Il est parfois curieux de constater ce que l'homme est capable d'accomplir pour rien. Juste le plaisir, le désir, la volonté de faire quelque chose. La beauté de l'inutile. On appelle parfois ça l'art.
Lionel Daudet (Dod pour les intimes) est donc, à mes yeux, un artiste. Il est surtout alpiniste, son métier. En 2011, il a décidé de parcourir la France à sa façon. Et sa façon c'est tout simplement de suivre la ligne de frontière.
Les amateurs de montagne se souviennent de l'exploit de
Patrick Berhault dix ans plus tôt : traverser l'arc alpin en ouvrant, au passage, quelques nouvelles voies. le projet de Dod, même s'il débute sur le toit de l'Europe (prétexte à gravir deux fois le Mont Blanc, du coup), n'a rien d'aérien. Soit, il lui faudra traverser les Pyrénées (autre prouesse décrite par
Georges Véron et l'élaboration de la HRP – Haute Route Pyrénéenne, qui suit la frontière au mieux et que quiconque un brin entrainé peut effectuer – comptez quand même un mois sans jour off) et remonter les Alpes. Mais la frontière emprunte plus souvent des rivières, des no man's land où il lui faudra « bartasser », c'est-à-dire se frayer un passage dans le maquis, façon jungle. Il devra traverser autoroutes et lignes Tgv (surtout à ne pas reproduire chez vous !), pénétrer dans des propriétés privées parfois agrémentées de molosses baveux aux crocs patibulaires et vindicatifs. L'urbanisation sans fin lui posera des problèmes pour trouver son chemin (particulièrement à Monaco, référence de la haute propriété privée), ne s'accordant pas cent mètres de décalage latéral. Et, bien sûr, les côtes. Selon l'Ign (institut national de l'information géographique et forestière), la frontière terrestre avoisine les 3000km (2913 pour être précis) et il faut compter 5853km au contact de l'eau (Corse comprise). C'est bien entendu sans compter le dénivelé et la précision chirurgicale avec laquelle Dod évolue mais surtout les sempiternels aller/retour pour rejoindre un point d'ancrage (sa femme, Véronique, le suit en camping car) et les détours obligés. Au total, Dod estime qu'il a parcouru 10 000 km.
Lionel Daudet (aucun lien de parenté) a le sens des mots. En plus de son côté baroudeur (marche, alpinisme, vtt, kayak et même spéléologie et parapente), il sait écrire. Voilà qui fait toute la différence avec un simple récit de pérégrinations. Son parcours se lit agréablement, sans excès de littérature mais aux formules joliment tournées.
Dod est un aventurier qui évolue en milieu hautement civilisé ; il marche ou roule à la porte de votre jardin. Cela implique des rencontres, notamment celle de scientifiques du CERN (centre Européen de physique des particules) où protons et neutrons traversent la frontière franco-suisse quasiment à la vitesse de la lumière dans l'accélérateur de particules. Mais surtout, on sent bien que Dod n'aime pas pérégriner seul, même s'il fuit la foule : des nombreux amis s'invitent pour l'accompagner un bout de chemin. Et puis nous sommes au XXIème siècle : des supporters ont pu le suivre sur le blog qui, immanquablement, était mis régulièrement à jour.
Une frontière peut être perçue comme une séparation mais aussi vécue comme un lien. Les nationalismes se sont dilués dans une Europe qui, jour après jour, n'en déplaise à certains rétrogrades, se construit, se diffuse dans les moeurs. Dod l'a bien senti pendant les quinze mois qu'a duré son aventure. Si le sentiment d'appartenir à un terroir reste fort (notre identité), la suppression physique des frontières et des échanges réguliers favorisent une plus grande ouverture d'esprit.
Ce Dodtour comme il l'appelle est également l'occasion de constater que la loi littoral n'est en rien respectée et que, pour une démocratie avancée, la France compte encore bon nombre d'interdictions et restrictions désuètes et son cortège de représentants de l'ordre qui entendent bien faire respecter le dérisoire (Dod se balade bien souvent sans argent ni papiers), avant de se radoucir en apprenant le défi proposé.
Bien entendu, un tour de la France est aussi un tour gastronomique bien que, en montagne le plus souvent, il n'y aura au menu qu'un sachet de nourriture lyophilisée à se mettre sous la dent et un simple carré de chocolat comme dessert.
Depuis
Platon, on sait que marcher permet et aide à penser. Les convictions de Dod épousent bien souvent les miennes. J'aurais plaisir à marcher à ses côtés.
La force de ce tour qui n'a absolument rien à voir avec son homologue cycliste est qu'il risque de faire naitre des vocations. L'aventure est à la portée de chacun, au pied de son lit, au bout de son trottoir. A chacun de savoir ce qu'il veut faire de sa vie, car la plus belle aventure est surtout intérieure.