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Critique de michfred


La scopa est un terrible jeu de cartes napolitain.

Don Gaetano y est imbattable. Don Gaetano, c'est le concierge de l'immeuble où vit un jeune garçon sans nom, sans parents, sans amis: le narrateur de l'histoire.

Don Gaetano est un orphelin, lui aussi. Alors à cet enfant renfermé qui n'aime que le ballon, les livres et les yeux tristes de la petite fille recluse au troisième étage, il apprend la ville, Naples , la belle, la pouilleuse, la rebelle - et avec elle, la vie.

Il lui apprend la guerre que l'enfant trop jeune n'a pas connue vraiment, le soulèvement du peuple, l'arrivée des Américains, une fête qui très vite tourne mal. Il lui apprend la solidarité avec un juif lettré caché dans le labyrinthe des grottes sous la ville.

Il lui apprend l'amour avec les veuves italiennes si graves dans les rues sous leurs habits de deuil, et si chaudes une fois la porte refermée. Il lui apprend à savourer le jour d'avant le bonheur, quand une promesse d'enfance devient réalité. Il lui apprend enfin à affronter les jours d'après le bonheur, et à se servir d'un couteau.

Une seule fois, le couteau.

Mais quand il lui a tout appris, que le jeune garçon , enfin, le bat deux fois à la scopa, l'initiation est finie, et l'élève, devenu maître, part sur le dos de la mer, vers la lointaine Argentine. La terre de fuite des Napolitains pauvres que la loi tente de rattraper. Comme d'autres , autrefois.

Qui gagne, perd. "t"aggia 'mpara' e t'aggia perdere". Je dois t'apprendre et te perdre, dit le sage Don Gaetano...

La scopa est un jeu napolitain. Un jeu de cartes où tricher est impossible. Où celui qui gagne perd aussi , beaucoup.

J'ai retrouvé le charme solaire et poétique des récits de De Lucca.

Cette façon rien qu'à lui de mêler l'essentiel et l'accessoire: le tragique des existences humbles et leur reflet mythique chez les Anciens, la misère des loges et des galetas- et le luxe baroque et insolent du soleil sur les fenêtres , sur le tuf, sur la bouche béante du Vésuve.
Le comique impayable des mots, tel ce Napolitain incapable de comprendre l'italien et qui l'écorche pour notre plus grand plaisir- mais qu'on n'aille surtout pas rire devant lui, il nous en coûterait cher!- et l'art consommé de la formule, du "concetto" brillant, du raccourci poétique, fulgurant ...

Et c'est là justement que pour la première fois depuis que je lis Erri de Lucca, j'ai senti quelques réserves..

Trop poli, trop parfait, trop bien serti, trop étincelant, ce bijou du langage...Trop travaillé. Au point de forcer le trait, de frôler la citation pour pages roses...

C'est ce qui m'a retenue de donner cinq étoiles.

C'est ce qui, à mes yeux, canalise l' émotion, toute bridée par l' admiration,

Comme on trouve magnifique une broderie tout en se disant que le foulard, sans rien, aurait eu plus de naturel, plus de légèreté, plus de flou...

Voilà. Ce n'est pas grand-chose, Ce n'est rien.

Juste un petit pas de côté avant le bonheur.
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