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Critique de VincentGloeckler


Personnage éponyme du titre, « cartographe des absences » dont l'écriture fouille la mémoire et ressuscite les oublis et les oubliés de l'histoire, agissant comme un double de Mia Couto, dans un roman qui s'inspire largement de la propre histoire familiale et du destin du père de l'écrivain mozambicain, Diogo Santiago est un poète et romancier, rappelé pour une célébration universitaire de son oeuvre dans sa ville natale, Beira, à la veille du passage d'un cyclone, une menace redoutée comme l'Apocalypse dans cette cité côtière. Dès le premier soir, il rencontre la belle Liana, maîtresse de la cérémonie d'hommage, qui, en même temps qu'elle tente de le séduire, lui confie de précieux documents, concernant son propre passé et, surtout, celui de son père Adriano, journaliste et lui-même poète, engagé auprès des communistes armés du FRELIMO, un mouvement de lutte contre le régime colonial imposé par la dictature portugaise, et appelé en 1973 par ce dernier à réaliser un reportage sur des massacres organisés par l'armée contre les rebelles dans la région reculée d'Inhaminga.
Intrigué, confronté à ce passé qu'il a lui-même vécu comme témoin et acteur, découvrant l'inconstante vérité des faits, Diogo prolonge, en dépit de l'ouragan annoncé, son séjour à Beira et mène l'enquête jusqu'à Inhaminga. Sa lecture des documents - rapports de la police politique, lettres de dénonciation ou correspondance plus intime, journaux personnels de son père ou de lui-même, photos jaunies – reconstruit la mémoire de la violence, du racisme et de la bêtise cynique des colons portugais, tandis qu'il rencontre quelques puissants fantômes, survivants de son adolescence : Benedito, un jeune noir recueilli par ses parents et caché comme un « serviteur », devenu depuis un représentant du nouveau pouvoir, l'ancien inspecteur Oscar Campos, l'un des dirigeants les plus cruels de la terrible PIDE, la police politique de Salazar, Maniara, toujours sorcière et aujourd'hui photographe, cherchant dans ses clichés présents à révéler la vérité intérieure des êtres, après avoir hier sauvé et protégé plusieurs vies…
Habitée ainsi par des personnages souvent paradoxaux et hauts en couleur, alternant deux temps du récit, entre aujourd'hui et le Mozambique de 1973, jonglant entre des faits-divers tragiques comme le suicide de deux jeunes amants, victimes des préjugés racistes et sociaux de l'époque, et des anecdotes symboliques comme l'aller-retour de la machine à écrire paternelle, un objet doté de pouvoirs fantastiques, entre les bureaux de la PIDE et la maison familiale, usant des vertus de l'humour comme de celles du merveilleux, l'intrigue baroque du Cartographe des absences offre au lecteur tous les plaisirs d'une histoire riche de révélations et de rebondissements, en même temps qu'elle propose une méditation sur la puissance introspective de la poésie, les relations ambigües entre le journalisme engagé et la littérature. Dans ce dernier texte comme dans les admirables L'Accordeur de silences (Métailié, 2011) ou La Pluie ébahie (Chandeigne, 2014), pour n'évoquer que deux autres perles d'un précieux collier, Mia Couto déploie tout son talent de conteur philosophe, montrant qu'un roman n'atteint sa pleine dimension qu'en interrogeant les ressources de sa propre écriture et la place qu'il donne aux rêves de l'humanité. Alors, ce Nobel qui lui est promis depuis longtemps, on le lui donne bientôt, au cartographe Couto ?
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