AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de juanilin


« Je vois des gens qui sont morts… » Ainsi aurait pu commencer ce roman ; cependant il n'en est rien. Laissez-moi vous présenter : Angel Crawford est une jeune fille de 17 ans, bien sous tout rapport, suante de banalité. Son projet dans la vie : s'inscrire en fac et écrire un roman majeur. Majeur, il a tout pour l'être, et vous l'avez entre les mains. Un triste évènement vient cependant bouleverser sa jeune existence : le décès de son oncle. L'oncle Georges passait pour un gentil allumé fasciné par les sciences occultes et s'est fâché à mort avec son frère (le père d'Angel, donc) pour cause de divergences d'opinions, comme cela arrive malheureusement. « (…) j'ignorais qu'une famille pouvait se déchirer plus facilement qu'une feuille de papier avec plein de petits coeurs dessus. » nous assène Angel (p. 13). Ils ne s'étaient donc plus vus depuis quelques mois, mais maintenaient un contact épistolaire. Contre toute attente, à l'enterrement elle reçoit une part de l'héritage : une étrange paire de lunettes, ainsi qu'une lettre lui expliquant – détails scientifiques à l'appui – son fonctionnement et l'aboutissement des recherches de son oncle. Ces lunettes ont ceci de particulier : elles permettent soi-disant de visualiser une dimension invisible à l'oeil nu : le passage de la vie à la mort…

Entre incrédulité et curiosité dévorante, Angel n'hésite pas longtemps avant de reprendre les investigations de son oncle. Et voici ce qu'elle voit, les fameuses lunettes sur le nez : un homme en complet gris, portable vissé à l'oreille, venu recueillir l'âme du fraîchement défunt afin de l'accompagner pour son dernier voyage ; tel Charon faisant traverser le Styx, sauf que là il ne fait plus payer. Charon a bien évolué, depuis la nuit des temps : il n'est plus le nocher conduisant les âmes des défunts vers leur dernière destination. Aujourd'hui c'est une entreprise de services internationale de 180 000 personnes (c'est en moyenne le nombre de personnes décédant chaque jour à travers le monde) disposant du monopole absolu de l'activité. L'autre côté du miroir, en somme.

Comme Angel le fait judicieusement remarquer : « Je pensais qu'on ne pouvait pas nous voir. Je me trompais. Nous sommes chacun d'un côté du miroir. Chacun persuadé d'être du bon côté. » (p. 43)
Après cette expérience qui ne laisserait personne indemne et avec les indications de son oncle, elle va réussir à se rapprocher d'une famille a priori « normale » : les Cooper. Qui ne semblent pas étrangers à l'affaire...

Angel Crawford (je vous laisse le plaisir de découvrir par vous-même l'explication qu'elle donne au sujet de son prénom, cela vaut son pesant de cacahouètes) est bouillonnante et pleine de vie, mais surtout d'une curiosité insatiable. Comme un digne personnage de Fabrice Colin, elle s'interroge beaucoup sur le sens de la vie, et lequel donner à la sienne. Elle trouvera ses réponses suite à un facteur déclencheur majeur (la mort de son oncle, en l'occurrence), mais se dit que finalement elle aurait mieux fait de ne pas poser la question… Angel doit à sa personnalité de s'accrocher coûte que coûte car, au final, plus elle s'avance dans cette aventure, plus elle le regrette, et moins elle a le choix.

Le texte de ce récit à la première personne est franc et sobre, parfois naïf (après tout, ce que vous lisez est le premier roman d'une gamine de moins de vingt ans), et on peut vraiment dire que Fabrice Colin a le sens de la formule qui fait mouche : « Elle bat des cils. La première fois qu'il m'a parlé d'elle, mon oncle m'a dit qu'elle ressemblait à un renard égaré, avec le monde dans le rôle des phares de voiture. Bien vu. » (Angel, à propos de sa marraine, p. 18)

A propos des personnages, l'auteur les intègre toujours parfaitement à l'époque dans laquelle ils évoluent. A l'instar de ce récit se déroulant de nos jours aux Etats-Unis, par exemple ; les protagonistes ne se privent donc pas d'utiliser leur smartphone, de suivre les modes vestimentaires ou d'aller à leur encontre. Il trouve également toujours le moyen de justifier leur emploi du temps. Après le lycée, Angel veut bien entendu s'inscrire à l'université, mais se trompe dans son dossier d'admission et ne commence qu'au second semestre. Elle se retrouve donc libre de toute contrainte jusqu'à la fin de l'année civile. Ses parents travaillent, par conséquent ne sont pas constamment sur son dos. Et c'est précisément une des forces du style de Fabrice Colin : ses personnages transpirent l'ordinaire par tous les pores. L'histoire ne se passerait pas aux Etats-Unis, chaque personnage pourrait être votre voisin. Ce réalisme ambiant, à tout point de vue, contribue bien évidemment à entraîner le lecteur le plus loin possible, au plus profond de cet univers extraordinaire, tout en lui faisant croire que ce qu'il lit pourrait tout à fait avoir eu lieu la semaine dernière. La cerise sur le gâteau réside dans les titres de chapitres, qu'ils soient en forme de titre de chanson des Beatles ou de citation de Walt Disney.

Fabrice Colin allège le style (j'entends par là qu'il va droit au but, sans circonvolution) pour parler d'un thème aussi sombre et effrayant que fondamental : la mort. Ce roman suscite une formidable réflexion sur le sens de la vie. Voir la Mort de près (dans tout le sens littéral que peut avoir cette expression dans ce roman) donne-t-il plus de poids ou de sens à la vie ? Nous allons tous mourir un jour. le plus tard possible, cela va de soi. Mais après ?? Comment vivre avec cette question qui nous obnubile ? D'un autre côté, Angel a raison : n'importe qui peut disparaître du jour au lendemain – un accident, une météorite, un essai nucléaire manqué… Ces réalités sont là, mais on ne peut y penser tous les jours et rester sain d'esprit. En abordant le thème du passage de la vie à la mort, Fabrice Colin démystifie ce sujet sensible. Comme il le fait écrire dès les premières pages, ce mystère est le seul qui soit commun à chaque personne sur Terre, et pourtant c'est le plus insondable de tous : à côté, celui des pyramides ou des temples des premières civilisations sud-américaines paraissent plus simples à démêler. Mais il ne fait pas sombrer son lecteur dans l'angoisse ou la paranoïa pour autant, loin de là. Il invite simplement à la réflexion.

Tout cela pour dire que ce roman, traitant d'un sujet grave, est comparativement rendu plutôt léger par l'intervention du Fantastique et se lit comme un excellent polar : avec délectation. A recommander pour tous les ados qui s'interrogent sur le sujet, ou qui ont simplement envie de bouquiner une histoire menée tambour battant et riche de rebondissements, à la manière d'un roman d‘espionnage mâtiné d'action.

Une tuerie. Dans tous les sens du terme.
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}