Citations sur La Chasse Sauvage, tome 2 : Le Lever des Lunes (21)
Le jeune homme relâcha lentement son souffle. Il était homme et guerrier, serait nommé chef du clan du Loup dans quelques petites heures. Il n’aurait pas dû avoir peur d’une femme. Mais tout le monde dans le clan, son père y compris, baissait la voix et marchait sur la pointe des pieds devant la Diseuse. Et il n’en allait pas autrement pour lui. Les pouvoirs qu’elle avait à sa disposition lui glaçaient la moelle des os.
La tente s’effondra dans une gerbe de flammes, le corps du vieil homme et les offrandes funéraires empilées autour de lui réduits désormais à un amas méconnaissable au cœur du brasier. Lorsque le matin viendrait, il ne resterait plus que des cendres et quelques fragments de métal calciné et de poteries brisées. Bien peu de choses pour un homme qui avait guidé son peuple deux décennies durant et l’avait vu croître et prospérer sous son règne.
Leur lance dressée devant eux, ils resteraient debout à ses côtés jusqu’à l’extinction du feu ou le lever du soleil.
Au crépuscule, Drwyn approcha une torche de la tente de son père, conformément à la tradition. Les flammes léchèrent d’abord avec hésitation le cuir peint, comme si elles goûtaient un étrange nouveau mets, puis trouvèrent l’appétit et s’élancèrent pour le dévorer. En quelques minutes, le bûcher funéraire se retrouva entièrement embrasé, enveloppé de langues de feu qui ondoyaient et claquaient dans le perpétuel vent d’Est. Drwyn jeta ce qui restait de sa torche dans le brasier et s’écarta de sa chaleur torride. D’ici le matin, tout serait fini.
Les ténèbres dans le verre tremblèrent, non plus vides mais foisonnantes, grouillantes d’ombres qui ne cessaient de se rouler et se dérouler avec frénésie, menaçantes comme un ciel d’orage.
— Faites vite, humain. Le Royaume attend.
L’idée grandit, prit forme. Toute chose extraordinaire était précieuse, et toute chose précieuse était un point vulnérable. Un défaut dans la cuirasse. Or ces défauts dans la cuirasse pouvaient être exploités. Comme pour ouvrir une huître, il s’agissait simplement de savoir où insérer le couteau.
— Quelque chose vous amuse.
— Il y a quelque chose d’intrigant chez celui-ci. Il était méfiant. Tout ce qu’il a bien voulu me dire de lui, c’est qu’il avait échappé à quelque imbroglio avec l’Église, et il avait un bandage à la main gauche. À moins que je me trompe, il sait ce qu’il est.
Habillé comme un gueux, mais avec le port et l’attitude d’un homme qui ne baissait les yeux devant personne. Qui qu’il soit, il était à surveiller.
— Une menace, alors.
— Juste une autre pièce du casse-tête, plus probablement. Le Gardien ne se serait pas autant éloigné des Îles simplement pour jouer les nourrices auprès d’un talent mineur ; il y avait une raison à sa présence à Mesarild.
Le germe d’une idée commença à se former dans sa tête. Peut-être le talent était-il justement cette raison… Encore plus intéressant.
Le hasard gouvernait si souvent la vie des gens. Une carte retournée, une pièce qui retombait, et c’était la chute d’un empire. Un sourire se dessina sur les lèvres de Savin. Voilà qui était une image appropriée.
Le vieux faisait d’ordinaire plus attention à ses couleurs, aussi Savin avait écourté sa visite chez le marchand de vin et en avait remonté la piste jusqu’à une maison quelconque voisine de celle de la guilde des tailleurs, puis jusqu’à une auberge dans la vieille ville, et ce qu’il avait trouvé là s’était révélé… intéressant.
Faisant tournoyer une dernière fois ce qui restait du vin tylosien dans sa coupe, il en contempla les profondeurs rubis d’un œil maussade. Alderan avait repris la route. Ce vieil importun mijotait quelque chose, sans aucun doute, mais quoi ? Là était l’énigme, et toute énigme devait être résolue.
— L’apprenti était prévenu.
Peu probable. Il n’était pas dans les habitudes du vieil homme de répondre aux questions avant qu’on les lui pose, et parfois même après non plus. Par ailleurs, il ne pouvait pas avoir deviné que son dernier protégé ferait l’objet de pareil examen aussi rapidement. Qu’est-ce qu’il manigançait ?
— Il n’y avait aucune raison pour qu’il soit préparé à notre rencontre. Celle-ci a été le fruit du pur hasard : je me trouvais à Mesarild et j’ai senti le Gardien user du Chant. J’ai voulu savoir pourquoi.