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Critique de Kirzy


« Maman dit que c'est un temps où tout est menace, murmure Manon. C'est ce temps où tout paraît trop beau, trop fort. Ça va forcément se gâter.
Elle se tait de nouveau, guettant le danger, celui qu'on n'invite jamais et qui arrive sans prévenir. Quant tout menace. Elle aime ce mot, menace. C'est un mot plein qui dit bien ce qu'il veut dire. Il lui donne la chair de poule, passe entre ses lèvres comme un baiser humide, léché, bout de chair. Elle frissonne. le chat se frotte aux bottes, capte l'effervescence qui se glisse entre eux. Ils attendent que l'extrême sensation corme des ressorts de muscles. Patienter, jusqu'à n'en plus pouvoir, quand la clarté touche le bout des cheveux. Quand l'air se remplit à ras bord. Ici, loin de tout. »

C'est très rare de trouver des auteurs qui savent dire l'enfance sans artificialité, surtout quand il s'agit de placer un très jeune enfant comme narrateur, ici Manon six ans. Avec sa maman, elles ont fui un père violent, sans qu'on en sache plus sur la nature des maltraitances, elles se cachent dans une caravane rudimentaire en pleine campagne.

Manon ne vit plus dans le royaume de coton qu'on voit classiquement en l'enfance. Elle a perdu sa naïveté, on devine des souillures, très subtilement évoquées, l'innocence ne l'intéresse pas, elle a été trop entamée. Elle, elle veut expérimenter, détruire au besoin comme elle le dit très souvent, ne s'inscrivant jamais dans la bienséance attendue d'une enfant si jeune. Elle veut construire son propre monde et vadrouille dans l'univers qui l'entoure, au gré des rencontres : d'autres enfants à l'école, des chevaux, un renard, un homme des bois à mauvaise réputation.

Florence Dalbès déploie une très belle plume, emplie de fraicheur et de poésie notamment lorsque l'enfant découvre les plaisirs liés à la nature. Elle le fait avec des mots justes développant une douce sensorialité qui réactive avec beaucoup d'authenticité les souvenirs et les sensations de l'enfance que l'on perd en grandissant, comme avec une loupe permettant de voir mille minuscules détails à la fois anodins et fascinants, à hauteur d'enfant. Tout le récit est centré sur Manon, sur son ressenti, avec seulement quelques apartés qui nous présentent sa maman, dépassée par cette enfant si singulière et hors cadre, dépassée par la pauvreté matérielle qu'elle subit et la crainte de voir déboulée le père dans leurs vies. Cela aurait été intéressant de mieux comprendre et connaître ce personnage mais le choix de focaliser sur Manon est assumée avec netteté.

Le pages coulent toutes seules, on suit Manon sur quelques semaines, sans qu'une intrigue claire ne se détache si ce n'est de suivre cette fillette atypique, pas toujours sympathique mais touchante dans les failles injustement précoces qu'on lui devine. On tremble souvent pour elle sans que jamais le récit ne sombre ni dans le pathos ni dans une noirceur. L'auteure fait clairement le choix du suggestif et du délicat. Par appétence personnelle, j'aurais aimé parfois plus de nerf et moins de contemplation, mais le texte est tellement juste pour évoquer l'enfance sans bêtifier ou mythifier que je me suis laissée porter avec grand plaisir.
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