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Critique de HundredDreams


Je viens d'achever le nouveau livre phénomène de la maison d'édition Toussaint Louverture, un roman qui fait l'objet d'un culte grandissant auprès des lecteurs. Vous trouverez même sur Internet de nombreux forums de discussion et d'échange consacrés à ce livre, en raison de la complexité et de l'ambiguïté du texte.

Pour la petite anecdote, ma curiosité était déjà piquée avant sa publication. Lorsque je l'ai aperçu en librairie, mis en valeur sur un présentoir, je l'ai pris dans mes mains en étant convaincue de l'acheter. Mais en le feuilletant, sa lourdeur et sa complexité apparente m'ont impressionnée et je l'ai reposé. Et puis, lorsque plusieurs ami.es babéliotes ont voulu se lancer dans cette expérience littéraire en lecture partagée, je me suis jointe à eux.

Ma lecture s'est apparentée à une plongée en eau trouble : au départ enthousiasmée par ce roman atypique, je me suis aussi retrouvée plusieurs fois seule, perdue dans l'obscurité sinueuse de ces couloirs labyrinthiques, ne sachant plus si je devais continuer, rebrousser chemin ou abandonner.

« C'est comme s'il y avait autre chose, une chose au-delà de tout ça, une histoire plus vaste en train de se profiler dans le crépuscule, et que pour une raison inconnue je suis incapable de voir. »

En sortant de cette maison, je suis partagée entre plusieurs ressentis : j'ai conscience d'avoir vécu une expérience de lecture rare, mais l'intrigue est si complexe que je ressors avec plus de questions que de réponses.
Si je suis arrivée au bout de ce livre-monument, je dois en remercier mes compagnons d'aventure, Doriane (Yaena), NicolaK, Jean-Michel (michemuche), Berni_29 (Bernard), et Paul (El_Camaleon_Barbudo).

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Alors de quoi parle vraiment ce livre-phénomène ?
La famille Navidson emménage dans une vieille maison datant de 1720 et remarque rapidement qu'elle est plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur et que ses caractéristiques physiques changent, laissant apparaître une nouvelle porte et un couloir obscur et glacial qui s'enfonce dans les ténèbres sous la maison.
Le mari, Will, photographe célèbre lauréat du prix Pulitzer, décide alors d'installer des caméras dans toute la maison afin de réaliser un film documentaire, à la manière du "Projet Blair Witch".

En marge de cette histoire, nous suivons un autre récit, celui de Johnny, un jeune drogué qui emménage dans l'appartement d'un vieil homme décédé depuis peu. Celui-ci a laissé dans une malle un manuscrit fait de fragments de feuilles de papier que Johnny décide de remettre bout à bout.

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Ces deux récits se déploient sur deux fils narratifs parallèles, mais semblent se répondre, comme un écho. Cette trame est d'apparence assez simple, mais c'est sans compter un pêle-mêle de notes de bas de page, de digressions, de fausses références, de renvois à des annexes de plusieurs dizaines de pages en fin de livre, de poèmes, de dessins, de citations, de photos, de textes codés, de détails superflus au milieu d'autres essentiels, et d'histoires secondaires qui mènent à des impasses ou pas !

Mark Z. Danielewski s'amuse également à jouer sur les mots, à glisser de nombreuses références littéraires, historiques, mythologiques ou cinématographiques. Ainsi, j'ai vu des clins d'oeil à « Alice aux pays des Merveilles » ou à « Alice de l'autre côté du miroir ». L'ambiance rappelle aussi la série télévisée "American Horror Story ». L'auteur s'appuie également sur le récit de Jonas et de la Baleine, sur celui du labyrinthe du minotaure. Il évoque encore la boîte de Pandore pour n'en citer que quelques-unes.

Et là vous commencez à saisir toute la complexité de ce récit qui surprend par ces différents niveaux de lecture.

L'idée sous-jacente de l'intrigue est brillante, mais rien n'est jamais expliqué, ni finalisé. La maison est un labyrinthe où tout est à double sens : cette maison des feuilles en perpétuelle mutation est comme un miroir qui renvoie une image déformée. Les interprétations sont donc multiples et dépendront de la perception de chacun.
La narration place ainsi le lecteur en position où il doit lui aussi choisir son propre chemin pour évoluer dans le tunnel et trouver la sortie. Bien sûr, vu l'ampleur du défi, le doute s'installe dans notre esprit. On se demande si on ne fait pas fausse route, même si l'histoire nous rappelle parfois d'autres romans déjà lus.

« [C]eux qui explorent le labyrinthe, et dont le champ de vision est restreint et fragmenté, sont désorientés, tandis que ceux qui contemplent le labyrinthe, que ce soit en le surplombant ou l'étudiant sur plan, sont émerveillés par sa complexité. Ce qu'on voit dépend de l'endroit où l'on se trouve, ce qui fait que, dans le même temps, les labyrinthes sont simples (il n'existe qu'une seule structure physique) et doubles : ils incorporent simultanément l'ordre et le désordre, la clarté la confusion, l'unité et la multiplicité, l'art et le chaos. Ils peuvent être perçus comme un chemin (un passage linéaire mais détourné vers un but) ou comme un motif (un dessin absolument symétrique)... Notre perception des labyrinthes est ainsi intrinsèquement instable : changez de perspective et le labyrinthe semblera changer. »

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Une maison, rien de plus banal.
Et pourtant, l'auteur a réussi l'exploit de me la rendre mystérieuse, intrigante et menaçante. Sa forme mouvante et impénétrable, ses murs qui se construisent et se déconstruisent, les grondements qui jaillissent de ses profondeurs ont piqué ma curiosité. Cette maison m'a semblée vivante, avalant ceux qui osent s'y aventurer, les dévorant de l'intérieur jusqu'à les digérer.

Mais, autant l'histoire des Navidson m'a fascinée, autant je suis restée très distante de celle de Johnny Truant : je suis malheureusement restée indifférente aux émotions de ce jeune homme dont la vie tourne inlassablement autour de ses conquêtes féminines, de sa sexualité, de ses angoisses remontant à la petite enfance et de son travail dans un salon de tatouage. Je n'évoquerai même pas sa façon d'évoquer les femmes. Indifférente au récit de Johnny pour lequel je n'ai eu que peu d'empathie, j'ai décroché lorsque je m'éloignais trop longtemps du récit des Navidson.

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Et puis, il y a beaucoup de choses à dire sur l'objet-livre. Il est vraiment très lourd. En ouvrant le livre, on découvre un texte qui se lit à l'endroit et à l'envers, en diagonale et puis, on ne sait plus trop comment le lire. On le tourne et le retourne, c'est original, voire amusant.

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« La maison des feuilles » est sans aucun doute une expérience de lecture unique, mais ce livre n'est pas facile à lire. J'ai été contente de participer à cette expérience littéraire. L'objet-livre, sa mise en page, l'originalité de son thème, son incroyable complexité et ses multiples significations valent le détour.

J'aurais aimé avoir un coup de coeur. Cela n'en est pas un, mais j'ai passé un bon moment. Je garde toutefois cette impression d'une lecture inachevée et je ressens une sorte de frustration de ne pas avoir réussi à percer tous les mystères de cette maison.

Pourtant, cette lecture maintenant terminée, je ressens que cette maison continue à m'habiter, preuve que ce roman est vraiment prenant. Je repense aux idées, aux théories qu'elle soulève et au final, me reste cette question : qu'est ce qui était réel et qu'est-ce qui n'était qu'illusion ?
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