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Critique de Glaneurdelivres


À Prague, il y a un quartier au pied du château et de la cathédrale, c'est Malá Strana.
C'est un coin charmant, tout à fait hors du temps, un petit dédale de rues pavées dominées par de superbes façades baroques, toutes plus colorées et décorées les unes que les autres…
« Quand on a un beau mois de mai, Malá Strana est un vrai paradis. La colline de Petrin se couvre de fleurs blanches, comme si partout on faisait bouillir du lait, et Malá Strana tout entière baigne dans un parfum de lilas. »

Malá Strana est le quartier natal de Jan Neruda (1834-1891), auteur tchèque à ne pas confondre avec le chilien Pablo Neruda ! (C'est après la lecture de l'oeuvre de Jan Neruda, que le poète chilien a choisi Neruda pour pseudonyme.)
« Les contes de Malá Strana » est un des chefs d'oeuvre de la littérature tchèque, qui comporte douze nouvelles.
Jan Neruda y dépeint avec humour et réalisme les habitants du quartier où il a vécu toute sa vie.
Dans ce livre, le narrateur, qui n'est autre que l'auteur lui-même, est un petit garçon de 9 ans, qui est très observateur…

L'une de ces nouvelles, « Comment on ruine un mendiant », est l'histoire de M. Vojtisek, un honnête mendiant habitué du quartier et bien sympathique aux yeux de notre jeune narrateur. Les gens le vouvoient et le respectent, mais jusqu'au jour où certaines personnes pensent que ce mendiant n'est pas si pauvre qu'il en a l'air… il possèderait deux maisons et aurait deux filles qui jouaient aux demoiselles… les ragots vont vite faire le tour des habitants de ce petit quartier.
Cancans, bêtise humaine, méchanceté des gens, vont bon train ! M. Vojtisek va être victime de la médisance populaire…

Chaque personnage de ce recueil de nouvelles a une histoire à lui, simple et atypique à la fois, racontée dans un style plus ou moins léger, ironique et avec parfois une pointe d'humour noir.
Dans la nouvelle intitulée « le coeur tendre de Mme Rus », un des plus riches commerçants de Malá Strana est mort. Même dans son cercueil, son visage a gardé son sourire commercial !
Cette Mme Rus, est une habituée des enterrements depuis le décès de son époux.
C'est même devenu son occupation principale !
C'est une vraie commère qui ne peut s'empêcher d'avoir des mots déplaisants et calomnieux envers le défunt (bien qu'elle ne l'ait pas connu de son vivant !), et cela, à chaque fois qu'elle assiste à des obsèques ! Mais va-t-elle pouvoir indéfiniment continuer à se manifester de la sorte ?

Notre jeune narrateur se souvient d'une taverne réputée de son quartier, un restaurant qui avait des allures d'Olympe… Toute la société s'y réunissait : ses professeurs, des fonctionnaires, des militaires, des aristocrates… Et ce lieu très humain lui apparaît comme divin !
Il se remémore avec fierté les moments délicieux qu'il a passés parmi tous ces messieurs qui l'impressionnaient. Il a beaucoup appris en les observant. Et parmi tous ces personnages, deux hommes sont restés pour lui, inoubliables, « M. Rysanek et M. Schlegel ».
Ces deux hommes s'assoient aux mêmes tables tous les soirs comme dans un rituel, mais ils ne s'adressent jamais la parole. Ils sont ennemis. En cause, une femme…
« Ils luttaient avec leurs armes : un silence saturé de venin, et le plus lourd mépris. La bataille restait éternellement indécise. Lequel finirait par terrasser son rival enfin vaincu ? »

Jan Neruda a le don pour « croquer » les personnages, tel un peintre, ou un caricaturiste. Sa peinture est sociale, et il décrit les personnages qu'il observe, non seulement du point de vue de leur aspect physique, mais aussi et surtout du point de vue de leurs comportements et de leurs pensées.

Dans le récit « Bavardages du soir », des étudiants se retrouvent en discutant de façon lyrique sur les toits des maisons, au clair de lune. Ils cherchent une idée de divertissement pour passer la soirée.
A tour de rôle, ils vont évoquer aux autres, le plus vieux souvenir de leur vie, et l'un d'entre eux, va raconter le plus long souvenir de tous, son histoire d'amour, une histoire de jeunesse qui se termine de façon inattendue…

Avec « le docteur trouble-fête », notre narrateur nous conte l'histoire d'un médecin qui « n'avait jamais rien soigné, ni personne. » !
Un curieux personnage. Un étudiant en médecine, raté, dont tout Malá Strana se moque.
Il n'aime pas la compagnie des gens. Il est toujours taciturne.
Mais l'attitude des habitants du quartier va bientôt changer à son égard, suite aux circonstances particulières d'un enterrement. Il va devenir « trouble-fête » pour certains et adulé par d'autres…
Mais qu'est-il donc arrivé de si étonnant pour que les gens changent ainsi subitement de position à son égard ?

