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Citations sur Les Héroïques (12)

Konrad était plus que mon chant du cygne. Il était le regard d'un homme qui me donnait une existence autre que celle d'une mère ou d'une épouse. Dans mon enivrement, je m'étais convaincue que mes filles en profitaient à leur manière. N'aimaient-elles pas se montrer à côté de cette mère qui enfilait un jean et des escarpins à talons? Toujours ouverte à leurs amis, la maison grouillait d’ados qui raffolaient de pizzas congelées. Non parce qu'elles étaient bonnes, mais parce qu'elles étaient jugées indignes de la table familiale par leurs mères dévouées. Autant dire que mon pathologique manque de temps, d'investissement et de patience, produisait l'effet que ne parvenaient pas à obtenir les femmes héroïques d’abnégation que je croisais aux réunions de parents d'élèves. Enfin, en apparence. Car leurs enfants avaient beau les détester, ils ne cherchaient pas à se suicider. p. 149
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Cent. Quatre-vingt-dix-neuf. Quatre-vingt-dix-huit. Quatre-vingt-dix-sept. Quatre-vingt-seize. Quatre-vingt-quinze. Quatre-vingt-quatorze. Soixante-huit. Soixante-huit… Comment se fait-il qu’à soixante-huit ans, mon corps refuse de m’obéir ? Je compte à rebours, comme c’est recommandé, en expirant très lentement. Parfois je parviens jusqu’à quatre-vingt-dix, avant de sombrer. Que faire pour résister ? Je me laisse fléchir, perds complètement le fil, dors profondément. Enfin, je n’en sais trop rien. Parfois, l’impression troublante de me promener dans mes propres vaisseaux sanguins m’accompagne jusqu’au réveil. Égarée dans l’artère plantaire médiale de mon pied gauche, je peine à remonter vers l’artère tibiale et le haut de mon corps. Par où suis-je sortie pour me retrouver soudain en lévitation sous le plafond ? Mystère. Je plane au-dessus de mon effigie que je sais pourtant être ma chair vivante. Je l’observe d’en haut, fébrile, toute en moiteur, parcourue de légers tressaillements. Embarrassée à l’idée d’être surprise à flotter ainsi dans l’air, je me précipite – ou plutôt, comment dire ? –, je me hâte de descendre, de revenir en moi. C’est par le patch de morphine que je me réintègre. Ensuite, tout se passe de manière ordinaire. J’ouvre les yeux, fixe le lustre, et sens l’odeur des œufs brouillés au bacon qu’Edward carbonise dans la cuisine en écoutant les informations sur Radio Zet. Prise de nausées, je manque de temps pour reconstituer le voyage entre le moi d’ici-bas, immobilisé par la lourde couette d’hiver, et cet autre moi, libre de se balader à travers mon système sanguin ou de le quitter, de s’envoler vers un monde conjectural, spéculatif, sinon chimérique. Ai-je été empêchée de me déplacer au-delà du plafond ou n’ai-je simplement pas gardé en mémoire la suite de mon odyssée ?
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Après des années, je me dis que l𠆚mour naît au moment où l’on est prêt à porter du crédit aux propos les plus insensés de l𠆚utre.
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Un des maîtres-mots de Grotowski, « essence », est ainsi entré dans mon vocabulaire. Dès lors je n’ai cessé de me demander : qui suis-je ? Comment savoir en effet ce qu’est notre « essence », et quel est notre « rôle », si le « rôle » pénètre l' »essence » au point qu’elle en devient l’entité constituante, à l’exemple de ce qui est arrivé au païen Genès ? La question a pris une tout autre dimension depuis que je compte les jours qui me séparent de ma mort : quelle forme donner à ce point concluant ma vie ? Quant à son sens, je ne le cherche pas. Mais la manière précise dont se déroulera mon agonie, la mise en bière, la cérémonie funéraire, et jusqu’au choix du cercueil, me préoccupent beaucoup. Je refuse qu’on improvise avec mon cadavre, comme ce fut le cas avec celui de ma mère, même s’il faut reconnaître une certaine corrélation entre les excentricités dont elle était sporadiquement capable et le rite funèbre que lui a réservé mon frère. Peut-être même, et vraisemblablement malgré lui, à travers son acte d’apparence insensée, sinon profanateur, Wladek aurait-il saisi l' »essence » de notre mère.
