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Critique de ATOS


Tremblantes, frémissantes mains. Fragile et frémissante chair. Qui lit les écrits d' Erri de Luca est touché. Touché profondément, véritablement. Pas frappé, pas foudroyé, pas marqué.
Simplement : touché.
Un geste, comme une grâce, un grâce dévoilée.
La nature exposée, ce n'est pas le sexe d'un ange, c'est le sexe d'un homme crucifié dont la parole est devenue sacrée. L'éruption d'une force de vie face aux instants de sa mort.
«  La nudité du corps est la chasteté de la misère ».

Pourquoi ce marbre incroyable ? pourquoi ce renoncement de l'Église face à cette vérité ? Pourquoi cet homme accepte-t-il , de ses mains, de rendre l'intégrité de son visage à cette oeuvre ? Pourquoi décide-t-il de lui rendre sa véritable image et ,à travers, ce cheminement de trouver sa propre vérité ?
Vers quoi chemine-t-il, vers qui ses mains nous dirigent-elles ?
Quel signe, quel message devons nous entendre, lire, par quelle parole serons nous touchés ?
La matière, quelle soit de chair, ou de pierre est belle par nature.
Son grain, ses veines, sa sève, sont ses beautés.
Poussière, éclat, fracture, tout cela sort et entre en nous comme une écriture.
«  Je considère l'encre comme la doublure du sang, on trempe sa plume dans l'une à la place de l'autre.Les deux contiennent le fer nécessaire ».
Erri de Luca n'est pas divin, il est humain. Il nous touche.
Le monde change, rien n'est acquis, tout est en mouvement, « Je viens à Naples, je n'y reviens jamais » déclare Erri de Luca.
Compassion, vérité. Deux mots indissociables. Deux mots liés, croisés, au centre desquels croît notre humanité.
Un regard posé sur les temps que nous devons traverser. Une feuille de route.
«  En mer, on est l'étroit au dessus d'un désert infini. »
« Autrefois , il y avait les explorateurs qui découvraient des peuples inconnus,en fouillant à travers le monde.Aujourd'hui, il y a ces visiteurs qui débarquent sur une terre ferme, qui demandent comment elle s'appelle et où elle se trouve.Ils sont inquiets d'être loin de l'endroit qu'ils ont écrit dans leur poche. Puis ils trouvent un travail qui a besoin d'eux et uniquement d'eux, à défaut d'autres ».
Accueil, compassion, partage, vérité. Lucidité.
« Je regarde les mains d'un homme pour comprendre qui il est ».
Les mots sont importants. Il est écrit : comprendre. Et non : savoir.
Un détail ...invisible peut être. Et pourtant, pourtant la nature profonde de l'écrit se trouve là.
Comprendre, comprendre d'où l'on vient, d'où vient l'autre, qui l'on est, comprendre que nous avons partagé bien des chemins, et que la route se poursuit.
Ne pas revenir, mais sans cesse venir.
« Me voici dans un lieu sacré, un sacré disparu. Les statues des divinités se sont désengagées du culte et du commerce avec l'espèce humaine. Il est resté une grandeur qui ne dépend pas de la fumée des autels. Elles ne sont pas en exil, elles sont réunies en assemblée à l'intérieur du musée par opposition au dieu exclusif et unique du monothéisme. Plus anciennes que sa révélation, elles conservent un sentiment de supériorité envers l'ultime divinité arrivée, qui leur fit le tort de les ignorer.Elles n'éprouvent aucun ressentiment.Elles ont été honorées par des poètes, des philosophes, des dramaturges, des mosaïstes et ds sculpteurs. Elles ont parlé les langues savantes, le grec et le latin, en habitant les entrailles de des volcans, les sommets enneigés, les fonds marins. Elles ont habité le monde, pas le ciel ».
Le monde, pas le ciel.
Le monde , là où vivent les hommes de la terre de la mer, du désert, de la plaine, des montagnes, sur la grande tellurique des strates, dans la mouvance perpétuelle d'un ensemble.
Les continents semblent s'écarteler et pourtant un rassemblement perpétuel se poursuit.
Vérité, lucidité, survivance. Résistance.
« Il y a de la place en chacun de nous pour accueillir les absents ».
« Ce n'est pas bien de nous rabaisser, pour ne pas déranger ceux qui nous entourent. »
Me reviennent alors les mots de René Char : «  Ce qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égards, ni patience »…
Résistance de la matière.
« L'oeil ne subit pas, mais domine ce qu'il voit ».
Erri de Luca est un passeur, il relie, il relaie.
«  Je vois gicler en l'air une étincelle qui s'éteint aussitôt. Elle voyageait depuis des millions d'années avant de s'effriter en miettes brûlantes dans le frottement avec une atmosphère, maintenant. Maintenant : je viens d'assister à l'événement le plus ancien que je connaisse. « Maintenant » est pour un instant un mot gigantesque. ».
Une immense parole, le geste de ses mains porté par un très beau roman.
Astrid Shriqui Garain
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