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10 février 1934. Cela commence, classiquement pour un polar, par une scène de crime : le corps d'une jeune femme est repêchée dans la Seine à hauteur du pont National, vraisemblablement une ouvrière étant donné ses mains abîmées. Malgré le manque d'éléments tangibles, le commissaire Bornec ne croit pas au suicide ou à une noyade accidentelle. Son instinct lui souffle qu'il s'agit d'un crime. Personne ne réclame le corps de l'inconnue malgré les appels lancés dans la presse.

L'enquête en elle-même est relativement simple, Alexandre Courban ne cherche pas complexifier son intrigue policière par moults rebondissements ou fausses pistes. C'est un peu léger pour un vrai amateur de polar, tout comme la caractérisation des deux personnages principaux ( le commissaire Bornec et le journaliste de l'Humanité Gabriel Funel ) aurait sans doute mérité plus de densité. Et pourtant, je n'ai pas été frustrée par ces petits manques tant la reconstitution du Paris des années 1930 est formidable et sert le récit en lui conférant une profondeur passionnante.

Derrière chaque page, on devine l'énorme travail de recherche de l'auteur, mais on ne le sent jamais peser lourdement en mode démonstratif. le récit est au contraire d'une grande fluidité. On découvre ainsi une capitale bouillonnante juste avant l'arrivée au pouvoir du Front populaire. Lorsque le cadavre est découvert, on est quatre jours après la crise du 6 février 1934 et sa manifestation antiparlementaire organisée par les ligues d'extrême-droite qui dégénère en émeutes violentes devant la Chambre des députés. Les partis de gauche l'interprètent comme une preuve de la menace fasciste.

Les pages décrivant la fièvre du Paris populaire sont incroyablement vivantes. Immersion totale garantie, on a par exemple l'impression d'être dans les manifestations ouvrières qui réclament l'unité de la gauche que refusent pour l'instant les instances dirigeantes du PCF et de la SFIO de Blum, préfiguration du Front populaire à venir.

J'ai appris énormément sur un Paris ouvrier disparu depuis longtemps côté Est, autour du 12ème et 13ème arrondissement : sur le rude sort des ouvrières de l'usine sucrière de la Jamaïque, enfileuses, scieuses, rangeuses, casseuses, lingoteuses ; sur la Zone ( plus grand bidonville de France jusqu'à sa démolition en 1956 pour construire le boulevard périphérique, surpeuplé d'ouvriers peu qualifiés, d'étrangers italiens, espagnols ou nord-africains ) ou encore la Cité Jeanne d'Arc, ghetto insalubre à côté de la raffinerie sucrière.

Sans asséner de leçons, le récit avance et compose nettement une France des invisibles au premier rang desquels les femmes sont les principales victimes. L'épilogue sous forme d'article de l'Humanité apporte dignité à la morte du pont National, et c'est avec beaucoup d'émotion et de compassion qu'on découvre son identité et son triste parcours de vie.

Un premier roman réussi, premier volume annoncé d'une série policière historique dans le Paris des années Front populaire. J'attends la suite !



