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Critique de DragonLyre


Contrairement à ce qu'ont voulu nous faire croire les scénaristes du film Volte/Face, qu'il soit de six ou de douze ans, on ne sort pas d'un coma en bondissant sur ses deux jambes, prêt à reconquérir le monde. Grâce à la profession exercée par son auteur, Damien Lenseigne en est la preuve. En effet, Richard Colombo nous confronte d'emblée à la terrible réalité. Celle d'un corps trop longtemps déconnecté qui a oublié comment se mouvoir, de cordes vocales qui peinent à vibrer, de la chair meurtrie par les escarres à rester alité pendant des années. Ajoutez à cela les séquelles du mal qui l'a foudroyé et vous comprendrez que rien n'est gagné pour Damien.

Neurochirurgien en passe de devenir le prochain chef de service, celui-ci était promis à un brillant avenir. Marié et père de deux jeunes enfants, habitant une belle maison en région parisienne, stimulé à la fois par un mentor faisant office de figure paternelle et par sa rivalité avec Jeanclin, il avait tout pour être heureux. Il se croyait invincible, pensait avoir toute la vie devant lui… Victime d'un AVC en 2008, il a pourtant tout perdu. Ce détail est assez ironique quand on y réfléchit, il illustre à merveille le dicton qui veut que les cordonniers soient généralement les plus mal chaussés.

En 2020, alors que tous s'étaient plus ou moins résignés, Damien va déjouer les pronostics et s'éveiller dans l'aile de réanimation de l'hôpital qui l'employait. À partir de là, il va devoir engager un véritable bras de fer contre sa condition. La lutte est à la fois physique : il lui faut recouvrer sa voix, sa masse musculaire, sa mobilité, son autonomie, au fil d'intenses séances de kiné et d'orthophonie. Et psychologique : il lui faut faire le deuil de cette décennie envolée, lâcher prise, apprendre à se redéfinir, en sachant que sa mémoire lui fait défaut, qu'il ne pourra sans doute plus jamais pratiquer la chirurgie, que sa femme a peut-être refait sa vie, que ses jumeaux Paul et Clotilde sont désormais des adolescents, et par le biais des circonstances, des étrangers…

Les flashbacks constituent d'ailleurs un des points forts de ce récit tant ils jouent sur la relation que l'on noue avec le protagoniste. Au départ, on ne peut que compatir avec Damien, pour ce calvaire qu'il subit à tant de niveaux. Actualités, politique, avancées technologiques… tout est pour lui à la fois source d'émerveillement et de douleur. Comme un rappel constant qu'aussi important et unique que l'on soit, on est tous quelque part remplaçable. Si une épreuve vous met sur la touche, le monde continuera néanmoins de tourner. Mais au fur et à mesure que des fragments de son passé lui reviennent, comme les pièces d'un puzzle qu'il rassemble par la force de sa volonté, c'est un tout autre Damien qui émerge. Alors, entre ces deux versions de lui-même, laquelle est la plus authentique ? Qui va prendre l'ascendant et façonner les bases de ce qu'il doit rebâtir avec ses proches, collègues et amis ?

Richard Colombo aborde des thèmes puissants, en plus des conséquences d'un tel coma sur l'identité d'un individu. Il évoque la hiérarchie implacable qui règne au sein des services hospitaliers, les rapports de force qui s'y installent, nous parle d'un deuil qui ne peut être fait, de coups bas et de rêves brisés, sans jamais tomber dans le pathos. le personnage de Damien est nuancé, tiraillé entre ces deux chemins qui s'ouvrent à lui. Il remet en question tous ses acquis, ses certitudes, n'hésite pas à s'excuser en prenant le recul nécessaire. Il est très humain en cela, vulnérable et imparfait.

D'autres en revanche sont plus stéréotypés, comme Jeanclin qui reste obnubilé par son rival de toujours – qu'il soit présent de corps et d'esprit ou non. Robert, le patient bourru, passionné par ses chiens et surtout par sa bouteille de pinard (mais on ne peut qu'apprécier la touche d'humour dans chacune de ses interventions). Ou bien encore le collègue de Béatrice qui vogue en second plan, mais paraît un peu lisse, terne, en comparaison. Autre bémol : à mi-parcours, le roman connaît un moment de flottement, Damien ressassant les regards de travers qu'on lui lance tout en enchaînant les séances de rééducation. Quant au dénouement, il peut paraître facile au vu de ses déboires préalables, un peu trop beau pour être vrai.

Le bandeau mentionnant un récit feel-good m'a laissée perplexe. Même si on nous parle de résilience, de reconstruction de soi, de nouveau départ, je n'y ai pas trouvé la touche estivale qu'on est en droit d'espérer d'un « roman de l'été ». Selon moi, Comme les pièces d'un puzzle relève davantage de la littérature contemporaine. Cela reste un détail, bien entendu, mais je tenais tout de même à le mentionner, car ce chevauchement entre deux genres pourrait égarer les lecteurs qui l'aborderaient avec des attentes bien précises.

Cela n'enlève rien à la qualité de la plume de Richard Colombo, qui nous dépeint les péripéties de son héros alité dans un style soigné, fluide, qui expose les faits les plus crus avec sobriété, sans jamais verser dans le catalogage de données médicales. Une belle aventure humaine qui nous prouve qu'il n'est jamais trop tard pour revoir ses priorités et changer de vie.
Lien : https://dragonlyre.wordpress..
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