AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 5Arabella


Il s'agit de la seule tragédie écrite par Cyrano de Bergerac, elle a été jouée au théâtre, en 1653 ou 1654, la création semble avoir eu lieu au prestigieux Hôtel de Bourgogne. Très vite enlevée de l'affiche, elle sera publiée dans la foulée, cette édition sera vite épuisée, grâce à la réputation sulfureuse de la pièce.

En apparence, Cyrano de Bergerac respecte le cadre d'une tragédie classique, à sujet romain. Nous sommes sous le règne de Tibère. Agrippine, la petite fille d'Auguste, et veuve de Germanicus, pense que son mari a été empoisonné sur l'ordre de Tibère, et entend tirer vengeance. Elle complote avec Sejanus, le favori de Tibère, à qui elle promet de l'épouser après la mort de l'empereur. Mais Sejanus est aimé par Livilla, soeur de Germanicus et bru de Tibère. Cette dernière finira pas dénoncer le complot qui se trame contre la vie de Tibère, pour punir la trahison de Sejanus qui lui préfère Agrippine. Elle se tuera, et l'empereur fera tuer Séjanus et Agrippine.

La pièce, avec ses personnages de furieux, prêts à tout pour se venger, à anéantir leurs ennemis, et surtout y laisser leur propre vie, se rapproche d'une esthétique baroque de l'excès. Comme la langue de Cyrano, avec ses tournures complexes. Cela semble par certains aspects un retour en arrière nous sommes dans un théâtre moins policé, moins normé, celui de Tristan l'Hermite, de Rotrou, de Théophile de Viau. Les personnages sont dans le mensonge, dans la manipulation permanente, ils jouent sans arrêt, font semblant, ils s'égarent dans un labyrinthe de faux semblants et duperies, qui en deviennent une fin en soi.

Mais ce qui différencie cette pièce des autres, c'est la philosophie libertine et épicurienne qu'elle exprime d'une façon très directe, ce qui a provoqué son retrait rapide de la scène. C'est le personnage de Sejanus qui exprime cette philosophie de la façon la plus marquée.

Libertine s'entend au sens de libre pensée, dégagée des dogmes en particulier religieux. Certaines répliques de Sejanus laissent penser qu'il est athée. En accord avec la pensée épicurienne, Sejanus exprime l'absence de la crainte de la mort et des dieux. Il dit très clairement l'usage politique de l'invention des dieux, qui permet de faire peur et de manipuler la foule. Aucun regret, aucune mort édifiante. Les personnages se consument par leurs excès, sans remords, sans mauvaise conscience et sans aucune envie de vouloir faire autrement.

De même, Sejanus ne considère pas que Tibère, de par sa naissance, de par son origine royale, et donc quelque part divine, lui est supérieur. Il veut devenir empereur, et considère qu'il en a aussi le droit que celui qui occupe le trône. Comme Tibère est le personnage le plus faible, le plus minable de la pièce, Cyrano semble quelque part lui donner raison ; cela semble une contestation de la légitimité du pouvoir royal. Nous sommes loin des hommages et flatteries outrés d'un Racine dans Alexandre le Grand.

Pièces atypique, très singulière, Agrippine mériterait d'être plus connue. La mise en scène proposée par Daniel Mesguich au festival d'Avignon cette année, pourra peut-être enfin lui permettre d'être plus lue et jouée.
Commenter  J’apprécie          160



Ont apprécié cette critique (11)voir plus




{* *}