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EAN : 9782370490742
432 pages
La Volte (18/04/2019)
3.9/5   2032 notes
Résumé :
Ils sont là, parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de nos quotidiens. On les appelle les furtifs. Une légende ? Un fantasme ? Plutôt l’inverse : des êtres de chair et de sons, aux facultés inouïes de métamorphoses, qui nous ouvrent la possibilité précieuse, à nous autres humains, de renouer avec le vivant. En nous et hors de nous, sous toutes ses formes et de toutes nos forces.

Dans nos villes privatisées et sentientes, o... >Voir plus
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3,9

sur 2032 notes
Quinze ans ont passé depuis la publication de « La Horde du Contrevent », véritable best-seller, et pourtant Alain Damasio dispose toujours d'une très forte popularité, au-delà même du cercle des lecteurs de science-fiction. Son prochain roman était donc attendu avec impatience et n'a pas manqué de susciter l'intérêt du public et de la presse (même généraliste, chose rarissime dès qu'il s'agit de « littérature de genre » !) qui s'accordent pour l'instant majoritairement à saluer la qualité de cette nouvelle oeuvre.

Pour ma part, même si j'ai pris énormément de plaisir à retrouver la plume et l'intensité inégalable qui se dégage des écrits de l'auteur, je ressors de cette lecture avec un sentiment un peu plus mitigé que pour ses deux précédentes oeuvres. Alain Damasio renoue ici avec l'anticipation et met en scène ce que pourrait devenir la société française dans un futur proche. On retrouve certains des éléments qui caractérisaient déjà Cerclon, la ville servant de décor à « La Zone du Dehors » (hiérarchisation des habitants, nouvelles technologies filtrantes, notation généralisée…), sauf que cette fois cette société dystopique s'insère véritablement dans un cadre que nous connaissons. L'essentiel de l'action se situe ainsi dans la ville d'Orange qui, comme Paris, Lyon ou encore Cannes, a été rachetée par une multinationale qui la gère désormais à sa guise, sans plus aucune intervention de l'état. N'allez toutefois pas imaginer la mise en place d'un pouvoir autoritaire qui contraindrait les habitants par la force. Non. le système mis en place est bien plus insidieux que cela et repose sur le consentement des citoyens qui, pour la plupart, sont parfaitement satisfaits de ce nouveau fonctionnement. Société de contrôle 2.0, dans laquelle l'aliénation n'a même plus a être imposée, « elle est devenue un self-serf vice ». C'est dans ce contexte que l'on fait la connaissance de Lorca, quarantenaire dévasté par la disparition de sa fille mais qui refuse de croire à sa mort et place tous ses espoirs dans une théorie folle que bien peu partagent : elle serait partie de son plein gré avec les furtifs, des créatures dont on ignore la véritable nature mais qui vivraient à la lisière de notre regard, se cachant dans les coins et recoins inaccessibles de notre champ de vision. Aux côtés d'une équipe de chasseurs de furtifs, une branche secrète de l'armée qu'il est parvenu à intégrer, il va se lancer dans une quête désespérée pour comprendre ce qui a pu arriver à sa fille et renouer avec la mère de celle-ci qui tente de faire son deuil et refuse d'envisager une possibilité aussi peu plausible.

Le thème de la maternité et de la paternité est au coeur de l'ouvrage, et le sujet est abordé avec une sensibilité extraordinaire qui donne lieu à de très beaux passages, sans doute les plus poignants du roman. Celui-ci possède aussi une forte dimension politique qui prend la forme d'un réquisitoire à l'encontre du capitalisme moderne et de ses travers. L'aspect le plus évident mis en scène ici est certainement le désengagement de plus en plus massif de l'état au profit des grandes multinationales. Cela passe par le rachat de certaines villes par des groupes comme LVMH, Nestlé ou Orange, mais aussi par la suppression des impôts (adieu le peu de solidarité et de redistribution qui restait !) et la mise en place de forfaits (standard, premium ou privilège) qui donnent accès à plus ou moins de droits et de lieux (certaines avenues, parcs ou places sont réservés à ceux qui payent le plus cher, les autres devant se contenter des rues bondées et de structures à peine entretenues). L'auteur dénonce également la commercialisation généralisée de tous les aspects de notre vie : des « vendiants » arpentent le pavé pour vendre/mendier leurs produits et leur marque à chaque passant, tandis que certains citoyens se voient condamnés à des TIC, Travaux d'Intérêt Commercial (« tu paies ta dette à la société en maximisant les profits d'une multinationale ! »). Mais ce qui intéresse le plus Alain Damasio, c'est tout ce qui touche à la société de contrôle et à la montagne de données que l'on nous vole ou (bien souvent) que l'on donne volontairement et qui servent à paramétrer ce qu'on nous vend, ce que l'on voit, ceux avec qui on interagit... Dans le futur mis en scène ici, chaque citoyen porte ainsi une bague qui sert à justifier de la possession de tel ou tel forfait, mais qui récupère et transmet aussi un maximum de données concernant l'individu qui la porte afin de cibler et filtrer encore davantage son rapport au monde. C'est loin d'être la première fois que l'auteur se penche sur la notion de « technococon », cet ensemble de technologies et d'applications dans lesquelles on s'enferme par confort, et certains des aspects développés ici ne sont pas sans rappeler des épisodes de l'excellente série Black Mirror (notation entre individus, compilation de données pour redonner vie de façon virtuelle à un être cher…).

