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Critique de gabb


gabb
09 décembre 2023
Ça y est, c'est mon tour ! Mieux vaut tard que jamais : l'heure est enfin venue pour moi de grimper sur "La Bestia" !
Depuis la parution remarquée d'American Dirt en 2020, nombreux sont les lecteurs qui ont déjà entrepris le voyage infernal sur le toit de ce redoutable train de marchandises, emprunté chaque année clandestinement par des milliers de migrants pour traverser le Mexique et gagner la frontière américaine (*). Tous ces lecteurs (ou presque) parlent d'un livre fort, d'un grand roman, d'une révélation.
Soit, alors tentons l'expérience !
Longtemps après mes petits camarades, je prends donc le train en marche, me cramponne fermement ... et advienne que pourra.

Dès le début ça secoue !
À l'occasion d'une fête de famille, un journaliste mexicain et la quasi-totalité des siens (seize personnes !) sont sauvagement assassinés par les sicarios du cartel le plus puissant d'Acapulco, dirigé par le mystérieux Javier. Sebastián, le journaliste exécuté, venait justement de publier à son sujet un article à charge. Seuls Lydia, la femme de Sebastián, et Luca, leur fils de huit ans, échappent au massacre. Très vite Lydia comprend que le commanditaire de la tuerie, Javier, n'est autre qu'un client de sa librairie, qui la courtise depuis quelques temps et qui, sûr d'avoir été trahi, n'aura de cesse de la poursuivre pour ne laisser derrière lui aucun survivant et assouvir complètement sa vengeance.
La pauvre libraire et son fils n'ont plus le choix : il leur faut prendre immédiatement la fuite, cap au nord, direction l'Eldorado américain. C'est le début d'une interminable traque, et l'occasion pour le lecteur de mesurer toute l'ampleur du drame vécu par les migrants Mexicains, Guatémaltèques ou Honduriens, toujours plus nombreux à risquer leurs vies de misère sur le dos de "La Bestia" dans l'espoir d'un avenir meilleur. D'un avenir tout court.

Et pour ce qui est de nous dépeindre l'indigence absolue de ces clandestins, les impasses totales que sont devenues leurs existences, la faim et la peur de chaque instant, l'insécurité terrifiante qui règne dans ces contrées sans loi livrées aux mains des gangs et des narcotrafiquants, l'auteur n'y va pas de main morte !
Page après page, au fil d'une série de rencontres et de péripéties plutôt répétitives, Lydia et Luca ne cessent de s'enfoncer toujours plus loin dans l'horreur d'un pays décrit sous son jour le plus sombre... Seuls contre tous, sans ressources et accablés par la perte de leurs proches, ils frôlent la mort à chaque embarquement à bord du "La Bestia". La menace est partout, chaque migrant croisé est un tueur ou un violeur potentiel, chaque nuit passée dans un centre d'accueil est une nuit d'angoisse, chaque jour de marche dans la poussière du désert semble plus douloureux que le précédent et chaque patrouille de "la migra" (la terrible police aux frontières constituée de miliciens violents et corrompus) est une nouvelle source de panique. Ça fait beaucoup.
Heureusement dans ce puits de détresse sans fond surnagent quelques compagnons d'infortune dignes de confiance, et une poignée d'âmes charitables offrant de l'eau ou de la nourriture en bordure de la voie ferrée aident nos deux fuyards à survivre. Rares étincelles d'humanité dans une obscurité qui semble sans fin.

Si la force de caractère de Lydia et Luca assurément impressionne, si l'effondrement total et soudain de leur monde effraie, si la somme d'épreuves qu'ils traversent émeut, je n'ai pour autant pas été transporté comme d'autres lecteurs semblent l'avoir été, et la relation un peu ambiguë entre la vaillante Lydia et l'insaisissable Javier (gangster sans pitié capable des pires atrocité, mais aussi père de famille aimant et poète sensible à ses heures perdues...) ne m'a semblé très à propos.
À la longue, la course poursuite trépidante s'est transformée en succession poussive de mésaventures assez prévisibles, et les ficelles utilisées par l'auteur pour susciter notre émotion et notre empathie m'ont semblé un peu grosses. Quant à l'écriture de Jeanine Cummins, simple et directe (phrases courtes, dialogues nombreux, verbes d'action au présent de l'indicatif), elle ne manque ni de rythme ni de spontanéité mais elle ne m'a pas non plus particulièrement enthousiasmé.

En résumé : un sujet fort et cruellement actuel mais un traitement sans grand relief, quelques longueurs, un style plutôt quelconque et des personnages et situations assez stéréotypées qui ne m'ont pas tout à fait convaincu, malgré l'intention parfaitement louable de l'auteur. "J'ai profondément conscience que les gens qui affluent à notre frontière sud ne sont pas une populace anonyme brunâtre, mais des individus à part entière qui ont chacun une histoire, des origines et une raison personnelle de venir ici", écrit Jeanine Cummins dans ses notes en fin d'ouvrage. "J'ai donc souhaité raconter l'une de ces histoires personnelles et uniques - sous forme de fiction - afin d'honorer les centaines de milliers d'autres que nous ne connaîtrons probablement jamais. Ce faisant, j'espère marquer un temps d'arrêt et permettre au lecteur d'entendre les particularités de ces personnes : que lorsque les médias nous montrent des migrants, nous puissions nous souvenir que ce sont des personnes comme nous".
Madame Cummins, puissiez-vous être entendue aux USA et partout dans le monde...


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(*) Pour ceux que ça intéresse, voici un reportage glaçant sur "La Bestia", dont j'ignorais l'existence :
https://www.arte.tv/fr/videos/083369-000-A/mexique-la-bestia/
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