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Critique de PamRamos


𝐿𝑒𝑠 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒𝑠 𝑝𝑢𝑖𝑠𝑠𝑎𝑛𝑡𝑒𝑠
𝐸𝑛𝑐𝑜𝑢𝑟𝑒𝑛𝑡 𝑑'𝑎𝑏𝑜𝑟𝑑
𝑇𝑜𝑢𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑔𝑒𝑟𝑠

Éveillée par des douleurs abdominales annonçant ses premières règles, l'Inuit Uqsuralik sort de son igloo pour découvrir ce premier écoulement. La banquise, se fracturant, la sépare de sa famille et seule avec quatre chiens isolés de son côté de la glace, elle s'apprête à affronter seule les prochaines étapes de sa vie. Heureusement pour elle, les femmes Inuit sont élevées en chasseuses, en véritables forces de la nature, et ce qui l'attend, elle l'a déjà lu dans les signes, dans la magie de tout un monde animé par les chants ancestraux et les pratiques rituelles qu'elle retrouve de campements en campements.
Du viol d'un vieux qui la laisse "coupée en deux" à la visite de son corps par l'Homme-Lumière, du premier enfantement au dernier, des douleurs de la famine, des hallucinations de la solitude jusqu'aux grandes forces de la maternité, jusqu'à l'éveil chamanique, dans son corps malmené et peu aidé, dans sa chair animée, dans son esprit d'os, de pierre, de fer, approchée et conduite par le monde animal omniprésent, la jeune femme s'incarne devant le lecteur d'aujourd'hui avec une puissance étonnante, nous donnant la sensation permanente d'être dans sa peau, de souffrir et d'endurer mais de passer la glace et les multiples écoulements, fluides, viscosités du monde féminin originel, jusqu'à pétrifier son souvenir comme une amulette plantée dans le coeur, qui nous rappellera ce que nous sommes et pouvons, si tant est que nous soyons disposées à charrier, et supporter des fleuves de pierres dans le sang.
Oh, rien de féministe pénible dans cet opus vibrant, que nos fiers couillus défiés se réconfortent : chaque victoire est douloureusement apprise, et jamais ostensible, toujours partagée avec un homme qui nous libère, nous révèle, nous transmet son savoir et sa force sans en manquer de son côté.
Une vraie démonstration d'équilibre entre sexes et capacités, comme les empilements de pierres, les inuksuit qui forment des êtres se dressant dans les paysages arctiques.
Bérengère Cournut, née en 1979, qui a déjà écrit au Tripode un roman sur les Hopi, en Arizona en 2017, reprend ici sa formule magique : de l'ethnologie ultra documentée intégrée au romanesque délié, à l'exercice de style poétique (dans les chants recomposés qui ponctuent les chapitres) au suspense d'une épique aventure en terres hostiles, le tout dans un objet magnifique contenant quelques illustrations en fin de volume : il ne me reste plus qu'à conseiller en complément le guide des civilisations sur les Inuit de Michèle Therrien, passionnant de bout en bout, que j'avais dévoré à sa sortie il y a quelques années, et le terrible 𝑁𝑖𝑟𝑙𝑖𝑖𝑡 paru en France l'année dernière aux éditions de la Peuplade, récit de ce que deviennent, aujourd'hui, les Inuit au Canada, par une jeune femme travaillant dans l'un de leurs camps sociaux, frappé dans la folle langue québécoise, qui nous happe et nous subjugue par la férocité de ses formules.

J'espère avoir réussi à vous dire, âmes exsangues, que vous tenez ici un bon petit morceau de viande saine et goûteuse.
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