Toutes ces thématiques sont passionnantes, d'autant qu'Alain Damasio les aborde non seulement d'un point de vue philosophique et politique, mais aussi en les articulant sur le réel. le problème, c'est que l'auteur a un peu trop souvent tendance à nous exposer certaines de ces théories de manière moins subtiles que d'ordinaire, sous la forme par exemple du monologue d'un personnage. Certains trouveront également très agaçant le parti pris clair et revendiqué de l'auteur qui, sur l'échiquier politique, se situerait à l'extrême gauche. Personnellement cela me va plutôt bien, mais je ne suis pas sûre que tous les lecteurs apprécieront cette « radicalité » ni les propositions d'actes de résistance et de réappropriation évoquées par l'auteur. Car loin de se limiter à un récit d'anticipation classique, Alain Damasio atténue l'aspect dystopique de son oeuvre en y intégrant une bonne dose d'utopie. Des îles artificielles créées dans le delta du Rhône pour les marginaux et les Alters aux C-Cités (« pour que le commun se réapproprie l'urbain »), en passant par des ZAG (Zones Auto Gouvernées) ou encore le réaménagement des toits des immeubles, l'auteur met en scène toute une série d'alternatives possibles à cette société de contrôle, ses personnages rivalisant d'ingéniosité pour se réapproprier cette ville où tout a été privatisé. C'est inventif, bourré d'énergie, d'enthousiasme, de bonne volonté, le problème c'est que c'est aussi souvent très « perché », comme si les personnages se livraient à un concours de « qui aura l'idée la plus farfelue », et cela peut contribuer à faire perdre le fil au lecteur. Les furtifs, ces fameuses créatures à mi chemin entre l'animal, le végétal et le minéral, participent aussi beaucoup à renforcer cet aspect utopique dans la mesure où ils représentent le dernier espoir de l'humanité non seulement d'échapper à cette société hyper-tracée, mais aussi de renouer avec le vivant dans sa forme la plus pure. L'idée est séduisante et ouvre d'intéressantes perspectives, même si, là encore, l'auteur part parfois peut-être un peu trop loin, au risque de perdre son lecteur par des théories philosophiques qui peuvent apparaître comme trop complexes ou trop fantaisistes.

Le point de crispation le plus important réside toutefois dans le style employé par l'auteur. Alain Damasio nous avait pourtant déjà habitué dans ses précédents romans non seulement à une typographie particulière, mais aussi à un langage atypique, fait de néologismes et de nombreux jeux de mot et de langage. On retrouve tous ces éléments dans « Les furtifs », mais de manière encore plus poussée. Trop, parfois. Comme pour « La Zone du Dehors » et « La Horde du Contrevent », l'auteur opte ici pour un récit polyphonique : les personnages parlent à la première personne et nous livrent, à tour de rôle et pourtant côte à côte, leurs impressions et leur interprétation de ce qui est en train de passer. Chaque changement de narrateur est signalé par un signe typologique particulier, chose qui pouvait s'avérer délicate dans « La Horde » où une vingtaine de personnages étaient mis en scène mais qui s'avère ici bien plus facile à appréhender puisque les protagonistes ne sont qu'au nombre de six. Outre leur symbole, ces personnages possèdent également une manière bien particulière de s'exprimer qui reflète leur personnalité ou leur état d'esprit : Hernan a l'habitude de mêler des mots d'espagnol à son français, Ner s'exprime de manière hachée et sèche quand Sahar est toute en douceur, Toni Tout-fou emploie un mélange de franglais et d'argot gitan, Saskia appréhende le monde essentiellement par son ouïe… On sent bien que l'auteur a beaucoup retravaillé son texte afin de soigner cette manière de parler propre à chacun, et c'est d'ailleurs tellement réussi qu'on se passe bien vite des signes et qu'on devine instinctivement à quel personnage on a affaire. le style de certains narrateurs est toutefois moins fluide que d'autres, au point que, dans le cas de Ner ou de Toni Tout-Fou par exemple, on peut davantage parler de déchiffrage que de lecture en raison de l'accumulation de termes techniques ou de mots issus de l'argot ou d'un jargon particulier. le problème c'est que ce genre de passages a tendance à se multiplier dans la seconde partie qui accuse ainsi une baisse de régime par rapport au début du roman, pourtant très immersif. A noter que l'ouvrage s'accompagne (comme pour « La Horde ») d'un album (à télécharger sur internet) écrit avec le guitariste Yan Péchin.