La nouvelle « L'ondin », met en scène M. Rybar, un greffier à la retraite.
C'est le surnom que les gamins du quartier avaient donné à ce touchant monsieur, parce qu'il parlait sans arrêt de la mer - L'ondin étant le dieu des eaux de la mythologie nordique –
On le disait riche et collectionneur de pierres précieuses, mais sa vraie richesse n'était-elle pas tout autre que matérielle, aux yeux d'autres personnes ?

A Malá Strana, les commerces se transmettent de père en fils et les habitants du quartier ont toujours leurs repères, quant aux emplacements de leurs magasins. Mais M. Vorel, en installant son magasin à l'enseigne de l'Ange Vert, dérange les habitudes…Il venait de province…
Et pour son malheur, il fumait beaucoup trop la pipe… Sa toute première cliente, la fille d'un capitaine, va être tout à fait incommodée par la fumée que dégage sa pipe dans le magasin et va faire part de son grand mécontentement autour d'elle...Mais qu'adviendra-t-il du commerce de M. Vorel, dans le récit intitulé « Comment M. Vorel a culotté sa pipe » ?

« Aux 3 lys » est le titre d'une courte nouvelle…
Une taverne « Aux 3 lys », et « une fille aux beaux yeux ».
Elle danse le quadrille – et son regard est sacrément attirant…

Dans le récit « La messe de St Venceslas », notre petit narrateur de 9 ans, qui est enfant de choeur, se laisse volontairement enfermer dans la cathédrale Saint-Guy.
Il aimerait y voir Saint Venceslas, en personne, célébrer la messe dans sa chapelle à minuit … le jeune garçon est exalté, il a une grande ferveur religieuse. Avec lui, dans l'attente de l'apparition de St Venceslas, on découvre toutes les splendeurs qui sont conservées au sein de cette cathédrale…

L'avant-dernière nouvelle, s'intitule « Comment il se fait que l'Autriche n'ait pas été envahie le 20 août 1849 à 12h30 ? ». Notre jeune narrateur fait partie avec d'autres petits camarades, de « L'association de la Pistole ».
Ils organisent leurs réunions dans un grenier. Ils vont s'armer de frondes et d'un pistolet, pour combattre un ennemi imaginaire. Ils vont « jouer aux grands » !
Ils échafaudent tout un stratagème… Notre jeune narrateur sera commandant en chef de l'opération et il choisira de se faire appeler du nom de Jan Žižka, considéré aujourd'hui comme un héros national tchèque, - ce vaillant chef de guerre des Hussites, qui avait vaincu en 1420, des milliers de croisés avec peu d'hommes et beaucoup de maîtrise militaire –
Jan Neruda est nostalgique de son enfance, et ce récit nous le démontre bien.

Et le livre se termine avec la nouvelle intitulée « Ecrit cette année à la Toussaint ».
Il y est question d'une certaine Mademoiselle Mary et des lettres de prétendants qu'elle reçoit…
« Elle avait la trentaine sans doute, et contre tout espoir, d'un seul coup, elle avait soudain à ses pieds la première déclaration d'amour de sa vie. Vraiment la première. Jamais encore elle n'avait songé d'elle-même à l'amour, jamais personne ne lui avait parlé d'amour. Des éclairs rouges jaillissaient dans son cerveau, ses tempes battaient le tambour, son souffle s'exhalait péniblement de sa poitrine. Elle était incapable de la moindre idée claire. »

Ce livre est beau, il est richement illustré par Ludovic Debeurme et Karl Joseph, avec des photos en noir et blanc, pleines de poésie, et de belles peintures colorées.
La mise en page est très aérée, et le papier de belle qualité.
J'ose espérer, avec ma critique, vous avoir donné envie, à vous aussi, de lire ce chef d'oeuvre de la littérature tchèque et de déambuler avec les personnages hauts en couleur de Jan Neruda, dans les rues de son quartier pragois de la fin du XIXe siècle !
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