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Critique de Fabinou7


Diner de cons dans l'administration.

Le fonctionnaire n'a t-il pas toujours eu mauvaise presse ? paresse, privilège, bureaucratie, arbitraire sont autant d'épithètes lancés par des usagers exaspérés et avouons le, quelques jaloux mal informés, Michelet s'attachait déjà à démolir ces clichés au XIXème siècle…

Avec “Messieurs les ronds-de-cuir”, paru en 1893, Georges Courteline nous prouve qu'il n'y a rien de particulièrement privilégié dans l'Enfer de l'administration. Véritable Mouroir à ciel ouvert, la Direction des dons & des legs n'a rien à envier à la Branque de France ou la Caisse des vieux pots et consternations (ou tripots et malversations ?) !

Le roman de celui que la postérité retient d'abord comme une icône du vaudeville de la Belle Epoque, avec Labiche et Feydeau, se compose de plusieurs tableaux décrivant les mésaventures d'un sombre service placardisé, avec son sous-chef de service au bord de la crise de nerf, son jeune employé Lahrier, fainéant et adepte de l'école buissonnière, “Diable ! encore un jour où je n'arriverai pas à midi” culpabilise celui qui “en moyenne, faisait le mort une fois la semaine sans que l'Administration, bonne bête, eût l'air de s'en apercevoir,” ou encore le chef de service pour qui l'abnégation au profit de l'intérêt général des employés n'a pas de prix (ni d'augmentation de traitement…) : “cette fois encore – et pour me décider à cette pénible confession, il faut toute la confiance que j'ai en votre esprit de désintéressement – je vous accueille les mains vides…” et qui s'exprime, toute ressemblance avec nos contemporains fortuite : “dans un style agaçant et confitureux bourré toutefois des bienséances oratoires” et dont la “science était de dire comme personne des choses qui ne signifiaient rien.”

A Lahrier, encore absent et recyclant l'excuse du trépas d'une tante à une énième reprise, M. de la Hourmerie, le sous-chef de Service, “dressé sur ses ergots” rétorque ahuri : “Vous n'avez cessé de mettre en terre à raison d'un au moins la semaine ! Quel massacre ! non, mais quel massacre ! A-t-on idée d'une famille pareille ? Si vous supposez que l'Administration vous donne deux mille quatre cents francs pour que vous passiez votre vie à enterrer les uns, à marier les autres ou à tenir sur les fonts baptismaux, vous vous méprenez, j'ose le dire.”

Derrière les murs du ministère des invraisemblances telles que le bain de pied matinal du père Soupe ou la délectation de certains fétichistes de “la prose administrative du Conseil d'Etat”… enfin mais qui peut croire à de pareils spécimens ?!

Le jeune Lahrier veut témoigner de ces pépites dont il est le témoin et s'essaye même à l'imitation pour la jeune fille qu'il fréquente : “Et pour bien établir qu'il ne se moquait point, il se lança dans des imitations, d'ailleurs exquises de finesse et d'observation maligne, du père Soupe, de Letondu, du sous-chef van der Hogen et de M. de la Hourmerie, dont il singea jusqu'à la perfection la solennité pleine de tics.”

Facéties de glandeurs de compétition, de virtuoses de la mauvaise-foi, mais aussi misère des fonctionnaires, manque de considération, atrophie de la volonté d'agir, missions dénuées de sens, exaspération pouvant conduire au drame et couarde hypocrisie d'une hiérarchie stratifiée à l'excès voilà tant de nuances que Courteline, lui-même passé par la Direction générale des cultes, délivrent dans un tableau finalement bien plus sombre que les soties de ses personnages et qui aujourd'hui encore doit nous questionner.

Une langue très riche et un fil parfois décousu concourent à une expérience littéraire en demi-teinte, on glousse moins que promis, mais si l'ensemble est inégal, on tombe sans contredit sur des scènes d'anthologie.

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