AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Dwalin


Petit livre intéressant et facile à lire.

Après avoir d'abord justifié sa question-titre, André Comte-Sponville explicite les 4 (5) ordres qui permettent de définir les limites, dans une démarche très pascalienne. Phrase un peu obscure, mais vous allez comprendre. Très clair, vous-dis-je. Je cite ou résume tout du long.



1 : l'ordre techno-scientifique dit ce qui est vrai ou faux, ce qui est possible ou impossible.

2 : l'ordre juridico-politique dit ce qui est légal ou illégal

3 : l'ordre de la morale dit ce qui est bien ou mal (ce qu'on fait par devoir)

4 : l'ordre de l'éthique, par pure distinction sémantique (ce qu'on fait par amour).

5 : l'ordre divin, pour ceux qui se sentent concernés



Chaque chose appartient à un ordre et a les limites qui vont avec.

Exemples :

- La biologie dit si on peut techniquement cloner des êtres humains ou pas, elle ne saurait dire si c'est bien ou mal. Elle est limitée de l'extérieur par l'ordre n°3.

- La loi ne saurait décréter que le Soleil tourne autour de la Terre, elle est limitée de l'extérieur par l'ordre n°1.

- Elle est également limitée par l'ordre n°3 : "on ne vote pas sur le bien et le mal", seulement sur le légal ou l'illégal, par exemple l'avortement est légal, chaque femme a donc le droit de faire le choix moral qu'elle souhaite. Autre exemple : une loi raciste (Vichy, Afrique du Sud, …) ne rend pas la chose morale pour autant.



Lorsque, partie suivante, on enfreint ces limites, on est ridicule au sens de Pascal. Chez Pascal les trois ordres sont : la Chair, l'Esprit (la raison), le Coeur (la charité).

« On ne prouve pas qu'on doit être aimé en exposant d'ordre les causes de l'amour ; cela serait ridicule ». C'est ce que dit aussi le célèbre : « le coeur a ses raisons que la raison ignore ».

le ridicule est donc la confusion des ordres. Si cela a un lien avec le pouvoir, on appelle ça la tyrannie : « désir de domination, universel et hors de son ordre ».

Le tyran est celui, comme dit Pascal, qui « veut avoir par une voie ce que l'on ne peut avoir que par une autre ».

Est ridicule et/ou tyrannique celui qui veut être aimé parce qu'il est fort, ou obéi parce qu'il est savant, ou craint parce qu'il est beau ...



le roi/patron qui veut être aimé (paternalisme) ou cru (je suis le chef donc j'ai raison) est tyrannique (et ridicule, en passant).

Ce qui n'empêche pas évidemment d'aimer son patron ou de le croire, si est respectivement aimable ou savant. Mais ça n'est pas la force qui est aimable ni crédible.



On dira donc la même chose avec les ordres présents (n°1 à 4/5).

La question : « le Capitalisme est-il moral ? » mélange les ordres. Elle est ridicule. le Capitalisme est un système économique, il appartient à l'ordre n°1 (l'économie est une science), il n'est donc ni moral ni immoral, mais amoral. Ce n'est pas la morale qui détermine les prix, c'est l'offre et la demande. Ce n'est pas la vertu qui crée de la valeur, c'est le travail. Ce n'est pas le devoir qui régit l'économie, c'est le marché.

Si l'on veut qu'il y ait de la morale dans le capitalisme, il faut lui imposer de l'extérieur.



Marx a voulu faire cela. Mais c'était utopique car il comptait sur la moralité des individus, qui auraient préféré l'intérêt général à leur intérêt particulier. Comme ce n'était pas le cas, il a fallu leur imposer par la loi puis par la force, d'où la dérive totalitaire que l'on sait.



le génie du capitalisme est d'être conforme à la nature humaine au lieu d'essayer de la changer : « soyez égoïstes, occupez-vous de votre intérêt, et tout ira à peu près correctement dans le plus efficace des mondes économiques réels : le marché ».



Angélisme et barbarie :

La barbarie est la tyrannie d'un ordre inférieur sur un ordre supérieur.

L'angélisme est la tyrannie d'un ordre supérieur sur un ordre inférieur.