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Belle idée de l'auteur, Alexandre Courban, que cette série policière et historique à Paris pendant les années 30.
Période peu souvent exploitée, qu'explore ce premier volet « Passage de l'avenir, 1934 ».
Nous sommes le samedi 10 février 1934, quelques semaines après l'Affaire Stavisky, ce scandale qui a enflammé le pays.
Une affaire de faux bons au porteur qui porte sur 261 millions de francs de l'époque, l'escroc Stavisky est en lien étroit avec des personnalités et cette affaire symbolise la crise d'un régime instable basé sur la corruption. le crack boursier de 1929, n'est pas loin, la misère économique gronde et favorise la montée des extrémismes.
Donc ce 10 février, le « Bouddha », une péniche, remonte la Seine et non loin du Pont National le fils du marinier aperçoit un paquet qui flotte sur l'eau. En fait de paquet, il s'agit du corps d'une jeune femme.
Le commissaire Bornec est dépêché sur les lieux, il note une blessure à l'arrière de la tête et le bout des doigts abimés de la victime. Pourtant la hiérarchie et le médecin légiste veulent classer l'affaire en accident ou suicide. le policier ne veut pas s'y résoudre, pour lui, l'infortunée est une ouvrière du quartier. D'ailleurs, non loin siège la raffinerie la Jamaïque. Cette sucrerie qui emploie beaucoup de femmes et d'étrangers dans des conditions inhumaines. Une visite s'impose et notre enquêteur ne tardera pas à découvrir de drôles de pratiques.
Parallèlement nous suivons, Ernest Vince, administrateur de la raffinerie qui vit dans l'opulence et collectionne de façon maladive, dans un local secret, des tableaux de nus de femmes.
Aussi, Sainton, le chauffeur de l'usine, ancien briscard nostalgique de la Grande Guerre, qui pointe aux Croix de feu, ligue fascisante d'extrême droite, en accointance avec un contremaître le Grand Jules qui a la main leste envers les employées.
Notre commissaire trouvera l'appui, même s'ils ne sont pas du même bord, de Gabriel Funel qui relayent les informations dans le journal l'Humanité auquel il collabore. Les masques tomberont et éclabousseront cette société libérale, capitaliste, pourrie.
Brillante cette description des petites gens, de cette « masse laborieuse » comme l'appellera quelques décennies plus tard Georges Marchais. Constat sans fard et politiquement orienté (étudiant en histoire, Alexandre Courban a fait sa thèse sur le journal l'Humanité de 1904 à 1939) d'une société en déliquescence. En fin de volume on retrouve un repère chronologique, une liste explicative des différents personnages marquants ainsi que des différents journaux de l'époque.
On a qu'une seule hâte, c'est de découvrir la seconde enquête.
Parution de ce premier tome le 25 janvier.
Merci aux Editions Agullo de m'avoir donné la primeur de cette découverte.
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Belle découverte que ce premier roman qu'on peut classer dans le polar historique. Nous sommes en février 1934 avec comme toile de fond les émeutes anti parlementaires. Cette toile historique est complétée par une l'histoire d'un corps d'une jeune ouvrière repêchée dans la Seine. L'inspecteur Bornec et le journaliste à "L'Humanité" Gabriel Funel enquêtent chacun de leur côté sur ces événements. Premier roman agréable à lire ; j'ai la chance de rencontrer l'auteur dans ma librairie le 20/02
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Pour bien rentrer dans l'histoire, j'ai effectué quelques recherches sur l'époque et les lieux choisis par l'auteur comme cadre de son premier roman. En 1934 le Front populaire n'est pas encore élu mais l'union est en marche et tout particulièrement lors des manifestations dans le sud-est du 13ème arrondissement de Paris dont l'Histoire se confond avec la ville d'Ivry. La plus grande pauvreté règne dans la Cité Jeanne d'Arc et ses immeubles insalubres où des familles vivent dans le plus grand dénuement. le secteur est un bastion communiste. Sur une vieille carte j'ai situé le passage de l'Avenir, non loin d'une immense sucrerie, la raffinerie de la Jamaïque ou raffinerie Say. Dans l'Histoire de cette raffinerie, il y a un directeur dont le prénom est Ernest. le vrai Ernest a été en poste jusqu'en 1905 et son destin est identique à celui du directeur de 1934 imaginé par Alexandre Courban. J'adore lorsque l'Histoire sociale et humaine est le fil conducteur d'un récit. Avec Passage de l'Avenir, 1934 j'ai été comblé. L'Histoire permet de sublimer le polar et le roman noir.

Février 1934, le corps d'une jeune femme est repêché de la Seine. La thèse de la mort accidentelle ne convainc pas le taciturne commissaire Roger Bornec mais pour progresser dans son enquête il lui faudrait identifier la victime ce qui s'avère quasi impossible, le quartier Jeanne d'Arc accueille une population anonyme venue de France et d'Europe, main d'oeuvre exploitée dans les usines du secteur. Bornec a fait passer des articles dans les journaux mais la victime reste inconnue. Un avis de recherche a été publié dans l'Humanité où travaille Gabriel Funel, depuis dix ans journaliste, il est le responsable de la rubrique social du quotidien communiste.

L'enquête sur la noyée de la Seine est dans une impasse. Pendant ce temps les manifestations se multiplient. Les revendications sont multiples que ce soit dans le domaine social ou pour combattre le fascisme attisé par la situation en Allemagne. Gabriel Funel est en première ligne, en temps que militant et comme journaliste. Bornec mène la police lors de perquisitions et procède à des arrestations. le peuple est dans la rue et chante La Jeune Garde. Cette situation caractérisée par une violence d'Etat implacable entre février et juin 1934 est très bien mise en valeur par l'auteur.

