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Critique de CeCedille


Le 1er octobre 1630, âgé de 57 ans, le Capitán Alonso de Contreras écrit (ou dicte ?), en onze jours seulement, le "discours de sa vie", qui est son autobiographie. Il y fera quelques ajouts ultérieurs. Pendant 200 pages, se succèdent au galop, les meurtres, les conquêtes, les complots, les expédition marines, les coups de main, les cavalcades, les pillages, les querelles, les procès, bref, les plus folles aventures militaires, amoureuses, politiques, religieuses. Il y a la matière de dix films d'aventure et d'autant de romans, dans ce récit ramassé, sans la moindre fioriture, d'une incroyable modernité. On y entend, comme s'il parlait, le matamore, le marin, le chef de guerre, l'ambitieux, le perfide, le prisonnier, l'amoureux, le bon fils, l'intriguant, le moine, le chevalier, le gouverneur... il est à lui seul une armée de personnages et survit à tout : duels, batailles, combats, empoisonnements. Il ne se montre pas toujours à son avantage, pas plus que Michel Eyquiem, qu'il n'a pas lu (d'ailleurs sait-il lire ?) . Marin, il n'évite pas le récif de Cadix. Pirate, il razzie volontiers La Mahommet (Hammamet) jusqu'au jour où il tombe dans une embuscade où il perd tout, et presque la vie !
C'est un texte invraisemblable, comme le dit son commentateur, Ortega y Gasset, dans une admirable postface. Et le plus incroyable, c'est que tout est vrai, et a pu être vérifié. Les dates, les événements, les personnages rencontrés. Et pas n'importe lesquels : l'un des plus grands écrivains espagnols (Lope de Vega, qui deviendra son ami et écrira en son honneur une comédie, El Rey sin Reino), les rois d'Espagne en personne (Philippe III, Philippe IV). Il fait fuir, le plus célèbre pirate anglais qu'il appelle Guataral (Walter Raleigh).
Le lecteur est plongé dans cette vie soldatesque de l'époque de Cervantes. Mais, à la différence du chevalier à la triste figure, le Capitán Alonso de Contreras n'a pas la tête dans les moulins ou les étoiles. C'est, dit J.M. Pelorson, "une des existences les plus mouvementées, une des figures les plus hautes en couleur, un des styles les plus savoureux du XVIIème siècle". Contreras est "l'aventurier", au sens idéal-typique, celui dont Roger Stéphane fera le portrait, quatre siècles plus tard, mais que Ortegat y Gasset croque en une formule, empruntée à l'un d'entre eux (Bonaparte) : "d'abord je m'engage, puis j'y pense".
Ortegua y Gasset esquisse, derrière ce texte, la naissance de l'État, avec l'obéissance qu'il secrète et exige. Tout un monde de bureaucrates s'active : corregidor, commissaire, fiscal, aleade, alférez...Contreras est l'un d'eux : rétif, emporté, manoeuvrier, mais, au total, discipliné et d'une éclatante bravoure, puisque soldat.
C'est aussi un homme de ressource : à Naples le 16 décembre 1631 il assiste à l'éruption du Vésuve. Il la décrit en quelques phrases, ses différents moments, la natures des projections, la terreur des populations, comme un journaliste. Comme un humanitaire, il court la campagne avec ses soldats pour secourir les victimes, leur faire cuire du pain, organiser les secours. A ses soldats qui voudraient s'enfuir il déclare : "Moi je ne sortirai pas d'ici avant que d'avoir les mollets rôtis", et il poursuit sa tâche.... Ernst Jünger, qui préface le livre, a trouvé son maitre en celui "qui laisse parler le coeur de l'homme de guerre". Matamore, et aussi Saint Vincent de Paul (un contemporain !).
Toutefois le fonctionnaire finit par percer sous le héros. L'avancement l'obsède : il sollicite, tempête, claque la porte, se fait moine mais revient à la charge. Il rêve d'être général ou amiral. En dépit de ses efforts, il restera capitán, sur mer, sur terre, à cheval. Capitán est le titre qui lui va comme un gant. Il sait être procédurier : on admire au passage (p. 146) le déclinatoire de compétence qu'il oppose avec succès à la justice royale en invoquant son statut de religieux de l'Ordre de Malte. C'est qu'il doit son ascension sociale à la force de l'épée. Son itinéraire est celui d'un manant qui se heurte aux privilèges et à la morgue de l'aristocratie. L'injustice le met hors de lui. C'est le ressort de son énergie.
Mais il faut laisser au lecteur le plaisir du récit... A ne pas manquer !

Lien : http://diacritiques.blogspot..
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