, en réalité, des produits bas de gamme. Pour ma part, j'en connais beaucoup qui se dévouent corps et âme (moi-même, j'y ai laissé une partie de ma santé). Ils s'attachent à transmettre des connaissance et des techniques propres à former des adultes capables de se débrouiller dans la vie, quelle que soit la situation à laquelle ils devront faire face. Pour Jérôme Colin, ce ne sont que des bourreaux sadiques : « je l'imaginais (…) produire avec une certaine jouissance, un crissement avec la craie sur le tableau noir ». Selon lui, « l'école (…) juge toujours nos enfants sur leur capacité à accepter, tête baissée son système hiérarchique. » En ce qui me concerne, j'ai toujours mis mes élèves en garde contre l'argument d'autorité (c'est celui qui consiste à dire « c'est comme ça parce que », sans expliquer) et je leur ai répété des milliers de fois « vous n'êtes pas des béni-oui-oui ».
Apparemment, aucun professeur « n'avait pensé à émettre ne fût-ce qu'un infime signe d'encouragement. Il fallait casser. Fracasser. Déclasser. »
Quand je songe à tous mes anciens élèves qui me remercient d'avoir décelé chez eux des aptitudes dont ils se croyaient dépourvus, je suis triste de lire des phrases comme celle-là !
C'est pourtant le même homme qui, lorsque Paul lui lance : « qu'est-ce que ça peut te foutre ? C'est ma vie » rétorque « mais c'est nous qui te l'avons donnée ». Ce qui ne me paraît ni constructif, ni encourageant. Mais sans doute les enseignants doivent-ils faire avec les enfants des autres ce que les parents sont incapables de faire eux-mêmes. Notre narrateur, lui, ne trouve rien de mieux que de s'enfermer aux WC pour bouder, ou de détruire le mobilier.
Donc, non, je n'ai pas aimé ce roman. Il m'a révoltée et peinée.
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