Alain Damasio signe avec « Les furtifs » son grand retour sur la scène de la science-fiction. Sans surprise, le roman reprend la plupart des thématiques chères à l'auteur (société de contrôle, techno-cocon, dénonciation du capitalisme…) qui sont exposées avec toujours autant de force et de pertinence, mais sans doute moins de subtilité que dans ses précédents textes. Cela pourra malheureusement rebuter une partie du lectorat qui ne partagerait pas la vision parfois radicale portée par l'auteur. L'aspect le plus réussi du roman reste sans aucun doute ce magnifique portrait de couple et de parents que constituent Lorca et Sahar, deux personnages inoubliables et qui suscitent une formidable émotion. On ressent aussi pleinement toute la solidarité et l'affection qui unit les membres de cette « horde » miniature, quant bien même le style de certains n'est pas toujours facile à appréhender. Un roman complexe qui n'est certes pas exempt de défauts mais à la lecture duquel on ressort ému, et surtout plein d'une énergie positive.
Lien : https://lebibliocosme.fr/201..
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Authentique phénomène éditorial, le français Alain Damasio a réussi l'exploit de conquérir un public débordant largement du cadre de l'imaginaire.
Pour preuve : 50.000 exemplaires écoulés pour La Zone du Dehors, sa politique science-fiction, et 250.000 pour La Horde du Contrevent, souvent considéré comme son chef d'oeuvre et roman déjà culte de la fantasy (ou de la science-fiction, c'est selon).
Forcément, après quinze ans d'absence (du moins dans la forme longue), l'auteur était forcément attendu au tournant avec son troisième ouvrage : Les Furtifs.
D'ores et déjà acclamé par certains journalistes de la presse généraliste (le privilège d'avoir été un best-seller par le passé), ce pavé de près de 700 pages renouvelle l'expérience de la Horde du Contrevent en proposant également une bande-originale signée Yan Péchin. Une promesse sensorielle en somme mais pas que, car, comme toujours avec Alain Damasio, il sera également question de philosophie et de politique. Tout un programme.

2041 sous contrôle
Nous sommes donc en 2041 en France.
Dans une pièce d'entraînement, le Cube Blanc, Lorca Varèse, quarante-trois ans, ancien sociologue reconverti dans la traque de Furtifs, passe son examen d'entrée pour intégrer l'une des Meutes du Récif (pour Recherches, Etudes, Chasse et Investigations Furtives) placé sous les ordres de l'amiral Arshavin.
Un comble pour Lorca qui a longtemps été un anarchiste rebelle à toute autorité et toute forme de contrainte. Malheureusement, sa vie a changé du tout au tout lorsque sa petite fille de 4 ans, Tishka, s'est volatilisée de sa propre chambre sans laisser de trace. Séparée de Sahar, une proferrante (comprendre professeur-errant) qui a, elle, choisi de faire le deuil de son enfant disparue, Lorca s'est engagé dans l'armée pour traquer les furtifs, une forme de vie mystérieuse à la limite de la légende urbaine.
Qu'est-ce qu'un furtif ?
Personne ne le sait encore vraiment car chaque fois que l'un de ces êtres invisibles a été perçus par l'un des membres du Récif, il s'est instantané vitrifié à plus de 1000°C pour ne laisser qu'une sculpture en céramique aux contours intrigants.
Bientôt, Lorca intègre la fameuse Meute des tête-chercheuses composée de l'ouvreur Hernan Agüero, de la traqueuse phonique Saskia Larsen et du traquer optique Nèr Arfet. Ensemble, il vont devoir apprendre à communiquer avec les furtifs afin de pouvoir remonter les miettes de pains laissées par Tishka, à moins que tout cela ne soit rien de plus que l'espoir fou d'un père incapable de faire son deuil…
Si le nouvel ouvrage de Damasio semble s'orienter vers une intrigue fantastique (avec les créatures surnaturelles qu'il renferme), le but apparaît rapidement tout autre. Construit dans un premier temps comme un roman policier où l'enjeu réside dans la résolution du sort de Tishka, Les Furtifs trahit très vite les intentions et les TOCs de son auteur. Dès la page 57, l'écrivain cite ouvertement l'un de ses philosophes préférés, Gilles Deleuze, puis se jette tête la première dans la description d'une France dystopique où, environ vingt ans après notre époque actuelle, les multinationales contrôlent tout.
Ainsi, Orange est devenue la propriété de la firme du même nom, Paris celle de LVMH, Lille celle d'Auchan ou encore Cannes celle de Warner. Prolongeant et amplifiant une réflexion politique déjà largement entamée dans La Zone du Dehors, Alain Damasio imagine une société bouffée par les technologies et où plus rien ne vous appartient, surtout pas votre vie privée devenue un objet monétaire comme un autre. Impossible de se balader librement dans des rues polluées par une publicité numérique ciblée et évolutive désormais omniprésente, d'autant plus qu'il faut absolument jouir d'un abonnement spécifique (premium, privilège, standard) pour accéder à telles ou telles zones urbaines. Un rêve de riches, un cauchemar prolétarien. Tout est pensé pour vous pousser à l'achat et la Gouvernance comme les multinationales vous espionnent sans vergogne. Si la chose fait froid dans le dos, elle s'avère tout simplement cruellement décevante en termes d'anticipation/science-fiction pure. Non seulement de nombreux romans récents ont mieux traité le même thème (on pense par exemple à Drone Land) mais Black Mirror et ses 4 saisons sont déjà passées par là, si bien que l'univers de Damasio fait un peu réchauffé, pour ne pas dire totalement dépassé. Prenons pour exemple, cette scène dans un café où Lorca et Sahar voient leur note client dégradée par la serveuse pour leurs bavardages et leur manque de politesse… Black Mirror dans les moindres détails. Par la suite, grâce à ce qu'il appelle la reul (contraction de réalité ultime) et l'emploi des Anneaux (objets connectés tout-en-un), l'auteur s'en tire un peu mieux…mais à peine…
Se pourrait-il qu'Alain Damasio ait quinze ans de retard ?

