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Critique de Altervorace


Il est rare qu'une seule critique m'intrigue suffisamment pour qu'elle me pousse à lire un ouvrage… C'est pourtant de cette manière que Pas ce soir a rejoint ma PAL. En effet, c'est l'avis d' ALDAMO21 / Alain qui m'a décidée à plonger dans le roman d'Amélie Cordonnier (le résumé n'aurait pas suffi à lui seul)...

Dans l'avis de mon collègue babelionaute plusieurs éléments m'avaient interpellée dont l'extrait suivant : "Et je suis admiratif, que l'auteure ait pu se mettre remarquablement dans la peau et surtout dans le cerveau d'un homme. Presque intrigué qu'elle ait pu décrire d'aussi vrais sentiments d'homme, avec ses fulgurantes sensations."
Une auteure qui mettait en avant l'époux ? Qui nous montrait à voir – et peut-être comprendre – ses blessures face au manque de désir de sa femme ? J'ai donc mis de côté Pas ce soir, me disant que ce titre serait parfait pour la semaine spéciale culture francophone.

Disons-le tout de suite, ami-lecteur, bien que cela a été une lecture fascinante, une lecture qui mérite beaucoup d'éloges, mon ressenti n'est pas le même que celui d'Alain. Particulièrement sur ce passage de sa critique : "Amélie Cordonnier a tout dit ou presque sur les relations très compliquées parfois conflictuelles du couple. Parce qu'il y a cette différence sur les aspirations, la perception et le sens de la vie de chacune et chacun. Parce qu'il y a toujours eu un énorme décalage entre les désirs sexuels de l'homme et ceux de la femme, surtout lorsque la demande chez le mari est démesurée malgré lui."
Pour moi, la question n'a pas grand chose à voir avec une différence entre le désir masculin et féminin même si le patriarcat a sans doute une responsabilité dans les agissements et émotions du héros de madame Cordonnier. Mais laissons un instant les critiques d'autrui pour se concentrer sur mes propres ressentis.

Nous avons donc cet homme qui n'a pas touché sa femme depuis plus de huit mois. Huit mois, deux semaines et quatre jours, puisqu'il tient les comptes. Il s'agit là du point de vu de cet homme, un monologue intérieur puisque si le récit est effectivement à la troisième personne, le lecteur ne voit les évènements qu'à travers le regard de l'époux. C'est seulement par lui, avec lui, que l'on assiste à sa triste misère de la conjugalité. Avant ma lecture, j'avais peur que tout l'ouvrage ne tourne autour du sexe. Que ce ne soit « que » le récit d'une abstinence subie. Sauf que nan… Pour moi il ne s'agit pas du tout du roman de l'absence de désir mais bien du roman du manque. Manque de mot d'abord car le silence envahit tout. Isa, l'épouse qui fuit le lit conjugal, se tait. Elle se dérobe au désir de son mari sans rien expliquer, dans un silence d'une violence inouïe. Lui se tait tout autant. de sa souffrance il ne dit rien, à part à nous lecteurs, ni à sa femme, ni à ses amis… Même leur fille, partie de la maison, se taira quand elle comprendra que ses parents font désormais chambre à part. le silence est partout. Ce qui tue ce couple, c'est le poids de ces multiples silences plus que le délitement du désir.

Enfin, et c'est là une grande qualité du livre, Amélie Cordonnier parvient à nous montrer que le désir inassouvi de son personnage n'est pas seulement celui de la chair. Si le héros est effectivement « en manque de sexe » - ce dernier prend d'ailleurs tout d'abord toute la place -, c'est l'absence de contact, de tendresse, de peau qui le taraude véritablement. Et sa souffrance est telle qu'il en nie celle de sa femme. Certains, à ce que j'ai pu lire sur le Net, ont vu dans Pas ce soir un récit pour redonner leurs voix aux hommes dans cette période où les combats féministes sont mis en avant. Sauf que l'on peut aussi s'interroger sur le poids du mythe de la virilité... Si le héros ne se confie à personne n'est-ce pas parce que le patriarcat lui a fait croire qu'un homme DOIT baiser ? Que sa virilité tient en grande partie à sa supposée puissance sexuelle ?

Personnellement ma lecture n'a eu que peu de rapport avec les combats féministes et la question de la virilité. Pour moi, il s'agit d'un roman qui parle du poison que peut être le silence. Pas seulement dans les périodes de crises, mais sans cesse... Dans nos relations amoureuses autant que dans nos amitiés... La douleur muette prend de l'ampleur, tant et si bien qu'elle finit par tout absorber. En cela, Pas ce soir est un grand roman. Un roman qui m'a touchée, un roman qui m'a rappelée aussi combien chaque souffrance est individuelle, que l'on soit homme ou femme, hétéro ou non, qu'on ne peut ni la mesurer à l'aulne de nos propres douleurs ni avoir la prétention de la comprendre.

Bref, le roman de madame Cordonnier est une très belle découverte qui non seulement nous interroge sur nos relations à l'autre et à nous-même mais qui offre des pages sublimes sur le désir, l'amour et la solitude.
Lien : http://altervorace.canalblog..
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