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Critique de ileana


ileana
05 septembre 2018
Un essai érudit et élégant. Surtout stimulant : l'auteur se pose des questions, mais à la place de réponses, il propose des hypothèses, des ébauches. Il répond à moitié, ouvre des pistes, laissant ma curiosité vagabonder.
Pas de thèse principale, juste un itinéraire pour cerner la sensibilité De Chateaubriand.
Il n'est ni à cent pour cent antimoderne, ni à cent pour cent moderne.
Il est un romantique antiromantique (p185).
Mais voilà, avec ces formules je fais du tort à cet essai, dont le sel se trouve dans le cheminement de la pensée de l'essayiste ; j'en donne des repères, via les extraits ci-dessous :

« Ce que nous cherchons à voir, dans le visage qu'une photographie imaginaire [de Chateaubriand] nous offrirait, c'est l'événement fondateur, l'événement absolu de la Révolution [ ]. Une photographie De Chateaubriand nous donnerait à voir des yeux qui ont vu la Révolution. Plus personne n'a la moindre idée de la manière dont la Révolution française a envahi les corps et les esprits, les a façonnés. En un sens, c'est ce que Chateaubriand a cherché à écrire, ou plutôt : ce qui l'a fait écrire. » p77

« Chateaubriand [ayant 20 ans en 1789], dans un parfait timing générationnel, occupe le lieu géométrique du transit révolutionnaire qui sépare le vieux monde du nouveau. C'est toute l'aventure littéraire de François René : l'écriture récapitulatrice d'un drame fondateur [ ]. Lorsque commence la Révolution, la génération des prophètes a déjà passé, ni Rousseau, ni Voltaire, ni Diderot ne seront plus là pour commenter, apporter leur grain de sel. Seuls les seconds couteaux sont restés dans la lice. »p73

L'auteur cite le portrait esquissé par le journaliste américain Ticknor lors d'un dîner chez Germaine de Staël en 1817 (l'écrivain avait 49 ans) :
« Chateaubriand est un petit homme au teint brun, aux cheveux noirs, aux yeux noirs, et avec cela une expression très marquée ; [ ] c'est un caractère ferme et décidé : chacun de ses traits, chacun de ses gestes l'affirment. Il est excessivement grave et sérieux et donne le ton grave et sérieux à la conversation dans laquelle il s'engage. » p75

Avec son Essai sur les Révolutions anciennes, l'écrivain identifie ce que le bouleversement de 1789 a d'inédit : « l'accélération jacobine, trouvant que ça ne va pas assez vite, fleurant si bon son pré-totalitarisme, ce qui fait d'ailleurs de l'Essai sur les Révolutions, écrit à Londres par un jeune homme en pleine solitude morale et intellectuelle, le premier livre d'une théorie du processus totalitaire. » p38

« [en écrivant sur l'Amérique], Tocqueville est un rayon laser qui passe au crible, restitue les structures quand Chateaubriand, intuitif express, emmène avec lui les odeurs, une matière d'Amérique, de bois, de roche, de feu, manquant de tomber à la cataracte de Niagara, épisode célébrissime moqué par les petits esprits, qui n'ont jamais lu Tintin. » p47

D'après Maurras, Chateaubriand serait « le fourrier ‘anarchiste' du dérèglement de l'esprit classique français : là où l'esprit français [ ] faisait régner la ‘présidence de la raison' [ ] Chateaubriand ‘désorganise ce génie abstrait en y faisant prévaloir l'imagination, en communiquant au langage, aux mots, une couleur de sensualité, un goût de chair, une complaisance dans le physique, où personne ne s'était risqué avant lui'. Loin d'être cet ‘épicurien catholique' que certains (Sainte-Beuve) voient en lui, Maurras écrit qu'il est bien plutôt un ‘protestant honteux' vêtu pour l'extérieur de la ‘pourpre de Rome', porte-valise du déisme sentimental ‘propagé par les Allemands et les Suisses du salon Necker'. » p113

En exergue, Crépu nous propose cet extrait de Mémoires d'outre-tombe : « le maître de poste de Schlau venait d'inventer l'accordéon : il m'en vendit un. Toute la nuit je fis jouer le soufflet dont le son emportait pour moi le souvenir du monde ».
Et tout à la fin de son essai, un autre extrait de Mémoires :
« Les soirées sont longues à Berlin. [ ] Quand il n'y a pas fête à la cour [ ] je reste chez moi. Enfermé chez moi auprès d'un poêle à figure morne, je n'entends que le cri de la sentinelle de la porte de Brandebourg, et les pas sur la neige de l'homme qui siffle les heures. Et si je continuais mes mémoires ? »
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