i Viva la revolucion !
Soyons clairs pourtant, outre son côté science-fictif sauce dystopie discount (même si souvent éminemment vraie sur le fond), Les Furtifs s'avère avant tout un roman politique, engagé et militant. Féroce même.
Si vous êtes allergiques à l'idéologie d'extrême-gauche, vous allez devoir prendre quelques caisses d'adrénaline sur vous car, en somme, tout le roman se construit autour d'un proto-manifeste politique virulent à l'encontre des riches, des puissants, des politiques, des propriétaires et de toux ceux qui, en somme, préfèrent l'entre-soi que l'ouverture aux autres. Tous les curseurs de la Zone du Dehors sont ici poussés à leur paroxysme et l'on passe par de longues démonstrations souvent fastidieuses d'Alain Damasio sur le bien-fondé de sa pensée politique. Une pensée uni-dimensionelle qui n'admet aucune nuance. Ce qui manque ici très clairement, c'est une subtilité dans le discours pour infiltrer le message politique lui-même au coeur du récit. le résultat donne quelque chose de lourd, frontal et rébarbatif qui finit par tomber continuellement dans les mêmes travers. Pire encore, la chose tourne à la parodie lorsqu'Alain Damasio glorifie (s'auto-glorifie ?) en faisant intervenir un philosophe du nom de Varech pour expliquer de façon fumeuse la plupart de ses théories. Pour la vulgarisation des idées, on repassera plus tard.
Ce qui n'ôte pourtant pas au roman nombre de charges sociales particulièrement justes autour du monde du travail, de la continuelle exploitation des classes moyennes, de la manipulation politique et médiatique, de l'absence de solidarité véritable, de la violence désormais intolérable quelque soit les circonstances… le vrai problème, c'est que tout cela est noyé dans une gangue prétentieuse et surexplicative qui lasse. D'autant plus que cette fois, le style d'écriture n'aide pas…

La Horde bis, le groin en moins
Ici, faisons un point sur la diégèse du récit.
Contrairement à La Horde du Contrevent qui se déroulait dans un univers fantasy totalement étranger au lecteur (et qui peut justifier son phrasé par une volonté de dépaysement abrupt), Les Furtifs suppose un monde très proche du nôtre (à peine une vingtaine d'années) dans un lieu qui n'a rien de dépaysant (d'Orange à Porquerolles en passant par Marseille, Les Furtifs n'est jamais véritablement un roman mondial). Or, Alain Damasio reproduit littéralement les mécanismes de narration de son livre précédent en utilisant une typographie particulière pour désigner ses quelques personnages principaux (à peine six) sans que cela ne semble justifié en quoique ce soit. Si l'on peut penser que le français éprouve certaines difficultés pour différencier ses personnages, il faut reconnaître que sa maîtrise de la langue reste totale…et qu'elle devient ici un obstacle même au récit. Car non content de reprendre une mise en page similaire, Alain Damasio copie-colle tout simplement des styles déjà-vu pour ses personnages principaux. Sov/Lorca ou Aguerro/Golgoth… voilà qui dénote d'une franche fainéantise dans la création de cette Meute qui ressemble souvent davantage à une Horde au rabais qu'à une véritable unité militaire. Remplacez le vent par les furtifs, et ajoutez un proto-Caracole nommé Tony Tout-Fou affublé d'un franglais+wesh d'un mauvais goût absolu (et forcé comme pas possible)…et vous obtenez des choses comme : « J'aurais été son père, je la taguais Grace. Et je la lockais trente ans dans une tour en titane pour qu'aucun keum puisse même y grimper en se ken les ongles. Tu la scannes et tu fais : C'est bon, lâche l'affaire, trop higher level pour toi… ».
Pire encore, Alain Damasio, bien déterminé à montrer au lecteur qu'il sait jouer avec les mots (mais on le savait déjà, il ne fait que surenchérir alors qu'il était déjà sur la corde raide), nous balance du slam, de la poésie-hybride fumeuse et du jeux-de-mots à tour de bras…dans un monde qui semble de plus totalement incompatible avec ce genre d'effets de manche et fanfaronnades vaines et absconses. le résultat s'avère d'une lourdeur extrêmement embarrassante et met en lumière la longueur abusive d'un roman qui aurait mérité une solide amputation d'au moins 200 pages…

Le deuil et les furtifs à la rescousse
Dans ce qui ressemble de plus en plus à un naufrage, Alain Damasio arrive cependant à tirer de beaux passages…qui relèvent en fait de la littérature générale. Sacré ironie. C'est dans la tristesse et la mélancolie que Les Furtifs trouvent ses plus beaux moments ainsi que dans ses instants de lutte à Porquerolles ou pendant le siège d'un building symbolique. Fonctionnant davantage par courtes épiphanies (on pense à la vision de la bibliothèque furtive ou ce livre-géant gravé dans la roche par les furtifs), ces instants-là font ressortir l'expérience la plus sincère d'Alain Damasio, celle d'un père qui pleure la disparition de sa petite fille et ne peut se résoudre à la laisser partir, celle d'un activiste de la ZAD (ou ZAG, Zone Auto-Gouvernée, transposée sur une île pour les besoins du roman) qui a vu ses rêves partir en fumée et ses copains blessés et meurtris. Dans ces moments-là, Les Furtifs fait preuve d'une sincérité émouvante et poignante qui arrive parfois à s'extirper du piège langagier de l'ensemble pour offrir ce que tentait d'obtenir en premier lieu Alain Damasio : l'humanité dans sa beauté et sa grandeur, avec ses nombreuses faiblesses et ses plus grandes forces, menacée par sa nature elle-même mais capables des plus belles choses.
Reste alors les fameux furtifs, MacGuffin simpliste au départ qui deviennent finalement omniprésents et résument tout l'ennui de ce récit, d'abord passionnant et fascinant puis lourd et rébarbatif à force de rabâcher sans cesse les mêmes considérations philosophiques lourdingues. du coup, le sensoriel des furtifs (le son et la musicalité qui les composent et les motivent, l'un des principaux axes du roman) n'arrive jamais à envelopper le lecteur comme le vent avait pu le faire précédemment pour La Horde. Damasio préfère la métaphore d'un furtif symbole d'ouverture et de métissage qui refuse la limite même du corps, de l'espace et des sens. Une création originale et bienvenue malheureusement perdue au milieu du reste.

