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Critique de 5Arabella


La pièce de Corneille est créée en 1670 par la troupe de Molière, publiée en 1671. Une semaine avant sa création, Racine avait donné sa Bérénice à l'Hôtel de Bourgogne. Il ne s'agit sans doute pas d'un hasard, la rivalité entre les deux auteurs était alors fort exacerbée. Les spécialistes ne sont pas forcément d'accord sur ce qui s'est vraiment passé ; la version que me sembla la plus vraisemblable est que Corneille s'était lancée dans son sujet avant Racine, et que les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne ont passé commande d'une pièce sur le même sujet à son rival. Cela faisait une excellent publicité. La pièce de Corneille n'a pas eu réellement de succès, au contraire de celle de Racine, et pour son époque cela signe l'ascendant pris par le plus jeune auteur sur son illustre aîné. Qui ne donnera plus que deux pièces. L'échec lors des premières représentations fut irrémédiable, la pièce ne s'en est jamais relevée.

En fait, la pièce (appelée tragédie héroïque) est très différente de celle de Racine, il faut en quelque sorte oublier l'une pour apprécier l'autre. Déjà, et c'est important, Corneille ne part pas de mêmes données historiques. Plusieurs sources évoquent Titus et Bérénice, et leur histoire d'amour. Titus est un personnage plutôt trouble, élevé à la cour de Claude et Néron, il passa pour cruel et dépravé, ne reculant devant rien pour se procurer de l'argent. Des parallèles avec Néron ont été établis. Mais arrivé au pouvoir, il semble maîtriser ses mauvais penchants. Mais il n'aura été empereur que deux ans. Bérénice, qui a une dizaine d'années en plus, a eu deux maris, des enfants, des accusations « d'impudicité » et d'inceste (avec son frère). Elle a été l'alliée des Romains qui ont pris Jérusalem, dont Titus, et qui ont traité la ville et la population avec une grande cruauté. Rien des amants idéaux dont la légende va se construire petit à petit. Suétone est le premier auteur qui gomme un certain nombre de faits, en particulier une première séparation forcée entre les deux amants, imposée par le Sénat, et le père de Titus, Vespasien. Bérénice revient à Rome lorsque Titus en devient le maître, mais ce dernier reste « continent », et Bérénice doit repartir à nouveau. Corneille retient tous ces éléments, ainsi qu'un mariage projeté entre Domitie et Titus, de même que la passion de Domitian, le frère de Titus pour Domitie. Ces faits sont mentionnés par des historiens. C'est très différent de l'épure racinienne, où les personnages sont presque des abstractions, sans rien autour, livrés à leur passion qui est leur seule réalité. Les personnages cornéliens évoluent dans un monde complexe, avec des enjeux contradictoires.

A Rome, le mariage de Titus et de Domitie doit avoir lieu dans quatre jours. Domitie aime Domitian, le frère de Titus, mais pour devenir impératrice, elle n'hésite aucunement à épouser Titus. Elle repousse les sollicitations de l'homme qu'elle aime que ce mariage désespère. Elle s'inquiète du manque d'empressement de Titus pour la mariage prochain, sachant l'amour qui l'a attaché à Bérénice. Domitian évoque ses sentiments à Titus qui laisse le choix à Domitie. L'arrivée de Bérénice à Rome semble changer la donne. Domitian propose à Bérénice de l'épouser pour contrarier les deux fiancés et faire revenir Titus à elle, ce qu'elle dédaigne. Domitie complote pour éloigner Bérénice, et si elle est dédaigné à détrôner Titus. Titus résiste à Bérénice dans un premier temps, Bérénice ne prétend pas l'épouser, mais faire qu'il n'épouse pas Domitie, mais une autre femme, dont elle serait sûre qu'elle ne serait pas une vraie rivale. le Sénat consent au mariage en accordant à Bérénice la citoyenneté romaine, mais elle refuse ce mariage qui ferrait courir des risques importants à Titus. Ce dernier se résout à n'épouser personne et laisser son frère devenir le mari de Domitie et son successeur à l'empire.

Corneille brosse à merveille un contexte complexe, avec la succession d'empereurs, des complots de cour, des assassinats. Un monde trouble et dangereux. Dans lequel se débattent des personnages déchirés entre leurs amours, mais aussi leur aspiration au pouvoir, à la domination, à ce qu'ils pensent se devoir à eux-mêmes et à ceux dont ils ont la charge. Il y a quatre protagonistes presque à égalité, Domitie particulièrement, a une présence et un relief fort. Les femmes, comme souvent chez Corneille sont très saillantes, elles semblent savoir mieux ce qu'elles veulent, ou ce qu'elle doivent faire. A sortir la tête haute d'une situation bloquée, dans laquelle le bonheur personnel n'est pas possible, et leur renoncement prend une allure de victoire. Même si elle est cruelle, et les déchire.
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