Et puis il y a ce drôle de livre sur un garçon dans le coma, aussi injoignable qu'un portable quand il n'y a pas de réseau. Et celui de deux fillettes dont la maman malheureuse transforme son désespoir en tatouages. Ces récits la fascinent et lui donnent l'impression appréciable de ne pas être la seule au monde dans le pétrin.
Les livres sont magiques parce qu'ils emplissent le monde d'histoires. Notre propre histoire, quand elle se retrouve au milieu des autres perd de son âpreté et s'illumine. Nos soucis semblent moins sombres par rapport à ceux des autres. Quand les choses se passent bien pour les personnages alors nous reprenons courage : comme le dit Sam à Frodon, leur histoire fera partie de celles que les gens racontent encore et encore pour chasser la tristesse.
La cloche sonne une dernière fois : l’école est finie pour aujourd’hui. Les élèves sortent. Fiamma et Leila s’arrêtent sur les marches.
La mère de Fiamma travaille : son métier est assurément moins répugnant et mieux payé que celui de la mère de Leila. Quoi qu’il en soit, elle travaille beaucoup, si bien qu’elle est toujours en retard.
Les deux fillettes s’assoient sur les marches. Fiamma explique rapidement la division à deux chiffres. Leila est si heureuse qu’elle en a presque le souffle coupé. En tout cas, elle comprend le mécanisme. Puis sa camarade ouvre son énorme cartable neuf bleu marine : dedans, il y a non pas deux mais quatre (vraiment quatre) trousses complètes contenant des pinceaux, des crayons, des équerres, des stylos et des marqueurs. Tous ses oncles et tantes ont cru devoir lui offrir une trousse pour son entrée en sixième. Et chez elle, il y en a encore deux autres, monumentales, offertes par ses grands-parents. De toute façon, elle n’utilise que l’étui professionnel que lui a acheté son papa, qui est architecte.
Fiamma prend l’une des trousses, celle qu’elle a déjà prêtée à Leila, et la met dans sa main. Leila ne sait pas quoi dire.
– Je ne peux pas accepter, bredouille-t-elle.
En effet, ne serait-ce pas un peu comme consentir à ce que les gens lui fassent la charité ?
– Mais ce n’est pas un cadeau, proteste Fiamma.
Ah non ? Vraiment ?
– C’est un échange. Une trousse dont je ne sais pas quoi faire contre une visite des marais. Ça fait très longtemps que j’ai envie d’y aller, mais j’ai peur toute seule.
Un échange ? On peut vraiment faire ça ? Sans se sentir traitée comme une va-nu-pieds ?
Au fond, pourquoi pas ? Maintenant, Leila se sent même comme une sorte de guide apache.