Fusion boiteuse de ses deux premiers romans, Les Furtifs montrent les limites d'un Alain Damasio qui semble à la fois se répéter et s'enfermer dans une routine d'écriture et de pensée simplement harassante. Alourdi par ses effets de style ostentatoires et ses lourds tunnels (sur)explicatifs, le roman joue les montagnes russes, opère par instant de grâce avant de retomber dans l'enfer du conventionnel et du lourdingue enrobé de philo au rabais.
Si certains présentent déjà le roman pour le prochain Grand Prix de l'Imaginaire (voire même pour le Goncourt, soyons généreux et totalement hors de propos tant qu'à faire), on se dit que le lecteur avisé devrait quant à lui attendre la parution de la vraie révolution science-fictive et philosophique de l'année : Terra Ignota d'Ada Palmer (à venir fin 2019 au Bélial').
Lien : https://justaword.fr/les-fur..
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Tishka, quatre ans, a disparu. Sa mère, Sahar, est convaincue qu'elle est morte. Pour Lorca, son père, il y a une autre explication, liée aux furtifs, ces êtres quasiment indétectables et qui meurent dès qu'ils sont vus. « D'une telle intelligence sensible sont ces animaux, en fusion viscérale avec leur environnement ! Ils se déplacent si vite et si bien, en pleine perception de chaque son et de chaque matière alentour qu'il y a quelque chose de dérisoire à vouloir les capturer. » (p. 107) Pour trouver des réponses, Lorca se tourne vers l'armée et intègre un groupe de chasseurs d'élite dans l'espoir de retrouver sa fille. Parmi ses camarades, certains sont persuadés qu'il est possible de communiquer avec les furtifs. Au lieu de les attraper pour les disséquer, il faudrait les comprendre et les apprivoiser. D'autant que les furtifs semblent avoir la capacité de muter, d'assimiler leur environnement, et pourraient être la prochaine étape de l'évolution du vivant. Hélas, cette potentialité extraordinaire n'émerveille pas tout le monde et certains préfèrent encore et toujours se réfugier derrière la peur pour justifier l'éradication. « Je trouvais la crainte qui cerne, accule. L'effroi sobre d'être en face non plus d'animaux, mais d'une conscience qui nous assimile. D'une intelligence qui nous observerait vivre, tapie en araignée à l'angle mort d'un double plafond, goguenarde. » (p. 324)

Dans ce nouvel univers créé par Alain Damasio, les villes sont gérées comme des entreprises et les citoyens/consommateurs sont ultraconnectés (Lisez Novak et son Ai-Phone sur le même sujet...). Au premier abord, il s'agit surtout de leur offrir la meilleure expérience possible de leur environnement. « Une Intelligence Avenante logée comme une araignée de lumière au fond d'une base de données pense à eux, amoureusement, à chaque instant. Elle accueille sans se lasser le plus infime, le plus intime, le plus insignifiant de leur comportement, l'interprète comme un désir secret, pour un pouvoir y répondre, au bon endroit et au bon moment. » (p. 48) Sous couvert de personnalisation ultime, la manne des datas fait évidemment la fortune des consortiums. Et, évidemment, des marginaux refusent le traçage systématique et prônent des révolutions plus ou moins douces pour se réapproprier l'espace public. « Ils partent du principe que la ville doit être redonnée, réofferte. D'abord aux sans-abris, aux migrants, à tous ceux qui ne peuvent même pas se payer le forfait standard. » (p. 222)

La dédicace liminaire est des plus touchantes, et le reste du roman est à l'avenant : c'est une déclaration d'amour à la famille, d'un père à son enfant et à la mère de cet enfant. La déclaration sincère et viscérale d'un papa. « C'est fou la force de ce mot. C'est un coup de feu à bout portant avec une balle d'amour dans la bouche. Ça te dit que tu existes comme tu n'as jamais existé pour personne. » (p. 129)

Comme dans La horde du contrevent, Alain Damasio fait preuve d'une inventivité lexicale, syntaxique et typographique, entre jeux de mots et création d'un nouveau langage adapté à de nouvelles réalités. Mais même quand il glisse des néologismes ou des mots en langue étrangère, sans les traduire en bas de page, son discours reste fluide, sous réserve que le lecteur accepte de se laisser porter et de laisser le sens venir à lui. En se faisant furtive, en échappant au carcan de la langue, l'expression devient instinctive et follement dynamique. Ludique également, et c'est avec bonheur qu'on rebondit de paragraphes en dialogues, au gré des changements de narrateurs.

