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Critique de BandiFuyons


Si j'ai en tête des images de la libération, des bouts de discours, si je connais les dates et l'histoire de la seconde guerre mondiale, j'ignorais tout des ruines allemandes et de la vie d'après-guerre.

Ce livre de terrain, montre que toute analyse politique ou journalistique, ne peut ignorer la souffrance, elle doit aller dans les caves, elle doit voir les centimètres d'eau et l'air qui ne se réchauffe jamais, elle doit interroger la faim. C'est ce que Stig Dagerman dit dans son livre : “ c'est du chantage que d'analyser les idées politiques d'un affamé sans analyser en même temps sa faim”.

Le livre est divisé en différentes parties qui tracent des portraits : celui d'une ville démembrée, celui d'un voyage en train, celui d'un procès ridicule, celui d'un cimetière bombardé.

Dans “l'art de sombrer”, il attaque les conceptions de la moralité. Dans ces circonstances allemandes de faim et de pauvreté, il invite à sombrer. Il n'est plus si immoral de voler, puisqu'il s'agit alors d'une répartition plus équitable des biens.

Par l'évocation de détails, Stig Dagerman dresse une atmosphère précise de la difficulté de la reconstruction. Dans un appartement, un ancien soldat raconte une plaisanterie : devant un poisson rouge se trouvent différents soldats de différents pays. le Russe mange le poisson, le Français le jette, l'Américain l'empaille et l'Anglais le prend dans ses mains et le caresse jusqu'à ce qu'il meure. Tout est vu au travers d'un prisme morbide. Sans aucune complaisance pour le régime nazi, il décrit la présence des alliés par les yeux d'une Allemagne détruite. Comme une libération mortifère. Comme un poisson qu'on cajolerait sans espérer qu'il ne survive. Il se demande si les atrocités commises pendant la guerre permettent de justifier le maintien d'un peuple dans la précarité. Et cela provoque une lecture parfois dérangeante. Elle questionne encore aujourd'hui sur nos envies de vengeances et de punitions.

C'est une écriture qui ne cherche pas à attendrir par une évocation misérabiliste. La précision ne sert pas tant à nous émouvoir ou à provoquer, auprès du lecteur, la satisfaction étrange du voyeur. Cette précision est présente pour la connaissance, pour une meilleure appréhension de la réalité : une vérité nécessairement nuancée. le livre s'éloigne des binarismes faciles. Dans “le bois des pendus”, la forêt elle-même prend, tour à tour, l'expression de la résilience et le souvenir des enfants pendus pour avoir fui l'incorporation. Aucune chose n'est vraiment innocente. Mais la condamnation est suspendue par l'expression de la souffrance.

En marchant dans l'automne allemand, Stig Dagerman est allé se fondre dans la peine et l'amertume. Il y a mis toute son empathie, c'est-à-dire cette presque capacité humaine à se transmuer en quelqu'un d'autre. Il a tenté d'approcher des ressentis éloignés de lui. Il me faudra relire la dernière partie. Celle sur la souffrance et la littérature. Je ne suis pas encore certaine d'en avoir saisi toute la force. Mais il y a quelque chose sur les atrocités indicibles et sur la distance nécessaire entre la littérature et la souffrance. Cela offre une tension irrésolue entre l'impossibilité de dire et le livre pourtant écrit. Il finit sa pensée dans son avion vers la Suède, lorsqu'il survole les espaces gelés de Brême.
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