Bornec est un flic opiniâtre qui n'abandonne pas ses investigations sur la noyée de la Seine. Deux clochards ont vu des choses. Un accident du travail survenu parmi le personnel va l'amener à s'intéresser à la raffinerie de la Jamaïque. le journaliste Funel a mis le doigt sur une affaire de spéculation et d'enrichissement personnel, un scandale va agiter la raffinerie de la Jamaïque. Les enquêtes de Bornec et Funel se rejoignent. Entre temps le lecteur a croisé un sinistre militant des Croix-de-Feu et la jeune et belle militante Camille que l'on espère revoir dans une suite.

Ce roman est d'une richesse exceptionnelle. Histoire et polar y font bon ménage. C'est aussi un retour sur les luttes sociales annonçant le Front populaire, à ma connaissance une période peu explorée par le roman noir. C'est aussi un hommage à la presse écrite de l'époque, l'Huma en tête mais d'autres titres sont évoqués pour traduire la diversité des opinions. C'est un roman érudit, très bien écrit avec des dialogues teintés de mots d'argot bien choisis. Des personnages fictifs attachants côtoient des personnages historiques pour faire vrai. Ernest le directeur de la raffinerie de la Jamaïque personnalise à lui seul la face noire d'une société capitaliste qui aujourd'hui n'a pas complètement changé.

Alexandre COURBANPassage de l'Avenir, 1934 . Parution le 25 janvier 2024, Édition Agullo, collection Agullo Noir. ISBN 978-2-38246-105-1 .
Lien : http://mille-et-une-feuilles..
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Premier roman, et roman noir historique qui nous plonge dans les années 30, plus précisément, comme le titre l'indique, en 1934, entre le 10 février (jour où l'on repêche le corps d'une femme non identifiée dans la Seine) et le 7 juin de la même année (lorsque Gabriel Funel rédige un article de l'Humanité où il est journaliste, dévoilant le point final de l'enquête). Entre temps, on suivra le jeune journaliste dans ses investigations sociétales, auprès de la classe ouvrière (les hommes, ceux venant des campagnes et s'abrutissant sur des machines six jours sur sept, les immigrés, les enfants, mais encore et peut-être surtout les femmes, ouvrières corvéables à merci) dont il se fait l'écho dans ses papiers. On suivra aussi le commissaire Bornec, de l'autre côté du manche si l'on veut, à savoir celui de l'Etat français, mais qui malgré tout va chercher à faire la lumière sur cette morte inconnue trouvée aux abords du fleuve, aux mains abîmées par les cadences infernales à l'usine, et qui, selon lui, a été victime d'un meurtre, et certainement pas d'un suicide ou d'un accident, thèse que sa hiérarchie aimerait bien qu'il valide pour classer le dossier. L'enquête de police comme les recoupements du journaliste vont mener vers la Jamaïque, une sucrerie où la main d'oeuvre est exploitée à outrance, en particulier les ouvrières sur lesquelles certains contremaîtres n'hésitent pas à imposer un droit de cuissage... Une usine dirigée par Ernest Vince, qui fait partie des cercles du pouvoir et collectionne en secret des tableaux de femmes nues, son péché mignon qui lui coûte une fortune... Nous sommes quelques temps après le scandale Stavisky, et l'on sent bien que cette société ultra-libérale est en train de vaciller tant le gouffre est grand entre la base, le peuple des usines et des bas-fonds, et ceux qui dirigent une République minée par l'extrême droite et les groupuscules comme les Croix-de-feu, anciens combattants de 14-18 aux vues nationalistes. L'affaire de la morte retrouvée sera bien sûr élucidée, mais l'enquête, tant sous les mots du journaliste que dans les réflexions du policier (pourtant chacun d'un bord politique différent) est surtout un prétexte pour peindre la France de cette époque qui à la fois précède l'avènement du Front populaire et contient en son sein capitaliste les ferments politiques obscurs qui joueront contre elle après la défaite de 1940. Premier roman, certes, mais présenté comme le début d'une série qui devrait nous mener jusqu'à la veille de la guerre, et on a hâte de suivre les prochains opus et les aventures de Funel et Bornec.
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Février 1934, le corps d'une jeune femme, probablement une ouvrière au regard de ses main abîmées, est retrouvé dans la Seine. le médecin légiste conclut à une accident, mais le commissaire Bornec n'est pas de cet avis et décide de mener l'enquête.
En parallèle, nous suivons Gabriel, journaliste à L'Humanité, dont les recherches actuelles portent sur le monde ouvrier, leur condition de travail, l'embauche des étrangers et le sort des femmes dans cette France capitaliste et ultra-libérale, où le profit est la seule chose qui compte et l'exploitation de la main d'oeuvre de rigueur.
Ses investigations le mèneront à la raffinerie de la Jamaïque, dont le directeur, Ernest Vince, est loin d'être un humaniste...