Les furtifs est au croisement parfait des deux premiers grands romans d'Alain Damasio. La horde du contrevent est une expression virevoltante de fantasy et La zone du dehors est une puissante et terrifiante démonstration de politique (science)-fiction. Ce nouveau roman a pris le meilleur des deux précédents – déjà excellents – et ouvre la voie d'une nouvelle littérature de genre : fluide, mouvante, bigarrée, hybride. « le furtif ne tue jamais : il fait vivre. Il métamorphose, oui, mais toujours pour y créer quelque chose de vivant... » (p. 16) Alain Damasio propose une philosophie sociale très riche et pertinente, de celles qui ne doivent pas être prises comme des manuels pour le futur, mais comme des mises en garde, tant qu'il est encore temps. « On ne peut plus faire un pas sans être tracé. Il y a comme un Parlement des machines qui décide dans notre dos. Nous sommes gouvernés par des algorithmes. Mais on ne décide jamais de leurs critères ! On ne discute pas du programme, ni des arbitrages qu'ils vont faire pour nous. Ce sont des boites noires. Ça nous rend dépendants. le système nous gère. » (p. 275) Les furtifs est pour moi l'aboutissement de ce que la culture populaire a produit de plus intelligent, et donc de plus terrifiant du fait de sa clairvoyance. Ce roman me rappelle l'excellent film de Denis Villeneuve, Premier contact, même si ses heptapodes ne sont pas vraiment furtifs, mais aussi l'incontournable série Black Mirror qui tire des sonnettes d'alarme qu'il serait temps que tout le monde entende.
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Ma Doué, quel voyage ! J'en ai encore les os rompus et des sifflements dans les oreilles !

Si vous aimez les sensations fortes vous ne serez certainement pas déçu par ce roman total et très atypique. On peut évidemment le classer dans le domaine du fantastique et de la SF, mais aussi (et peut être surtout) dans celui de la littérature expérimentale (type OULIPO plus que Nouveau Roman), de la poésie, des sciences humaines et même de la philosophie.

Tout un monde se déploie à la lecture de ce texte puissant, tout aussi marquant que “La Horde du Contrevent” quoi qu'avec une thématique et des moyens vraiment différents. La typographie y joue un rôle essentiel, chaque personnage étant identifié par une “signature” récurrente (avec laquelle on se familiarise bien vite). Il faut toutefois accepter de perdre ses habitudes : on est souvent désarçonné par des jeux de mots, des bribes de phrases en espagnol, en anglais, du verlan, et même des mots probablement inventés pour l'occasion.

L'argument de départ est le suivant : Lorca Varèse n'accepte pas de faire le deuil de sa petite fille, Tishka, disparue mystérieusement une nuit, deux ans plus tôt, alors que l'appartement qu'il habitait avec sa famille était pourtant fermé. Il est persuadé qu'elle a rejoint des êtres mystérieux, appelés les furtifs, qui ont pour particularité de se figer (et mourir) si un regard humain se pose sur eux. Sa femme, Sahar, ne supporte plus cet espoir qui l'anime de retrouver Tishka et a préféré se séparer de lui. Pour retrouver sa fille Lorca ira jusqu'à intégrer une branche secrète du ministère de la défense, appelée le Récif, qui s'est donné pour but de chasser les furtifs.

Le monde dans lequel ils vivent est dominé par la technologie, qui surveille et traque presque tout le monde, au prétexte d'assurer un plus grand confort de vie. Les villes ont été vendues à des sociétés puissantes qui les exploitent au maximum, zonées en fonction des moyens financiers de ses habitants. L'éducation est devenue entièrement privée, sauf quelques poches de résistance menées par des “proferrants”, qui prennent de gros risques pour tenter d'enseigner aux exclus du système. Sahar en fait partie.

Ce que je viens d'écrire ne représente qu'une infime partie de tout ce qui fait la richesse et la grande originalité de ce livre. Habituellement je lis assez vite un roman qui me happe. Ici, au contraire, j'ai dû m'astreindre à prendre tout mon temps pour tenter de saisir le maximum de ses fulgurances. Et j'ai adoré ça !