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Passé un certain seuil, la douleur devient salvatrice. On s'y enlise avec résignation jusqu’à à atteindre une forme d'unité bienfaisante de l'être. L’intellect et les sens, le corps et l'âme, ne font plus qu'un. Les interrogations perdent leur sens. Tout est douleur. Le cancer au stade 4 a quelque chose de religieux - il relie sa proie à l'essence, ce que les uns identifient à Dieu et les autres à son absence. Le passage dans la sphère exclusive de la douleur équivaut à l'enfermement dans un quartier d'isolement. Edward ne pourrait m'y rendre visite, même s'il le souhaitait. Il me tient la tête contre son épaule d'une main, tandis qu'il me frotte les genoux de l'autre. Un vrai supplice contre lequel je ne proteste pas, […]. p.101
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"Vient le moment où il faut que j'enlève ma chemise d'hôpital, avec sa fermeture à pression dans le dos. Edward l'ouvre délicatement, à croire qu'il déboutonne une robe de soirée. Nous avons peut-être survécu à la chute du communisme, mais mon espérance de vie est inférieure à celle de mon tube de dentifrice. Je préfère ne pas infliger la vue de ce corps étranger, auquel je ne parviens pas à m'habituer, squelettique, jaunâtre, dépecé comme celui du cochon destiné à une marinade, à l'homme avec qui j'ai partagé quarante ans de ma vie. "
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Gabriela, ma fille aux mains d’enfant rongées par l’essence de térébenthine, dirait « trip », imaginant que je ne connais pas le mot. Elle me croit dépassée, fossilisée même, dans un préjugé formaliste contre tous ces anglicismes qui nous racontent le meilleur des mondes depuis la chute du Mur.
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Depuis le déclenchement de ma maladie, mon essence m’est devenue inaccessible. Je compte, je respire, je radote, je divague, tantôt j'oublie l'esprit, tantôt le corps, c'est toujours l'un ou l'autre, jamais les deux à la fois. Mes métastases me tiennent en laisse, chaque jour plus courte. P.40
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Edward est un homme qui ne s'est jamais battu. Pourtant, quand je le vois chaque matin s’acharner contre sa tranche de bacon collée à la poêle, je suis forcée de constater que, s’il le voulait, il pourrait éradiquer à lui tout seul les nationalistes russes, ukrainiens et, tant qu'à faire, libérer la Crimée. Sans doute croit-il que d’autres s'en chargeront, pendant qu'il est occupé à remplir des tâches autrement plus importantes. C’est l’héroïsme des gens ordinaires, dont Edward a fait la preuve insigne en s’investissant corps et âme dans la culture industrielle de champignons de Paris, au moment où les chars soviétiques stationnaient à la frontière du pays et où les ouvriers des chantiers navals de Gdansk se dépensaient à combattre le régime oppresseur. p. 70
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Sans m'avouer que quelqu'un était fou dans notre lignée, je subodorais qu'une souche contaminée dès son origine, une phrase insensée, délirante, sinon monstrueuse, se promenait dans notre génome. Parmi ces millions d'êtres humains qui avaient résisté tant bien que mal à la machine de guerre, pourquoi semblions-nous avoir souffert davantage que les autres? N’avions-nous pas trop aimé notre souffrance? Lequel de ces êtres figurant sur Les tirages argentiques en sépia s’étiolait-il avec délice dans la mélancolie? Un de ces trois bambins alignés sur un sofa, en caftans brodés et petits bonnets de dentelle? Ou plutôt cette jeune femme serrée dans un corset sous sa robe élaborée, poitrine pigeonnante, les hanches et les fesses projetées en arrière, saisie en profil perdu, silhouette cambrée, un sourire de tristesse sur les lèvres? p. 51
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