L'enquête en elle-même est plutôt un prétexte pour mettre en avant le Paris des années 30, annonçant le Front Populaire, avec toutes les violences, les revendications et les inégalités de l'époque. C'est une plongée dans le monde des ouvriers, des travailleurs, des femmes, mais aussi des médias et de la politique.
Ce polar historique est une lecture savoureuse et enrichissante, qui marque le premier volet d'une série sur le Paris du début du 20ème siècle. A suivre!!

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1934, c'est pour tout un chacun le 6 février et la grande manifestation de l'extrême-droite, comme un début d'insurrection vivement réprimée, et puis, de l'autre côté, la prise de conscience de cette montée en puissance des mouvements autoritaires et nationalistes, sinon fascistes, en France, et de la nécessité d'y répondre vigoureusement et sans tarder, en multipliant les rassemblements et les défilés de gauche dans la rue. Mais 1934, c'est aussi, sur le fond de la crise économique des années 30, une année où les inégalités sociales sont particulièrement criantes, mettant face à face des grands patrons aux moeurs et à l'argent décomplexés et des classes populaires, ouvriers ou lumpenprolétaires, vivant dans une extrême pauvreté. C'est sur le fond de ce décor social et politique aussi sombre qu'explosif qu'Alexandre Courban (préférant, cependant, comme titre de son livre, à une possible « Impasse de la Galère » le plus optimiste « Passage de l'Avenir »…) construit un roman à l'intrigue serrée, aussi policière que politique. le premier volume, très prometteur, d'une trilogie annoncée, qui devrait se poursuivre jusqu'au Front Populaire.
le samedi 10 février 1934, quatre jours à peine après les événements rappelés plus haut, le cadavre d'une jeune femme est repêchée dans la Seine, à peu de distance d'une grande usine de fabrication de sucre, la Jamaïque. La personnalité de la noyée intrigue le commissaire Bronnec, chargé de l'enquête, mais aussi Gabriel Funel, un journaliste de l'Humanité, qui s'intéresse de près aux conditions d'existence des ouvriers du quartier, d'autant plus que personne ne signale une disparition et que leur quête pour établir l'identité de la victime reste vaine. Leur intérêt pour l'affaire redouble quand ils s'aperçoivent, l'un et l'autre, que les autorités de l'Etat aimeraient bien faire passer ce qui ressemble à un crime pour un banal suicide…
Dès lors, chacun des deux hommes, que leurs convictions politiques respectives opposent mais que leur souci de la vérité rapproche, va mener ses recherches, un travail d'investigation qui les amènera à s'intéresser de près à l'industrie sucrière – alors que l'on dénonce jusqu'au Parlement de sombres manoeuvres spéculatives sur le prix de cette denrée de base – mais aussi – bien avant MeToo…- aux tristes harcèlements et violences sexuelles exercées par petits et grands chefs dans le monde des usines, ou encore à certain trafic d'armes au profit du mouvement nationaliste des Croix de Feu… Ils croiseront ainsi sur leur chemin Ernest Vince, le chargé de pouvoir de la Jamaïque, capitaliste sans scrupules, féru d'art et de femmes, deux passions qu'il mélange dans un chaudron particulièrement pervers, mais aussi Sainton, l'ancien poilu de 14 devenu bon petit soldat de l'extême-droite, mais aussi des ouvrières politisées et virulentes, et la belle Camille, qui accueillerait volontiers Gabriel, le journaliste dandy, dans sa mansarde !
Si l'aboutissement de l'enquête révèle les liens entre le crime et l'emprise du capitalisme sur le monde du travail, le charme du roman réside également dans l'atmosphère d'époque qu'il décrit. On n'est pas dans le Paris de l'anar Nestor Burma dans l'après-guerre de Leo Malet, mais ce Boulevard de la Zone et son décor d'usines et de quartiers misérables évoque le meilleur de la littérature populaire, et Gabriel Funel – un double de l'auteur dans le récit ? -, s'il préfère sans doute Marx à Bakounine, porte un regard toujours empreint de justice et de liberté sur les réalités effroyables qu'il découvre. Et puis, ce « passage de l'Avenir » ne cesse, d'une manifestation décrite à une autre, et jusque dans les dernières lignes du roman, de clamer les mérites d'une véritable union de toutes les gauches pour réussir à faire barrière aux forces du fascisme… Tiens, tiens, un siècle après ou quasi, ça ne vous dit rien ? Et ça ne vous donne pas envie de lire et urgemment ce texte interrogeant avec tant d'acuité une époque qui à peut-être encore tant à nous apprendre ?
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LE POLAR DU PEUPLE