L'éditeur La Volte offre la possibilité de télécharger un album signé Yan Péchin et Alain Damasio en accompagnement de ce livre. Je ne l'ai pas (encore) fait. Je ne voulais pas rajouter un niveau supplémentaire à une lecture qui en comporte déjà tant et dont le son est souvent au premier plan du récit.
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J'ai été très déçu par "Les Furtifs", à tous points de vue : style, histoire, personnages, univers…
Et dire que j'en avais entendu tant de bien !... Et que durant toute ma lecture, je n'ai eu d'autre envie que de l'avoir fini !...
Vraiment, vraiment, en toute sincérité, je ne comprends pas l'enthousiasme suscité par ce texte, je ne veux pas dire que cet enthousiasme n'est pas légitime, mais, pour ma part ( et c'est là quelque chose d'uniquement personnel ), ce roman est à l'opposé de tout ce dont ( personnellement, je le répète ), je rêve en matière de littérature.
Point de vue style, pour commencer, j'ai été plus que perplexe ; car, j'ai trouvé le style lourd, pas très artistique. J'ai eu l'impression d'avoir un style assez banal, quelque chose qui me fait l'effet d'une chose dont l'auteur ne s'est pas beaucoup préoccupée, se contentant, me semble-t-il, d'une version un peu plus riche littérairement de ce qu'on fait de pire, en matière de style dans la littérature de genre. On y retrouve tous les éléments constitutifs du style consternant d'Eoin Colfer, de Michaël Scott et de Brandon Sanderson, à commencer par le langage plus oral qu'écrit. On retrouve également chez Damasio leur focalisation interne maladroitement maîtrisée et leur forte tendance à la digression.
Le style n'a pas été mon seul motif de déception, en ce qui concerne "Les furtifs". J'ai également fort peu apprécié le caractère confus du livre. On y trouve certes beaucoup de choses, d'éléments ; et des éléments intéressants ; mais de façon désordonnée. On passe souvent d'un sujet à l'autre ; et je pense, en outre, que souvent, ces éléments sont trop peu développés. le livre n'aurait pas forcément perdu si l'auteur avait fait deux fois plus de pages, je dis cela, malgré ma déception ; au moins, dans ce cas, j'aurais sans doute pu dire quelque chose de bien de ce texte, j'aurais pu souligner l'intérêt que j'ai trouvé aux idées de l'auteur.
En l'occurrence, c'est plus compliqué ; c'est-à-dire que l'auteur développe des idées, souvent assez banales, mais où il y a parfois, souvent même, des pistes philosophiques intéressantes ; ou des pistes intéressantes en ce qui concerne l'anticipation à laquelle procède l'auteur. Mais ces pistes sont trop peu développées ; et je ne puis dire qu'elle justifient, à mes yeux, de lire ce roman.
Un autre sujet d'agacement a été les personnages. Je les ai trouvé d'une telle platitude !... Pas un seul instant, pas un seul, j'ai pu établir avec eux cette sorte de pont qui fait, quoique nous soyons différents, nous avons l'impression, en tant que lecteurs, qu'ils existent, qu'ils appartiennent au même univers que nous, qu'ils ont quelque chose en eux qui nous donnent l'impression d'avoir affaire à des êtres comme nous, qui pensent, qui ressentent.
Par ailleurs, l'inventivité typographique d'Alain Damasio m'a semble déplacée. J'y aurais trouvé de l'intérêt si elle avait eu un lien avec le texte, avec l'histoire, avec les personnages avec l'univers ; mais là, j'ai juste eu l'impression d'avoir un écrivain s'amusant avec un jouet.
Ma lecture fut donc décevante.
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critiques presse (7)
Telerama
29 janvier 2021
Damasio y imagine une France de 2040 où les entreprises comme Orange privatisent les villes, où l’État est en faillite et où l’ubérisation massive de la société asservit les humains. Une dystopie très actuelle en somme.
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SciFiUniverse
31 mai 2019
Ce roman est une expérience littéraire, un engagement politique et un moment de joie. Ne passez pas à côté !
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Telerama
23 avril 2019
Une description terrifiante de notre société et de notre auto-aliénation. Un livre résolument politique.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeMonde
18 avril 2019
Le romancier et nouvelliste, auteur en 2004 du remarqué La Horde du Contrevent, revient enfin et en force avec Les Furtifs, chant d’amour à l’intraçabilité dans un monde où celle-ci devient chaque jour plus chimérique.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Actualitte
17 avril 2019
Avec Les Furtifs, l’écrivain pousse le volume et les limites du genre romanesque explosent : tout ce qui était dans La Horde a germé, poussé, fleuri dans des proportions hors norme.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Liberation
15 avril 2019
Ambitieux par tous les thèmes qu’il brasse, son amour parfois inconsidéré du son et son engagement langagier, les Furtifs estomaque. Et joue avec la mort. Si vous parvenez à cerner et à regarder un furtif dans les yeux, il tombe raide. Une œuvre d’art stratifiée à poser dans votre salon.
Lire la critique sur le site : Liberation
Liberation
15 avril 2019
Un père part à la recherche de sa fille probablement enlevée par des furtifs. Autour de cette quête, l'auteur réalise la synthèse de tout ce qui lui semble aigu dans notre société aujourd'hui : l'ultralibéralisme, l'ultratechnologie, mais au-delà de la dystopie, des pistes insurrectionnelles et vitalistes.
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (325) Voir plus Ajouter une citation
- Papaaa !
- N'aie pas peur ! C'est juste des doudous, tu sais ...
- Papa !!

