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Critique de ClaireG


Deux hommes et une femme.

L'un, écrivain, a appris l'hébreu pour lire la Bible, et le yiddish, bouleversé par une visite au ghetto de Varsovie reconstruit et à Auschwitz-Birkenau, en mémoire de ces onze millions de personnes qui le parlaient dans les pays de l'Est avant la Seconde Guerre mondiale. L'autre, citoyen autrichien, s'est lancé dans l'étude de la kabbale, après une rencontre fortuite, pour comprendre la défaite du Troisième Reich. La femme découvre, à vingt ans, que son père est un criminel de guerre, nazi sans remords, masqué sous une fausse identité, facteur de métier, quasi muet en public pour que sa voix ne soit pas reconnue par d'anciennes victimes des camps.

La kabbale est au centre du récit.
L'auteur aime l'esthétique des lettres hébraïques et la sonorité des mots qu'il murmure. le criminel de guerre les décortique pour saisir pourquoi les chefs allemands n'ont pas désintégré le livre sacré, noyau du judaïsme, alors que l'éradication du peuple élu par la destruction des corps, a été un échec.

L'un traduit en italien des oeuvres en yiddish d'auteurs peu connus dans son pays.
L'autre associe les chiffres aux lettres pour donner sens, son sens, aux Sephiroth. Il découvre que tout y existe que la persécution des Juifs est annoncée, que la vengeance y est inscrite. Il se sent traqué depuis son retour à Vienne, non pas par ceux de son pays mais par « eux ». Il veut savoir pourquoi le nazisme a échoué et pourquoi, lui, soldat obéissant, doit errer à travers le monde.

Après le départ de sa femme, il trouve un appartement plus proche de son lieu de travail, tout près de l'Institut Wiesenthal où il dépose chaque jour du courrier, croyant prendre à revers ses poursuivants. Sa fille accepte de rester à ses côtés, sans complicité et sans conflit. Elle a reçu son père en héritage à un âge où elle aurait pu recevoir un fils. C'est un poids dont elle ne sent aucune culpabilité, aucun besoin de retrouver des enfants de nazis, aucun besoin de connaître l'identité réelle de son père. Elle pose comme modèle à l'Académie des beaux-arts. Elle se sent « faite pour le métier de statue ».

Lors de quelques jours de vacances au Tyrol, le père et la fille s'arrêtent dans une auberge. C'est là qu'a lieu la rencontre avec l'auteur, revenu d'une journée d'alpinisme.

L'un lit un texte en yiddish tout en remuant les lèvres comme à son habitude ; l'autre y voit un signe, il croit qu'il a été rattrapé, que la vengeance est proche, que sa défaite est consommée.

Ce livre comporte deux parties : la première narrée par un écrivain qui a appris l'hébreu pour lire la Bible et le yiddish par devoir de mémoire, qui ressemble tellement à son napolitain « deux langues de grande foule dans des espaces étroits ». Il brosse avec délicatesse les victimes de la Shoah.

La deuxième partie est racontée par la fille du criminel de guerre. Son enfance innocente bercée par un mensonge sur sa filiation. Sa vie d'adulte auprès d'un père qu'elle ne veut pas renier mais pas accréditer non plus.

Erri de Luca sait, en peu de mots et avec sobriété, donner de la profondeur et de l'épaisseur à ses personnages, comme il sait à merveille manier des conceptions contraires sans juger, sans prendre parti tant il connaît la complexité humaine.

Une grande humilité pour aller à l'essentiel. La classe.





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