1934, c'est le temps de la montée de l'extrême droite, le temps de la colère ouvrière, des petits arrangements et de la corruption politico-financière.
C'est le temps pour les femmes de prendre leur place et de réagir.
1934 c'était il y a 90 ans et pourtant le reflet dans le miroir d'aujourd'hui ne semble pas avoir pris une seule ride.

Ici, c'est la langue de l'historien qui parle, et même si parfois elle manque d'élans littéraires, elle est contrebalancée par une manière habile de mener l'enquête sur un fond historique qui ne permet pas aux lecteurs de lâcher le texte. Moi qui suis habituellement très sensible au style, je me suis totalement laissé prendre par cette histoire passionnante à double titre: pour la résolution de l'enquête bien sûr, mais surtout pour l'immersion totale dans l'époque racontée et l'impression à chaque ligne d'accompagner au coeur de toute la diversité de ce Paris fiévreux du Front populaire, les personnages dans les rues ouvrières ou en bord de Seine, où se croisent et vivent ensemble les travailleurs immigrés, les anciens poilus brisés par la guerre, le peuple des usines, les journalistes investis, les femmes victimes d'un patronat au patriarcat dangereux …

Des portraits ciselés et un polar social qui n'est que le premier épisode d'une série, Alexandre Courban s'étant donné pour mission de raconter les cinq années du Front populaire, à travers des affaires judiciaires, jusqu'à l'aube de la seconde guerre mondiale.
Une période trop peu abordée en littérature dont il réussit à embrasser et peindre le quotidien avec précision et force de documentation, et dont il donne à comprendre sa nécessaire connaissance pour éclairer l'atmosphère politique et sociale qui nous entoure aujourd'hui.

Vivement la suite, pour retourner en immersion dans les années 30 !
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● L'auteur, le livre (240 pages, 2024) :
Alexandre Courban, historien et collaborateur du journal L'Humanité, nous livre ici avec Passage de l'avenir 1934, une chronique sociale, policière et bien documentée du Paris ouvrier des années 30.
Un roman un peu dans l'esprit de celui de Gwenaël Bulteau lu tout récemment et qui évoquait la France du début du siècle, ou encore d'autres romans policiers "historiques".
Après ce sympathique coup de coeur (le premier de l'année !), on se dit que si l'auteur avait la bonne idée de poursuivre la série (ce roman est présenté comme un premier épisode), on serait ravi de retrouver le commissaire Bornec et le journaliste Gabriel Funel pour une nouvelle enquête "sociale".

● le contexte :
Début 1934. Suite à l'affaire Stavisky, la III° République voit le gouvernement malmené par des manifestations antiparlementaires d'une extrême droite très virulente comme partout en Europe (le parti national-socialiste allemand vient d'être plébiscité au Reichstag).
L'inflation, le chômage et la spéculation vont bon train après la crise de 1929.
À la périphérie de Paris, les bidonvilles fleurissent le long de la "zone" des fortifications.

