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Critique de Pois0n


Dragon est ce que j'appelle un OLNI (ovni littéraire). Un polar-mais-pas-que mâtiné d'un zeste discret de fantastique, situé dans un futur imprécis mais proche, où le lecteur se retrouve projeté en immersion totale grâce à une narration précise, efficace et au plus près de ses protagonistes. Intimiste, même, puisque la quête personnelle de Tann occupe une place presque aussi importante que sa traque du meurtrier au sein du récit.

Un récit profondément anti-manichéen, puisque si Dragon ne fait clairement dans la dentelle, celui-ci ne s'en prend qu'aux pédophiles et aux proxénètes spécialisés dans l'exploitation des enfants, s'assurant que ceux-ci puissent ensuite se mettre à l'abri ou être pris en charge par les ONG. Alors, est-il un héros, un criminel, un peu des deux ? Probablement. Dragon n'a rien à perdre, Dragon frappe fort pour attirer le regard du monde entier sur ce qui se passe en Thaïlande comme ailleurs, dénonçant le tourisme sexuel sur mineurs que la corruption se plaît à tolérer.
Si Thomas Day ne glorifie à aucun moment les actes de son personnage et que son histoire est une fiction, il utilise bel et bien les deux pour délivrer un message qui est lui bien réel, mettant sa plume au service dudit message avec brio. La préface et la postface sont assez clairs là-dessus.

Le rythme du récit est parfaitement maîtrisé, et ce bien que les chapitres ne soient pas présentés dans l'ordre chronologique des évènements. Pas dit que le plaisir de lecture eût été le même le cas échéant, de toutes façons. Bref, l'auteur excelle aussi bien pour décrire la crasse de la ville à demi-engloutie, la moiteur caniculaire de la jungle, les pensées de ses personnages ou les passages d'action, sans oublier parfois une certaine poésie ou quelques traits d'humour récurrents autour du nom de famille de son protagoniste principal. Naturellement, lorsque cette narration finement ciselée s'applique aux tueries, le contenu devient à l'occasion légèrement trashouille, sans pour autant tomber dans le too much ni le vulgaire. C'est tout simplement cru, à l'image du ton du récit, ce à quoi le lecteur sait qu'il doit s'attendre dès les premières lignes, évoquant sans langue de bois la sexualité de Tann.

C'est un fait, l'ouvrage n'est clairement pas à mettre entre toutes les mains, et certainement pas celles des transphobes et homophobes qui auraient la mauvaise idée de passer par là ! La Thaïlande est en effet beaucoup plus ouverte d'esprit que la vieille Europe sur la notion de transidentité et tout un pan de l'histoire se concentre sur la relation entre Tann et Pearl, qui avait tout, en apparence, de l'idéal du policier, attiré ni par les femmes, ni par les hommes, mais par les kathoeys, l'entre-deux. Fétichiste, Tann? Clairement, oui, car voir Pearl s'affirmer en tant que « femme transgenre prisonnière dans un corps d'homme » et renier sa part masculine ne manquera pas de mettre de l'eau dans le gaz au sein du couple.
En tant que non-binaire, j'ai trouvé cet aspect particulièrement bien foutu, notamment pour ce qui est de faire ressortir cet état « d'entre deux genres », l'auteur utilisant tantôt le terme anglais « ladyboy » ou le masculin pour certains personnages, tantôt le féminin pour d'autres, notamment pour Pearl, clairement identifiée comme femme.
Bref, un polar fantastique oui, mais avec de vrais morceaux LGBT+ dedans. Et en bonus, c'est intégré de manière transparente au récit, de la même façon voire mieux que n'importe quelle histoire de cul hétéro l'aurait été ailleurs. Dragon est un bouquin à l'ambiance mature d'un bout à l'autre, alors ce ne sont pas les mots « bite » ou « érection » qui choqueront son lectorat.

Pour le reste, oui, le côté fantastique est relativement léger, mais il n'en fallait pas plus ; même si l'on aurait bien aimé que le voile soit levé sur certains mystères, on comprend que l'histoire n'en avait pas besoin. Et oui, la fin est rapide, mais la boucle est bouclée. Les seuls défauts qu'on peut trouver sont liés au fait qu'on aurait aimé en avoir davantage, pas au récit tel qu'il est. En résumé, Dragon est une très bonne nouvelle, dépaysante, à l'ambiance foutrement réussie, ne s'embarrassant pas de censure mais pas non plus de violence gratuite, tout se payant le luxe d'avoir un vrai fond. Une franche réussite !
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