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Critique de Stockard


Stuck Rubber Baby, un moment que ce comic me faisait de l'oeil. A l'époque, la couverture était sombre et le bouquin s'appelait Un Monde de Différence. Depuis, l'oeuvre a été rééditée tout comme la préface d'Alison Bechdel. Rien que pour ça, ça valait le coup d'attendre cette nouvelle mouture (placer ici un remerciement enthousiaste à Babelio et aux éditions Casterman) pour s'inviter à Clayfield, ville fictive du Sud des États-Unis mais qui pourrait bien avoir un rapport avec Birmingham, sweet home (à condition d'être caucasien) Alabama. La lutte pour les droits civiques commence à faire sérieusement rage et Toland Polk – alter ego de l'auteur en jeune adulte – va se laisser entraîner dans ce mouvement par des camarades dont la soif d'équité et de justice semble malgré tout bien plus difficile à étancher que la sienne.

Deux points souvent décriés dans ce que j'ai pu lire ici ou là et qui, paradoxalement, sont certainement ceux qui m'ont le plus enthousiasmée concernant ce captivant Stuck Rubber Baby :
– Un graphisme jugé trop dense, des cases remplies jusqu'aux dents... moi j'aime. Je n'ai rien contre le dessin minimaliste, surtout quand l'ouvrage s'y prête mais pour le coup j'adore le coup de crayon de Cruse (qui, en ouvrant ce livre sans en connaître l'auteur n'a pas directement pensé à Robert Crumb, hein, qui ?!) et ce fourmillement de détails et d'arrière-plans léchés ont eux aussi un rôle à jouer – et pas des moindres – dans ce roman graphique luxuriant.
– Une histoire qui prendrait son temps, un propos qui se traînerait en longueur... c'est légitime, à une époque d'exigence du tout-tout-de-suite, supporter des développements sur des dizaines de pages, on n'est plus trop coutumier du fait. Encore une fois, en ce qui me concerne j'ai apprécié ce parti pris de l'auteur en ce qu'il renforce la crédibilité du questionnement existentiel de Toland. On est dans les années 60 et il s'interroge perpétuellement sur son orientation amoureuse (non, en fait il sait mais aimerait autant ne pas avoir à le reconnaitre). A cette époque le Castro, Harvey Milk, les émeutes de Stonewall... rien de tout ça n'existe encore vraiment et les gays, pour la plupart, vivent dans la honte de leur condition, se marient, font des enfants et sont malheureux mais ne voient pas d'autres issues à une vie qu'ils imaginent pervertie.
Alors oui, ça prend du temps d'accepter une nature qu'on n'a pas choisi, ça tourne en rond, ça n'avance pas, pire même parfois : ça recule. Howard Cruse, qui sait de quoi il parle, nous rend cela à la perfection et nous force, par la lenteur bienvenue du rythme qu'il nous impose, à ralentir nous aussi et à réfléchir sur tout ce qu'il nous dépeint : du douloureux sujet de la violence systémique envers les minorités, quelle qu'elles soient, toujours moins bien armées pour se défendre à celui, plus léger mais tout aussi indispensable de la solidarité, de l'amour et de l'acceptation de soi.

Alors moi aussi j'ai pris mon temps pour lire, cogiter et apprécier ce petit bijou à sa juste valeur. Il est trop souvent communément admis que le domaine de la bande dessinée n'est que légèreté et divertissement. Parfois c'est indéniable mais pas toujours, loin de là, et Howard Cruse nous le prouve avec ce roman graphique historique, dense et lancinant.
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