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Critique de bgbg


Roman difficile d'accès du fait de la faiblesse de l'intrigue et de l'accent mis sur un style recherché quoique parfois ébouriffé, et sur des réflexions parfois abstraites, mais qui, finalement, se lit aussi comme une autofiction portée par un pouvoir magique que s'accorde le narrateur-auteur.
Ismael est un enfant, puis un homme différent, une sorte d'anomalie, dit-il lui-même, dans le physique et le comportement. Dans un petit village algérien, cela se remarque. Son père n'attend rien de de lui, il le considère comme une tare, non comme un héritier, et ses demi-frères n'ont que moqueries envers lui, son aspect malingre et possédé par la lecture, sa voix chevrotante, ses crises, (de panique ? convulsives ?) ses hurlements et ses évanouissements, ce qu'on appelle sa maladie que lui vit comme une vengeance contre son père, Hadj Brahim, craint et détesté.
Abdel, l'aîné des demi-frères, est celui qui l'abhorre tout particulièrement, prétendant qu'enfant, à quatre ans, Ismaël l'a poussé dans le puits, ce que ce dernier dément vigoureusement. Pour lui, Abdel a basculé dans le puits en poussant son frère violemment à terre, lui faisant heurter la tête sur des cailloux. C'est alors que jaillit le cri de Zabor, que l'enfant adopta comme son prénom.
Orphelin de mère, abandonnée par son mari dans le désert avec le nourrisson, rejeté par sa belle-mère, Zabor sera élevé par sa tante paternelle, Hadjer, une vieille fille à la peau trop foncée, éternellement amoureuse d'un acteur de cinéma indien.
Plus tard, à l'école publique, il brille, mais il reste celui que l'on moque, que l'on poursuit de noms railleurs. Il finit d'ailleurs par décrocher. Resté à la maison, il a ensuite été placé à l'école coranique où il a également été lumineux, jusqu'à connaître et réciter la quasi intégralité du Coran, en classe et lors de manifestations religieuses, baptêmes, enterrements. Jusqu'à ce que le “livre sacré“, avec ses “bavardages inutiles“ ne réponde plus à ses désirs de mystères, à ses préoccupations d'adolescent, et qu'il affronte la colère patriarcale et l'indignité villageoise en abandonnant l'enseignement religieux, la prière, les ablutions et s'adonne à “l'impiété insolente“.
Adolescent, celui qui dévore les quelques livres qu'il trouve sur son chemin, se découvre un don, celui de faire reculer la mort, de faire revivre des mourants, en écrivant, en inventant des histoires qui les concernent, en donnant un sens à leur vie. Ce qui ne lui vaut pas toujours de la reconnaissance, beaucoup de “renaissants“ évitant son regard pour ne pas avouer que leur vie lui est due. Ce pouvoir le fait connaître, bien sûr, et solliciter notamment quand son père haï, Hadj Brahim, se meurt d'un cancer. Zabor trouvera-t-il alors les mots ?
Sa maladie, celle qu'enfant, il contracte après avoir vu son père égorger un mouton et qui le rendit végétarien et provoqua sa phobie du sang, porte un nom révélateur, la langue, la recherche d'une langue qui ne soit pas celle vulgaire de sa tante ou de son père, ni celle close de l'école. Cette quête de mots, de lettres, d'un alphabet, d'images, de sens, il la trouve dans la lecture, dans ces livres français qu'il récupère dans des vieux cartons et qu'il déchiffre avec peine au début. Puis il la retranscrit dans ces cahiers qu'on lui achète et dont il noircit les pages. Surprenante allégorie que celle qui consiste à faire reculer la mort avec des récits de vie. Ainsi, ces mots, leur musique, leur sens, deviennent pour lui des gages de bonheur et de liberté, ni Livre Sacré corseté, ni texte scolaire bordé de morale et d'exercices. Exemple de liberté, la diatribe contre l'omniprésence de la religion ou, plutôt, sa mise à distance pour que déborde l'élan vital.
Ce roman est une métaphore sur l'écriture. Les mots volent, les mots pèsent, le vent les disperse, les arbres les retiennent, l'écriture s'émancipe, un brin hallucinée. Il n'y a qu'à citer : « Les cimetières ne m'ont jamais convaincu. Ils ont des fonctions de portemanteau ou de garde-robe. Comment croire à la dépouille ou à la sépulture, alors que je sais que la mort n'est qu'un verre brisé ? Risibles ces pleurs sur des amas de marbre et d'os ficelés par des versets. Les cimetières, c'est de la friperie, Un débarras d'habits. de l'éternité mal cousue. » L'auteur, tel un papillon libre et joyeux, vagabonde d'un concept à son illustration lointaine et débridée. Kamel Daoud manipule la langue, la malaxe, la pressure, lui fait rendre gorge sans la maltraiter. il n'hésite pas à la détourner, jusqu'à lui faire avouer ses discordances pour le plaisir d'énoncer des suites sans logique, mais tressées comme des vols d'hirondelle.
Après avoir lu avec frénésie, Zabor, au seuil de la déraison, écrit frénétiquement, il écrit serré dans ses cahiers, il remplit des pages, écrit sur des murs, des trottoirs, partout où c'est possible dans son village où personne ne sait lire ni écrire, puis disperse ses cahiers, tout cela avec frénésie, “une sorte de déluge feuillu“. Il se donne pour fou, jusqu'à être arrêté par les gendarmes...
Zabor ou les Psaumes, un livre qui m'a submergé.
Lien : https://lireecrireediter.ove..
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