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Critique de Osmanthe


Dazai revisite ici quatre contes populaires japonais à sa façon. Il convoque un narrateur qui va nous les raconter, mais d'abord à sa fille…dans un abri antiaérien où ils sont retranchés avec sa femme et le petit frère. Ce père a trouvé le moyen d'apaiser l'angoisse de la famille, et ne va pas se gêner pour teinter ces histoires de sa façon de penser, en commentant le comportement et la mentalité de ses personnages, prenant des libertés avec les oeuvres originales en en faisant un récit oral, sans support écrit…Ce narrateur est un faux-nez de Dazai, qui ne va pas s'en cacher à plusieurs reprises.

Les deux bossus, c'est l'histoire d'un pauvre paysan septuagénaire de Shikoku, qui se sent bien seul face à sa vieille et à leur fils (surnommé le saint) qui ne pensent qu'à bosser ! Ils sont bien incapables de le regarder vraiment. Même quand il a attrapé subitement sa bosse à la joue droite vingt ans plus tôt, cela ne les a pas beaucoup perturbés. Alors un soir, alcoolisé, il tombe sur un banquet de démons qui lui arrachent sa bosse ! Mais il existe dans le village un deuxième vieillard possédant une bosse à la joue…Curieusement, il est comme un double inversé du premier : sa bosse touche sa joue gauche, sa femme et sa fille sont toujours souriantes et agréables, et il est aisé financièrement. le premier vieux lui raconte son histoire, du coup il file à la rencontre des démons pour se faire enlever cette bosse qu'il ne supporte pas…Mais cela ne va pas se passer comme il aimerait…Une histoire sans morale évidente, de l'aveu même de ce narrateur fantasque, mais bien intéressante.

Monsieur Urashima est la célèbre histoire revisitée de Urashima Tarô. L'homme a sauvé sur la plage une tortue, qui va se mettre à lui parler. Pour le remercier, elle l'entraîne sous la mer à la découverte du fabuleux palais du Dragon de la belle princesse Otohime. Urashima va y passer quelques temps, mais s'émerveiller puis se lasser de cet univers étrange et merveilleux, de l'attitude d'Otohime, muette, indifférente et solitaire, qui n'a d'autre activité que jouer du koto en mâchant des fleurs violettes de cerisier de mer…Elle lui remet en souvenir un coquillage, que la tortue lui conseille de ne jamais ouvrir. Ce qu'évidemment il va faire au retour sur la terre ferme. Dazai propose plusieurs hypothèses sur la fin de l'histoire, au choix du lecteur, en convoquant, et le mythe grec de la boîte de Pandore et la version traditionnelle japonaise. Une étrange nouvelle encore, dominée par la poésie d'un monde sous-marin, à la faune et à la flore merveilleusement colorées, et par des échanges acides entre la tortue et le Urashima autour de questions de comportement de l'homme de la terre et de savoir-vivre.

Dans le Mont Crépitant, un raton échappe de peu à passer en soupe que voulait mitonner un couple de vieux. le raton s'en sort en tuant la vieille accidentellement. Il part raconter son histoire à un lapin, en fait une lapine, dont il est amoureux transi. La lapine ne partage absolument pas cette attirance et elle qui trouvait dans le jardin des vieux de quoi se nourrir, va ourdir sa vengeance contre le raton, en le faisant marcher avec cruauté. le raton a des allures de naïf soumis, qui fait aussi preuve d'égoïsme, de lâcheté et de misogynie. Une sorte de fable quelque peu féministe, qui détonne dans ces années 1940, qui plus est au Japon ?

Dans le moineau à la langue coupée, un vieux taciturne et solitaire vit avec sa vieille femme acariâtre dans une maison retirée à l'orée d'un bois de bambous. Essentiellement retranché dans son bureau à marmonner face à ses paroles acerbes, un petit oiseau se met à le visiter régulièrement. Un jour, l'oiseau lui parle, et d'une jolie voix féminine ! Sa femme l'entend et imagine qu'il a eu la visite d'une femme. Jalouse, elle s'empare du moineau bavard et lui tranche la langue. le vieux n'aura de cesse de retrouver ce moineau en passant ses journées au coeur du bois de bambous. Un jour, épuisé, il s'endort sur la neige à l'entrée du bois…Ce sera la clé pour retrouver…O-Teru, une petite poupée de femme, muette faute de langue…Mais l'attitude du vieux qui pourtant semble avoir trouvé sa pépite, est déroutante…La fin, quand la vieille s'en mêle, est assez rocambolesque et complètement inattendue.

Ces petites histoires, dérivées de contes d'origine à destination des enfants, sont ici rehaussées d'une réflexion de Dazai parfois assez complexe. Elles s'adressent donc en réalité plutôt à un public adulte. Elles prennent souvent un tour déroutant. L'irruption du narrateur Dazai est imprévisible, parfois trop longue en début de nouvelle (Le Mont Crépitant), parfois en fin de nouvelle, ses interventions sont aussi utiles qu'agaçantes. C'est sa façon de dynamiter le cours d'histoires trop connues des Japonais. Il convoque par deux fois, dans le Mont Crépitant et Monsieur Urashima, la mythologie grecque, comme pour souligner que ces récits sont universels, mais peuvent comporter des versions différentes. Chacun peut construire son histoire, selon la culture d'origine et les précautions prises pour ne pas choquer son public, ou au contraire pour mettre du piment dans le récit. En tout cas, sa limite à lui, Dazai, avec un humour fin, est d'affirmer que non, finalement il a renoncé à revisiter l'histoire de Momotaro : c'est une icône, qui fait trop l'unanimité, et on ne touche pas à un tel mythe japonais ! Il a préféré s'en tenir à des seconds couteaux dont il était possible de tirer un trait de caractère moins consensuel pour se moquer.
On retrouve un fil conducteur qui donne une certaine unité au recueil, ce sentiment de solitude qu'on peut éprouver dans un couple qui ne marche pas ou dont l'amour est usé jusqu'à la corde. Ce n'est sans doute pas le meilleur livre de Dazai, mais il est comme toujours intelligent et attachant par son inégalité même. de quoi passer un agréable moment de lecture.
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