C'est fou la force de ce mot. C'est un coup de feu à bout portant avec une balle d'amour dans la bouche. Ça te dit que tu existes comme tu n'as jamais existé pour personne C'est un appel qui happe le présent pur, il t'avale. Il t'oblige à être ici : ici même, hic. Tu ne sais pas ne pas y répondre, parce que voilà : tu es là, elle est là et son appel jette une passerelle vers toi que tu n'empruntes même pas : elle te traverse de part en part, elle te crée deux bras de plus, des jambes en mieux, un visage et une voix doubles. Un nous. Papa. C'est le premier mot qui sort un jour des lèvres de ton bébé et qui veut dire "lié". Deux. Fonduensemble. Plus jamais seul.
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Ce matin-là, une jeune mère célibataire, en baskets à coussin d’air et collant vidéo, chantait le jingle de la réul à seule fin d’avoir le droit de se coucher sur un banc, la nuit tombée, sans que le courant électrique la secoue, chaque quart d’heure, pour stationnement prolongé. Sur le rond-point, un quinqua à la veste émotive, ici gris pâle, jouait seul les quatre personnages d’Amis-Amies, la série « conviviale » qui faisait un carton et m’interpella les deux bras levés, vu que j’étais le seul à le regarder, pour me vanter la saison 9. Sous un crossland où des ados venaient partager leur musique, une minotte d’à peine seize ans jonglait du genou avec une canette pour m’abonner à Fusal. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle était là, elle m’a avoué que ses parents venaient de casser son contrat d’éducation suite à son troisième fugue et qu’elle n’avait plus droit à l’enseignement non plus. D’autres vendiants m’avaient suivi, arrêté, croisé sur mon kilomètre de marche, certains pour m’offrir une bague universelle, qui un bracelet de cent téras, des smartglass, un dîner végis, d’autres cinq minutes de speed matching avec une célibattante tout-à-fait-votre-genre. Ils s’accrochaient à vous, ils vous tenaient le bras ou se plantaient devant vous, ils cherchaient à « établir le contact » comme les vidéos de coaching qui pullulaient sur le réseau leur conseillaient de le faire.
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En remontant sur le toit, Toni me remontre un à un ses croquis, un à un les seize glyphes : il ne peut s’empêcher d’y voir une calligraphie globale, de l’envisager comme une fresque destinée à un public. Et si c’était notre erreur ? Si au lieu d’y lire un tout, il fallait coller en aveugle à la trace, si à contrario ne comptaient que le trajet, le parcours dans son déroulé, dans son improvisation, et pas son rendu final sous un œil holistique ? Ramener au simultané ce qui a été cinétique et s’est diffracté dans la durée, fût-ce celle d’un éclair ? Vouloir peindre avec une seule image, ramasser d’une seule page, une mélodie qui aurait pris son espace et son temps pour exister ? Et pourtant … Pourtant j’ai la même intuition que Toni. Il existe une volonté de dessin, comme un désir d’œuvre qui se dégage de cette indiscutable élégance, une envie de signer sa vie en partant … Une allure de paraphe tracé à la hâte à la pointe de l’épée par un chevalier qui se saurait déjà mourir et qui ferait siffler une ultime botte dans l’air, à vide, avant que la flèche du temps ne le transperce… Un paraphe pour exprimer … quoi ?
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Ils sont tous là, donc, tous les mouvements radicaux que compte l'Hexagone [...]
Assis en cercle dans le parc de l'hôtel ferraillait le panel ample de la lutte, dans ses composantes plurales. Les 1/g portés sur le combat et la guérilla, les armes à fabriquer, le système de défense des forts, la nécessité de propager le feu de la révolte sur toutes les îles à la fois. Les Citoyennistes, étoilés de principes, de respects croisés, de consensus-à-trouver, d'ouverture maximale à la société civile - en bref, faire de Porquerolles un modèle d’accueil et de démocratie. Les Corsaires avec leur anarchisme ancré, leur passion pour les îles et le moindre caillou émergé, les villages flottants en pleine mer, les cargos pirates et les cités-ferries, qu'ils rêvent comme des immeubles vagabonds, indépendants de tout territoire puisque la mer sera leur terre si bien qu'ils échapperont au droit. Les Survivalistes en mode "Apocalypse Now !" - tunnels, terriers, bunkers, qui feraient bien de Porquerolles une taupinière comme de la batterie de Mèdes l'université mondiale des cours de survie. Les Primitifs qui visent une écologie radicale, une île intégralement notech, sans moteur, sans bague, sans bruit. Les Terrestres qui se veulent plus pragmatiques, parlent de restanques à restaurer, de coupes raisonnées pour une filière bois locale qu'irait de l'arbre à la table, pensent permaculture et agrumes bio et n'excluent pas l'élevage dans les plaines, voire la chasse en cas de surpopulation de sangliers. Et bien sûr la Mue, qui imbibe tant d'autres luttes, ce mouvement transverse qui libère les corps et les genres, cherche ce point de fluidité de l'humain nuancé qui ne refuse pas l'ancrage, pour peu qu'il soit volontaire et pas assigné par la société.
Et tellement d'autres encore, aussi exaspérants que touchants : les pacifistes, les drogués, les épicuriens, les terraristes, les collapsologues, les narcissiques, les misanthropes, les no-future et les no-ways, les yes-we-can et les à-quoi-bon. Toute cette faune et cette flore de ceux qui n'ont parfois qu'un seul point commun : penser que ce système est le mal. Sans avoir la moindre idée, le plus souvent, de ce qui pourrait être "le bien" - ou tout du moins "le mieux".
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Quand j'ai parlé des degrés de liberté aux adolescents, ces degrés que le numérique leur a fait perdre par rapport à leurs grands-parents - anonymat des échanges, des courriers, des achats par exemple, liberté d'expression sans trace - ils ont commencé à mordre. Ça s'est senti aux regards, aux discussions parasites dans les travées, aux questions. Le sujet les touche, naturellement, ils le vivent, ils sont nés dans ce monde bagué où le moindre de leur acte s'enregistre et informe un tiers de ce qu'ils sont et font. (...)
Chez cette génération, la tranche d'attention continue avoisine les trente secondes. Elle était encore de deux minutes il y a dix ans.
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Vidéo de Alain Damasio
Depuis un peu plus de 20 ans au grès de nouvelles et de trois immenses romans, Alain Damasio nous accompagne. Au travers des livres "La Horde du Contrevent", paru en 2004 et "Les furtifs", chez Gallimard, il construit une oeuvre assez extraordinaire imprégnée d'aujourd'hui et ouverte sur demain, rempli de poésie, de pulsions de vie mais aussi à la gloire de l'imaginaire. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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