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Critique de Lulu_Off_The_Bridge


Je me rends compte qu'il est assez difficile de résumer ce livre et de le rendre « glamour » aux yeux du lecteur potentiel. Disons que si l'on y cherche cette sorte de luxuriance orientalo-hindoue faite de sensations longuement décantées, l'expérience risque d'être douloureuse. D'orientalisme, point. La 4e de couverture est de ce point de vue assez mauvaise car suggérant un voyage à saut et à gambades, facétieux, léger… En un mot, non pas, l'héroïne ayant tendance à chercher ses réponses dans les neurosciences plutôt que dans les livres de contes. J'ai énormément aimé et j'aime toujours Babyji, j'aime beaucoup la façon qu'a Dawesar de faire de l'authentique sans pittoresque, ou si peu, mais on peine à retrouver cette sorte de richesse narrative dans Sensorium. Qui est loin d'être creux, entendons-nous bien, juste totalement différent. Même si l'on perçoit que la froide logique de Durga en fait un avatar mûri de Babyji.
S'il y a bien une quête, elle est intellectuelle d'abord, géographique ensuite par nécessité romanesque. Et le romanesque, justement, voilà le grand absent. L'histoire, les péripéties sont minimes, tout à fait secondaires, coquilles plus ou moins pratiques des réflexions du personnage. Les personnages sont des ombres, quelques mots échangés, des réflexions qui tombent à point nommés venus de gens à qui Durga s'identifie brièvement parce qu'ils sont artistes comme elle, indiens comme elle, immigrés comme elle. On pourrait lire Sensorium comme une mise en situation d'une mondialisation toute théorique : à quel moment j'appartiens ? Quand suis-je autre ? Dans quelle mesure ce qu'on m'a appris me devient étranger ? Qui suis-je Qui suis-je Qui suis-je. Les lieux, des Flandres à New Delhi, que traverse la narratrice qui ne veut pas en être une (puisque son projet artistique principal est de se penser uniquement à la 3e personne) sont avant tout des lieux d'art et de réflexion, des musées, des galeries, des vernissages. Elle interagit peu, comme convaincue que la réponse à sa question ontologique ne viendra pas d'autrui, ou alors passé à la moulinette de son intellect suractif. On aura compris que Durga, dont l'un des prénoms est Abha, est une figure de l'auteur qui, pour le coup, se pense à la troisième personne. Roman « méta », donc. Si Durga n'obtient pas forcément de réponse, Abha les trouve-t-elle ?
Tout cela semble bien complexe… et pourtant se lit facilement grâce à une écriture extrêmement simple, plate pour certains. le fait est qu'on n'est pas surlecul-té par le travail stylistique. Voire on n'en dira pas grand-chose. Au vu de la complexité des problématiques et de l'architecture choisie, c'est aussi bien. Un style ouvragé – je doute qu'on choisisse le style que l'on adopte, mais disons qu'on peut toujours surjouer de la métaphore – aurait rendu le roman illisible. Certaines images reviennent, comme autant de petits points d'ancrage qui tracent la voie : la lune, les souris. Mais on reste très loin d'une écriture poétique.
Parce qu'au-delà des questions philosophiques sur l'identité, la perception, la sensation, le fonctionnement du cerveau, la vraie gageure de Sensorium, tient au fait que chaque chapitre est entrecoupé de graffitis, de petits paragraphes, en regard sur la page, portant sur des récits légendaires hindou (histoire de Ganesh, extraits du Mahābhārata, superstitions diverses) et sur des expériences scientifiques (le cerveau des souris, les comportements animaux, telle ou telle découverte en neurologie)

On oublie la notion de fluidité de la lecture. . Il faut prendre le coup de main, mais j'admets que cela peut fatiguer et faire franchement perdre le fil. D'où une trame narrative succincte, j'imagine. Et quand elle ne parle pas de neuroscience, l'auteur détaille les créations de sa plasticienne. C'est loin d'être évident à suivre, l'ekphrasis d'art conceptuel. Pas toujours réussi, non plus. Autant certaines sont intéressantes (la toile percée de fils de fers représentant les connections synaptiques, le rituel hindou de repentance à Ganesh à base de 108 pots de cuivre remplis de légumes secs que la plasticienne expose à New York), autant les manipulations politico-oiseuses photoshoppés font très toc.

Si je ne vous ai pas complètement perdu en route, ce roman vaut le coup d'oeil. Même pour les recalés des cours de SVT comme moi. Je vous assure qu'on survit très bien à cet étrange objet romanesque, qui tient plus de l'expérimentation que du Grand Roman. Et intérêt non négligeable, une fois qu'on a chopé le truc, on se sent intelligent. Et on apprend une foule de choses, sans pédanterie. L'un dans l'autre, de mon point de vue, l'expérience est concluante.
Lien : http://luluoffthebridge.blog..
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