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Critique de Kirzy


10 février 1934. Cela commence, classiquement pour un polar, par une scène de crime : le corps d'une jeune femme est repêchée dans la Seine à hauteur du pont National, vraisemblablement une ouvrière étant donné ses mains abîmées. Malgré le manque d'éléments tangibles, le commissaire Bornec ne croit pas au suicide ou à une noyade accidentelle. Son instinct lui souffle qu'il s'agit d'un crime. Personne ne réclame le corps de l'inconnue malgré les appels lancés dans la presse.

L'enquête en elle-même est relativement simple, Alexandre Courban ne cherche pas complexifier son intrigue policière par moults rebondissements ou fausses pistes. C'est un peu léger pour un vrai amateur de polar, tout comme la caractérisation des deux personnages principaux ( le commissaire Bornec et le journaliste de l'Humanité Gabriel Funel ) aurait sans doute mérité plus de densité. Et pourtant, je n'ai pas été frustrée par ces petits manques tant la reconstitution du Paris des années 1930 est formidable et sert le récit en lui conférant une profondeur passionnante.

Derrière chaque page, on devine l'énorme travail de recherche de l'auteur, mais on ne le sent jamais peser lourdement en mode démonstratif. le récit est au contraire d'une grande fluidité. On découvre ainsi une capitale bouillonnante juste avant l'arrivée au pouvoir du Front populaire. Lorsque le cadavre est découvert, on est quatre jours après la crise du 6 février 1934 et sa manifestation antiparlementaire organisée par les ligues d'extrême-droite qui dégénère en émeutes violentes devant la Chambre des députés. Les partis de gauche l'interprètent comme une preuve de la menace fasciste.

Les pages décrivant la fièvre du Paris populaire sont incroyablement vivantes. Immersion totale garantie, on a par exemple l'impression d'être dans les manifestations ouvrières qui réclament l'unité de la gauche que refusent pour l'instant les instances dirigeantes du PCF et de la SFIO de Blum, préfiguration du Front populaire à venir.

J'ai appris énormément sur un Paris ouvrier disparu depuis longtemps côté Est, autour du 12ème et 13ème arrondissement : sur le rude sort des ouvrières de l'usine sucrière de la Jamaïque, enfileuses, scieuses, rangeuses, casseuses, lingoteuses ; sur la Zone ( plus grand bidonville de France jusqu'à sa démolition en 1956 pour construire le boulevard périphérique, surpeuplé d'ouvriers peu qualifiés, d'étrangers italiens, espagnols ou nord-africains ) ou encore la Cité Jeanne d'Arc, ghetto insalubre à côté de la raffinerie sucrière.

Sans asséner de leçons, le récit avance et compose nettement une France des invisibles au premier rang desquels les femmes sont les principales victimes. L'épilogue sous forme d'article de l'Humanité apporte dignité à la morte du pont National, et c'est avec beaucoup d'émotion et de compassion qu'on découvre son identité et son triste parcours de vie.

Un premier roman réussi, premier volume annoncé d'une série policière historique dans le Paris des années Front populaire. J'attends la suite !



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