Exemples :

Barbarie techno-scientifique : technocratie (tyrannie des experts) ou libéralisme (tyrannie du marché). De Gaulle dénonçait cela en disant : « la politique de la France ne se fait pas à la Corbeille (à la Bourse) ».

Barbarie politique : la morale soumise à la politique : barbarie totalitaire (la fin justifie les moyens, un assassinat peut devenir moral puisqu'il est justifié politiquement. Lénine, Trotski), et barbarie démocratique (règne du "salaud légaliste" si la loi remplace la morale).

Barbarie moralisatrice, ou ordre moral : tyrannie des puritains (soumission de l'amour à la morale)



Angélisme politique : croire qu'on peut vaincre le chômage (qui dépend de données économiques, ordre n°1) en votant une loi (ordre n°2).

Angélisme moral : les Restos du Coeur, les ONG, SOS Racisme, … font du travail formidable, mais elles ne peuvent tenir lieu respectivement de politique de lutte contre la misère, étrangère, ni d'intégration des immigrés. C'est transformer les problèmes politiques en problèmes moraux.

Angélisme médiatique : tyrannie de l'image, on vote pour le gars qui a l'air sympa sans comprendre son programme.

Angélisme éthique : les baba-cool des 70s : « pas besoin de politique, pas besoin de morale, pas besoin de technique, l'amour suffit … »

Angélisme religieux = intégrisme. Prétendre que la religion (ordre n°5) peut dire le bien et le mal (3/4), le légal et l'illégal (2) ou le vrai et le faux (1). On pense bien sûr aux régimes islamistes (si Dieu est souverain, comment le peuple pourrait-il l'être ?), mais n'oublions pas les chrétiens, notamment aux USA, qui veulent par exemple interdire l'enseignement de l'Evolution (ordre n°1) au nom de la Bible (n°5).



L'angélisme n'est pas moins dangereux que la barbarie, il l'est souvent même plus. C'est au nom du Bien qu'on s'autorise le pire.



Responsabilité :

Nous sommes tous toujours dans tous ces ordres à la fois, et rien ne les oblige à nous pousser dans la même direction. On aura donc des dilemmes.

Dans un espace théorique homogène (la physique, par exemple), un problème donné a une solution que toute personne compétente trouvera même si plusieurs méthodes peuvent y parvenir. Lorsque plusieurs ordres sont en jeu, la compétence ne suffit plus, il faut de la responsabilité.

C'est donc le contraire de la tyrannie : c'est assumer tout le pouvoir qui est le sien, dans chacun des quatre (cinq) ordres, sans les confondre, sans les réduire tous à un seul, et choisir au cas par cas, lorsqu'ils entrent en contradiction, auquel de ces ordres vous décidez de vous soumettre en priorité.



La responsabilité est toujours personnelle, on ne peut la déléguer, on ne peut la diluer dans l'équipe qui a pris une décision.

Une entreprise, ça n'a pas d'éthique ni de morale, ça a des clients, des actionnaires, des objectifs, un bilan. Mais c'est justement parce qu'il n'y a pas de morale de l'entreprise qu'il doit y avoir de la morale dans l'entreprise. Les seuls éléments qui peuvent l'apporter sont les hommes et les femmes qui y travaillent ou la dirigent.



On ne peut pas établir de règle générale, comme par exemple : en cas de conflit, je privilégie toujours l'ordre le plus élevé, l'amour, ni au contraire la compétence, l'efficacité (ordre n°1).

On peut hiérarchiser ces ordres (d'où l'ordre de leur définition) de deux manières, de 1 à 5 (hiérarchie ascendante des primautés) ou de 5 à 1 (enchaînement descendant des primats).

En résumé, pour l'individu, on privilégie l'ordre le plus élevé, mais pour le groupe, l'ordre inférieur est plus contraignant.

L'intérêt général et l'intérêt particulier se contredisent généralement.



Dans ce sens, la vie est tragique (non pas malheureuse, mais elle nous soumet à des dilemmes en permanence). « La Pesanteur et la Grâce », pour reprendre le titre de Simone Weil. Plus le groupe est grand, plus il est soumis à la pesanteur.
Commenter  J’apprécie          40







{* *}