Citations sur La fille d'une autre (22)
Ce qui l’avait marqué, c’est le refus d’accepter de se soumettre qu’elle considérait comme ordinaire, dans l’ordre des choses. Elle était de la race de ces indomptés qui se battent seuls dans l’anonymat le plus total, n’en tirant aucune gloire, rendant coup pour coup, même quand le combat est inégal.
Restait le plus extraordinaire, Yvonne Dupré. Cette femme avec qui elle avait travaillé pendant deux ans, cette femme qui lui avait redonné confiance en elle, cette femme dont elle s’était rendu compte trop tard de la place qu’elle tenait dans sa vie. Cette femme était sa mère et toutes deux l’ignoraient.
Les magouilles d’avocat, il les a en horreur, autant que certains juges qui appliquent comme des machines les textes en vigueur. Bien sûr, ils sont là pour ça, mais cette justice-là ne lui convient pas. Alors pour pouvoir continuer à se regarder en face, il compose. Par omission, comme avec les lettres anonymes de la petite bonne qu’il a brûlées, ou à charge quand il creuse avec acharnement pour faire tomber un salaud qui sans lui s’en serait sorti la tête haute.
Elle est là, devant lui, épanouie, c’est une femme maintenant ; pourtant, elle n’a pas beaucoup changé depuis sept ans. Elle a gardé son sourire enfantin, désarmant. Son regard est toujours aussi direct, aussi incisif, il en est troublé.
Elle était de la race de ces indomptés qui se battent seuls dans l’anonymat le plus total, n’en tirant aucune gloire, rendant coup pour coup, même quand le combat est inégal. Il connaissait ça ; lui aussi avait mené des combats perdus d’avance pour la seule satisfaction de pouvoir se regarder dans un miroir sans rougir. Quelque part, il voulait croire qu’ils se ressemblaient.
C’est une femme que le temps embellit de charmes nouveaux et qui conserve dans le regard une soif de vivre toujours renouvelée. C’est peut-être pour ça qu’il garde ses distances. Lui ne croit plus à l’avenir et se contente de se raccrocher à de petits plaisirs éphémères pour ne pas sombrer trop vite. Et puis ils se connaissent trop bien maintenant pour qu’entre eux… à moins qu’un événement ne rallume une flamme qui s’éteint inexorablement… Y croit-il encore ?
La mort de Paulo qui entretenait ce dernier blocage l’indiffère. Ce n’est pas un poids qui vient de s’ajouter à son passé, mais une libération. Aucun remords ne la taraude ; elle se sent libre, légère, elle vient d’atteindre le bout du chemin.
Elle laisse courir sa main sur le papier comme si elle était guidée par une force invisible. Elle cultive l’espoir secret que de cette forme de délire émergera un indice, un signe, qui l’éclairera sur le flou qui subsiste dans sa mémoire.
Elle joue le jeu, cherchant un sens à des phrases qui n’en ont pas, relisant des passages hermétiques, essayant de se remémorer les noms qui reviennent le plus souvent.
Son angoisse grandit sans qu’elle puisse définir si elle est provoquée par l’évocation de certaines scènes ou par son incapacité à leur trouver un sens.
Elle passe de la détresse à l’euphorie, de l’excitation à l’abattement. Il lui arrive de regretter d’être sortie de l’univers cotonneux où elle vivait à l’abri des vagues de la réalité.