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Critique de hcdahlem


Le dernier voyage de Wanda

Dans son second roman Paulina Dalmayer fait revivre sa Pologne natale. Retraçant les années qui ont transformé le pays à travers le regard d'une femme qui se bat avec un cancer, elle dit tout des contradictions qui accompagnent cette mutation à marche forcée.

À 68 ans, Wanda se bat avec un cancer et des métastases sournoises. Pour s'évader, elle se met dans un état second, se voit alitée depuis le plafond de sa chambre.
Alors elle oublie son mari Edward, député européen après avoir été journaliste, qui se console de son infortune avec l'alcool, alors elle oublie ses deux grandes filles Gabriela et Marta qui la snobent un peu, alors elle oublie sa carrière de médecin et prof à l'école de médecine. Elle se rappelle la Pologne d'où elle vient, revoit la Pologne de son enfance. Et plus précisément ses souvenirs marquants, comme ce jour où elle est rentrée chez elle avec son frère Wladek et qu'elle a retrouvé sa mère morte. Une mère qui avait survécu à la guerre, aux nazis et aux soviétiques, une mère qui restera un mystère pour sa fille. «Sans m'avouer que quelqu'un était fou dans notre lignée, je subodorais qu'une souche contaminée dès son origine, une phrase insensée, délirante, sinon monstrueuse, se promenait dans notre génome. Parmi ces millions d'êtres humains qui avaient résisté tant bien que mal à la machine de guerre, pourquoi semblions-nous avoir souffert davantage que les autres? N'avions-nous pas trop aimé notre souffrance?»
Car après tout, elle a plutôt vécu de belles années, celles qui ont vu le régime communiste s'effilocher avant de disparaître, les années soixante et le concert des Rolling Stones où elle a rencontré son futur mari, les années quatre-vingt avec le mouvement Solidarnosc, les années deux mille avec l'ouverture à l'Europe et le développement économique. Non, décidément, elle ne fait pas partie des Héroïques. Elle n'aura pas eu à se battre. Pas davantage qu'Edward. Avec ironie, elle explique que «quand je le vois chaque matin s'acharner contre sa tranche de bacon collée à la poêle, je suis forcée de constater que, s'il le voulait, il pourrait éradiquer à lui tout seul les nationalistes russes, ukrainiens et, tant qu'à faire, libérer la Crimée. Sans doute croit-il que d'autres s'en chargeront, pendant qu'il est occupé à remplir des tâches autrement plus importantes.»
Elle se souvient de leur rencontre, de leurs rêves et de leurs ambitions, de son engagement au sein d'une troupe de théâtre ou encore de sa passion pour les littérature et spiritualité indiennes.
Mais, au soir de sa vie, c'est d'abord un sentiment de culpabilité qui prédomine. Quand elle repense à Konrad, son ancien élève et amant, qui vient la soigner. Quand elle revoit sa fille avec les veines tailladées avec une lame de rasoir. «Konrad était plus que mon chant du cygne. Il était le regard d'un homme qui me donnait une existence autre que celle d'une mère ou d'une épouse. Dans mon enivrement, je m'étais convaincue que mes filles en profitaient à leur manière. N'aimaient-elles pas se montrer à côté de cette mère qui enfilait un jean et des escarpins à talons? Toujours ouverte à leurs amis, la maison grouillait d'ados qui raffolaient de pizzas congelées. Non parce qu'elles étaient bonnes, mais parce qu'elles étaient jugées indignes de la table familiale par leurs mères dévouées. Autant dire que mon pathologique manque de temps, d'investissement et de patience, produisait l'effet que ne parvenaient pas à obtenir les femmes héroïques d'abnégation que je croisais aux réunions de parents d'élèves. Enfin, en apparence. Car leurs enfants avaient beau les détester, ils ne cherchaient pas à se suicider.» Alors maintenant qu'elles ont fait leur vie, pourquoi ne ferait-elle pas à son tour un dernier voyage, une dernière folie?
Paulina Dalmayer, qui est née en 1974 et a grandi en Pologne, rend parfaitement cette frénésie, d'abord mêlée de crainte, qui a gagné le pays avec l'effondrement du bloc communiste et la remise en cause de l'Église, malgré ou à cause de leur pape polonais. D'une écriture vive et ironique, teintée d'humour, elle regarde le monde d'avant s'effacer, laissant place à un nouveau monde riche d'autant d'espoirs que de contradictions. Un monde qu'il est difficile d'appréhender tant il est mouvant, tant il va vite. Elle dit aussi avec délicatesse combien il est difficile de s'y sentir parfaitement bien.


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