Je veux écrire les nuances. Je veux écrire la vie. La vie d’aujourd’hui. Le monde d’aujourd’hui. Les gens. On ne peut pas écrire ce qui se passe maintenant au passé simple, avec des mots usés, des expressions toutes faites. On ne peut pas écrire comme le faisaient Flaubert ou Maupassant. C’est l’équivalent du rococo ou du néoclassique. On peut certes jouer avec les codes, les revisiter, mais pas les répéter tels quels. C’est terriblement pauvre et inintéressant. Ce n’est pas ça, la littérature. Je n’aime pas cet enrobage consensuel dans lequel on essaie de noyer le lecteur. Tant de romans sont rendus mièvres par cette mode « feel good » qui gomme les aspérités de la langue et de la vie.
Que peut la littérature face à tout ça ? Que peuvent ces théoriciens qui prétendent discourir sur les littératures de l’exil sans avoir la moindre idée de ce que c’est, l’exil ? Combien d’entre eux hier savaient de quoi ils parlaient ? Le savaient réellement, intimement ?
Le tiers sauvage, c'est cette chose qui vit en toi et que tu nommes insatisfaction. Cette chose qui te pousses à écrire. Ta part d'ombre, la petite bête qui te grignote, cette voix qui te parle dans l'oreille et t'empêche de dormir.
Prends l'exemple d'Orwell : il a créé de véritables paradigmes dans la tête des gens ! L'impact de
1984 sur le vingtième siècle est immense. Et pourtant a-t-il changé le cours du monde ? Empêché une seule guerre ou la robotisation ? Si la littérature peut réellement quelque chose, c'est sur l'esprit et le coeur des individus.
Les choses finissent par arriver, mais jamais comme on l'imaginait, ni au moment où on le pensait. Ni au bon endroit. Et quand elles se produisent, il est rare que nos réactions soient aussi spontanées qu'on l'aurait voulu.
Tu ne contrôles pas le roman, c'est lui qui te contrôle.
On n'est jamais sûr de rien d'autre que du présent.
On se sent fragile quand on écrit, Clara. Indigne de l'histoire qu'on porte et qu'on veut raconter. Je le vis chaque fois. Mais la peur est dans ta tête. Ce n'est qu'une pensée, pas la réalité.
Dans un roman, il y a aussi tout ce qui ne sera pas dit de l'histoire que tu veux raconter. Ce qu'il appartient au lecteur d'imaginer. La part de l'ange, celle qui s'évapore comme dans le whisky.
La fiction possède cet étrange effet de vous happer comme si tous les éléments étaient vrais. Ils sont vrais pour l'auteur et le lecteur, mais seulement s'ils sont cohérents.