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Critique de PedroPanRabbit


Tout dans ce "Loch Down Abbey" nous laisse imaginer un whodunit à l'Anglaise comme on les aime. Il apparait au fil de la lecture que ce roman est à la fois tout autre chose et aussi bien plus que cela, égrainant au passage quelques belles surprises pour le lecteur qui pensait le registre de ce livre très défini et son cadre, très calibré. S'il y a bien une mort suspecte et une gouvernante qui s'interroge, on est loin d'une enquête classique : le personnage de Mme MacBain ne s'improvise pas détective et le roman ne la suit pas, loupe à la main, à la recherche d'indices. Ce qui est mis au premier plan de cette fiction au regard quasi anthropologique, c'est le clan Inverkillen. L'état des lieu de la famille et la liste des personnages, en début d'ouvrage, est par ailleurs nécessaire pour identifier chacun de ses (nombreux) membres, car les multiples ramifications peuvent rendre difficile la mémorisation de chaque personnage (surtout pour différencier les incalculables soeurs et belles-soeurs). Cette famille particulièrement charismatique, composée d'individus pas tous très fréquentables mais toujours hauts en couleurs, est la thématique première de "Loch Down Abbey". Ça, ainsi que les nombreuses conséquences qu'entraîne le décès soudain du patriarche sur ce petit microcosme enfermé dans sa tour d'ivoire : trahisons, disputes, jalousie, dissimulations et autres crises de toutes sortes. L'autrice dissèque les relations familiales d'une noblesse en grande perte de vitesse, offrant des portraits au vitriol que n'aurait pas renié Nancy Mitford.

La narration est au profit du sujet : choisissant d'entremêler écritures omnisciente et homodiégétique (un pari on ne peut plus risqué), Beth Cowan-Erskine raconte la vie du manoir comme le ferait un réalisateur avec un long plan séquence. La caméra suit un personnage (son point de vue, ses ressentis, ses émotions) puis en change lorsque deux protagonistes se croisent au détour d'un couloir. Audacieuse et bien menée, cette façon d'utiliser les différents points de vue permet d'approcher chaque membre des Inverkillen et de la domesticité, de croiser les regards et les impressions des uns et des autres tout en permettant progressivement d'en sonder la psychologie. Au rythme du train de vie d'une grande maison de haute noblesse, cela participe à densifier l'impression de fourmilière, très propice aux whodunits à grande échelle aussi bien qu'aux récits mettant en scène les rouages de la domesticité.

Il y a également dans "Loch Down Abbey" un côté pastiche assumé, dimension que Beth Cowan-Erskine distille cependant avec subtilité pour ne pas sombrer dans la parodie trop facile. Cela se ressent notamment via les jeux de mots ("Loch Down" signifie "confinement") et les clins d'oeil (L'un des chiens de la famille se nomme Grantham), mais surtout par les effets du Covid 19 sur l'intrigue. Écrit en pleine pandémie, "Loch Down Abbey" raconte un confinement similaire à celui que nous avons connu en 2020, mais que l'autrice imagine dans la région des Highlands où elle situe son histoire. Cloîtrant ainsi ses personnages dans leur manoir, elle accentue l'effet huis clos de quelques scènes sujettes à sourire : le port du masque et les pénuries alimentaires (ou de papier toilette) entrainent chez les Inverkillen des réactions aussi drôles et démesurées que réalistes, que le lecteur reconnaîtra certainement pour peu qu'il ait bonne mémoire.

Moins idyllique que "Downton Abbey" pour ce qui est de présenter les relations entre maîtres et valets, "Loch Down Abbey" relate la fin d'une ère d'une aristocratie incapable de s'adapter au changement, obligée de se salir les mains pour survivre en temps de crise. Tout le sel du roman vient sans doute de là, et des scènes savoureuses que l'autrice prend un plaisir évident à raconter. Davantage roman d'intrigues que roman policier, ce premier livre de Beth Cowan-Erskine offre une chute on ne peut plus inattendue au lecteur, à la hauteur de cette fiction piquante et rythmée.

En bref : Présenté comme un croisement entre "Downton Abbey" et un jeu de Cluedo, "Loch Down Abbey", davantage roman d'intrigues que véritable whodunit, n'en reste pas moins un fabuleux et savoureux portrait d'une noblesse en fin de règne. Imaginant une famille de l'aristocratie écossaise des années 30 cloîtrée chez elle à cause d'une pandémie (toute ressemblance avec des faits réels est fortuitement fortuite), l'autrice dissèque à la fois les effets des crises sociale, sanitaire et familiale qui se superposent, alternant son tableau quasi sociologique entre les "upstairs" et les "downstairs". Un régal relevé d'un humour so british.
Lien : https://books-tea-pie.blogsp..
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