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Critique de Brooklyn_by_the_sea


Quelle expérience intense que la lecture de ce roman ! L'impression d'avoir entre les mains un livre organique, qui respire, vibre, souffle, palpite, et qui nous communique son flux ; l'incroyable pouvoir des mots de Damasio.
On est en 2041, dans l'antique ville d'Orange "libérée" en 2028 -c'est à dire privatisée et rachetée par... Orange, après sa faillite et le désengagement de l'Etat. La ville est une smart-city qui ferait rêver n'importe quel adepte de la start-up nation, peuplée d'habitants catégorisés selon leur forfait-citoyen : privilège, premium ou standard -les autres étant invités à vivre ailleurs. On suit Lorca, ancien sociologue communard reconverti en chasseur de furtifs, séparé de sa femme Sahar, proferrante dans les quartiers démunis depuis la faillite de l'Education nationale. Leur couple a explosé lorsque leur petite fille, Tishka, a disparu. Mais au fait, qu'est-ce donc qu'un furtif ?
C'est ici que la poésie la plus explosive d'Alain Damasio s'harmonise avec l'anticipation la plus crue. L'auteur invente une nouvelle espèce, une forme de vie d'une beauté absolue que l'oeil humain ne peut pas voir -sous peine de la céramiser (la réduire en poterie) : le furtif. Evidemment, une telle découverte ne peut pas échapper à l'armée, qui a tout intérêt à découvrir le secret de ce pouvoir extraordinaire qu'est la liberté de fuir toute tentative de détection et de traçage.
Sur 900 pages, on suit donc la quête de Lorca et de son équipe de chasseurs, leurs questionnements et remises en question. Impossible d'en dévoiler davantage, si ce n'est que l'on croisera une foule de personnages bizarros, des insurgés épris de liberté dans une société flippante de connectivité, d'intelligence artificielle et de virtualité.
La smart-city imaginée par Damasio me paraît terriblement proche de ce qui nous attend, et j'ai pris plaisir à cette démonstration implacable de l'emprise du néolibéralisme sur notre environnement, notre existence et notre esprit. Heureusement, il y a la beauté transcendante des furtifs -et je me surprends à espérer qu'ils existent vraiment, juste pour rendre la vie plus supportable. Enfin, il y a le style Damasio, qui joue avec les mots et les sons, invente une nouvelle langue et de nouveaux signes, et c'est un enchantement à lire ! J'avais l'impression que mon esprit s'ouvrait et se déployait davantage, au fur et à mesure que je tournais les pages et découvrais une nouvelle poésie-fantaisie des mots et une nouvelle conception du monde, un peu à l'instar des personnages.
Seul bémol : l'histoire d'amour entre Lorca et Sahar, et celle de leur amour fou pour Tishka, qui donnent un petit coup de mou au roman dans son deuxième tiers. du moins, mon âme endurcie y a été moins sensible.
Ca reste néanmoins un livre incroyable de force et d'inventivité, de beauté et de poésie, de folie, de liberté, d'émotion et d'intelligence. Eblouissant.
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