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Critique de Glyphe


J'ai d'abord eu de la peine à m'immerger dans la narration de l'auteur, dans ses techniques d'écriture fuyant l'ordinaire. Puis j'y ai pris goût. Au-delà de l'histoire même, qui m'a plu sans me transcender, je suis tombée d'amour pour cette poésie sans pareille, ce renouveau des mots et de sens auquel s'attelle Damasio. Grâce à des procédés étranges et innovants (la typographie pour indiquer les changements de points de vue, par exemple), l'auteur porte le récit à un tout autre niveau que la littérature usuelle. La narration ne se suffit plus des mots, déjà riches, mais prend du relief pour se jouer sur de multiples autres plans, à la fois stylistiques et, si je puis dire, cérébraux. L'histoire, bien que passionnante, n'est pas ce qui m'a le plus touchée. La comparaison me vient d'elle-même : de la même manière que le contact des furtifs influe sur les humains, engendrant de graduelles mutations jusque dans le fonctionnement de leur mental (confer l'évolution progressive de leur langage et de leur pensée, dont les lettres changent de position dans les mots, ou la ponctuation qui s'emballe lorsqu'ils perdent pied, à l'image de Ner au moment d'« invoquer » ; confer le déplacement de la conscience sur un autre plan lorsque les capacités furtives se manifestent, comme lorsque Lorca Varèse se découvre capable de se cacher en anticipant le moindre mouvement de ses pisteurs ; confer l'usage déconcertant du conditionnel lorsque ce même personnage se sent sortir de son corps et vivre les événements à la troisième personne, ainsi qu'il le décrit), je suis sortie de cette lecture avec le sentiment d'avoir entamé une mutation : structurellement parlant, je sens parfois mon langage et mes pensées se déplacer sur d'autres plans. En voilà un exemple : je suis absolument fascinée par l'emploi atypique du conditionnel que fait Damasio. Celui-ci révèle une sorte d'état second d'un personnage qui, plutôt que de se trouver dans le rêve ou la projection hypothétique, comme l'exigeraient les règles du conditionnel, reste ancré dans la réalité. Je me suis arrêtée de longs moments durant ma lecture pour le comprendre, non seulement sur le plan intellectuel (il est aisé d'accepter l'idée que ce conditionnel exprime un état altéré), mais également dans ses fondements profonds ; ce que je n'ai pas réussi. Je n'ai pas réussi à sentir, en moi, ce conditionnel couler naturellement, à en ressentir la relevance profonde. Jusqu'à aujourd'hui. M'adonnant à l'écriture par loisir, je suis arrivée à une scène où le protagoniste, profondément chamboulé par un événement qui le dépasse, doit toutefois poursuivre son chemin. Tout ce qui se déroule autour de lui prend alors une nuance de rêve. C'est ainsi que j'ai écrit, tout naturellement : "L'oiseau les porta jusqu'au lac. [...] Alors, elle aurait vu la roselière. Elle se serait laissé tomber dans l'eau miroitante. Elle aurait couru à sa surface." Et ainsi de suite. Cette extension du conditionnel ne se joue pas qu'au niveau esthétique, je la ressens au niveau mental. Je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec les mutations cérébrales initiées par les furtifs. Et je trouve cela absolument fascinant.
J'ai commencé à rédiger ces pensées en cherchant si cet usage du conditionnel était correct, bien que rare, afin de pouvoir le préserver tel qu'il m'était venu dans mon récit. Si quelqu'un peut répondre à cette question, j'en serais très reconnaissante.
Avec mes remerciements, et bonne lecture à ceux qui n'ont pas peur d'évoluer.
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