● On aime vraiment beaucoup :
❤️ On aime cette petite histoire policière sans prétention ni esbroufe toute au service de la découverte d'une période mal connue (l'entre-deux guerres et la III° république) et qui sert de prétexte à une immersion très réussie dans le Paris social et ouvrier des années 30.
D'une prose fluide, maîtrisée et mesurée, mais que l'on devine soigneusement documentée, l'auteur endosse le costume d'historien naturaliste pour nous rappeler les principaux événements, le contexte politique, et sans forcer le trait, les conditions pour le moins difficiles des ouvriers de l'époque : c'était avant l'avènement du Front Populaire et ses conquêtes sociales.
❤️ Les conditions de travail et de vie étaient rudes dans la France d'en-bas, mais l'auteur nous rappelle aussi que si les ouvriers peinaient, d'autres souffraient plus encore : les travailleurs femmes et les travailleurs étrangers.
Pour les ouvrières notamment, l'exploitation économique se doublait d'une domination et exploitation sexuelle dont les victimes ne se comptent pas que dans le monde du cinéma d'aujourd'hui.
❤️ On aime beaucoup l'idée d'avoir centré l'enquête autour de la raffinerie de sucre du quartier de la Gare (la gare d'eau de Paris dans le XIII°) près de laquelle la noyée sera retrouvée.
Pour la petite histoire, la raffinerie dite de la Jamaïque qui est au coeur du roman, est située à Paris dans le XIII°, elle a été créée en 1831 par la dynastie Say et a fonctionné jusqu'en 1968.
❤️ Attention tout de même au piège : un auteur rusé se cache derrière l'innocence tranquille de l'historien explorant le passé pour mieux nous tendre un miroir et le lecteur avisé évitera de penser à la situation actuelle pour se dire que finalement, on n'est pas certain que tant de choses aient réellement changé depuis cette époque.
Inflation, montée de l'extrême droite, violences faites aux femmes, répression policière, spéculation financière, ... tiens donc ?
● L'intrigue :
Tout commence avec "la noyée du pont National", une jeune inconnue dont le corps a été retrouvé flottant sur la Seine et que, faute d'identité, la police va surnommer Daphné (l'équivalent du Jane Doe des séries tv).
Après cette macabre découverte, le lecteur va faire la connaissance des autres personnages du roman dont les chemins vont s'entrecroiser autour de la raffinerie et du cadavre de Daphné.
Le commissaire Bornec, le flic chargé de l'enquête.
Gabriel Funel, un journaliste à l'Huma.
Ernest Vince, le patron d'une raffinerie de sucre, peintre amateur et grand spéculateur devant l'Éternel.
Albert Sainton, le chauffeur-livreur de la raffinerie, membre des Croix-de-Feu.
Et bien sûr quelques ouvriers et autres "camarades".
Pour celles et ceux qui aiment la France d'en-bas.
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Quand on survole le paysage politique français, avec un bipolarisme qui tend à se troubler, il y a un parti qui peine à se faire entendre. Pourtant, ce parti, fort d'un leader avec le verbe haut et jamais avare du petit mot polémique, a une histoire forte et une idéologie marquée. C'est le parti communiste. le PCF n'a pas toujours été à la place qui est la sienne aujourd'hui sur l'échiquier politique. Il y a quelques décennies, il pouvait compter sur des militants par centaines de milliers, des représentants politiques sui tenaient la dragée haute aux autres ténors de classe bourgeoise, et un organe de presse, l'Humanité, qui portait à grande audience la voix du Parti. Dans "Passage de l'Avenir, 1934", paru chez Agullo, Alexandre Courban nous baigne dans ce Paris de l'entre deux guerres.

Hiver 34, le cadavre d'une jeune femme est repêché dans la Seine. Cette affaire est affectée au commissaire Bornec qui ne veut pas admettre la thèse de l'accident, rapidement dressée par les premiers observateurs. Et qui pour se soucier d'une probable jeune ouvrière? Mais ce n'est pas ce que pense aussi Gabriel Funel, journaliste à l'Humanité, qui poursuit ses investigations. Tout cela dans un contexte social où les prix flambent notamment ceux dus sucre, et des choses pas claires justement se font jour à la raffinerie parisienne de sucre "la Jamaïque". Machinalement, les routes de Bornec et Funel vont se croiser mais pour s'éloigner ou s'unir?

Alexandre Courban, élu de Paris est aussi un fin connaisseur du journal l'Humanité à qui il a consacré une thèse. de ses études, il tire ce premier polar historique au coeur du Paris des années 30, pris dans des conflits politiques forts et violents entre l'extrême droite et les communistes, où l'Humanité est un organe de presse qui sait donner le "la" à une opinion. La trame policière est de bonne facture sans être exceptionnelle. Par contre, le souci du détail historique est un régal. Il aborde aussi, avec le personnage d'Amar, la question de l'immigration algérienne déjà présente , bien avant les vagues des 30 glorieuses. Belle mise en lumière sur la condition de ces ouvriers étrangers, mais aussi de la classe ouvrière parisienne en proie à la voracité des dirigeants. "Passage de l'avenir, 1934" n'est que le premier volet d'un saga historique, où l'on risque de recroiser Bornec et Funel. Avec un peu plus d'épaisseur sur l'intrigue policière, cela ne sera que pour notre plus grand plaisir de lecteur.


Lien : http://www.rcv99fm.org
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