Ce roman aurait pu s'appeler « Deux cent mille signes » ou encore « de sang, milles signes » (p.123) de l'aveu de la narratrice pour faire référence à son séjour à Saint-Pétersbourg au début du roman et à son engouement pour l'histoire russe et ses drames sanglants. Pourquoi 200 000 signes? Parce que l'auteure/narratrice s'était fixée chaque jour d'écrire 200 000 signes comptabilisés par son ordinateur et d'en faire un roman au bout de 100 jours.
« Écrire un roman qui ne raconte rien d'autre que le passage des jours sous la forme de cent chapitre de deux mille signes. M'y astreindre quoi qu'il arrive – fatigue, travail en retard ou manque d'aspiration. Les Cent jours comme Napoléon […] Si possible, abolir toute forme d'intrigue […] Ne pas rechercher à tout prix le suspense, le drame, l'émotion. «
Chapitre 16, p.33
Soit un total de 20 000 000 de signes en bout de course qu'elle a probablement dépassé. Et concernant l'intrigue, malgré elle, la journaliste Linda Mulvey, a dû faire avec la disparition de sa soeur jumelle de coeur: Lily Brooks, au 3ème jour de son livre.
[photos sur mon blog et couleurs]
Ce roman est composé de 100 chapitres, brefs et concis. On les lit avec plaisir; très bien écrits. Au départ, une journaliste en voyage pour interviewer
Jan Fabre, un artiste belge, qui expose à l'Ermitage en Russie. Puis survient la disparition de son amie, jumelle américaine, qu'elle a connue à l'université Columbia. Elles se rêvaient écrivaines toutes deux. Linda a essuyé des dizaines de refus tandis que son amie a enchaîné les succès littéraires.
Combien de fois ai-je eu envie de fuir ma propre vie, à votre avis? Quelle femme ne songe jamais à cette éventualité? Et combien passent à l'acte? Parmi toutes celles qui disparaissent chaque année, combien le font délibérément, pour échapper au succès et au pouvoir de leur propre imagination? »
Chapitre 77, p.139
Linda est devenue mère célibataire tandis que Lily mord dans la vie à pleine dent. Leur vie ont pris des chemins séparés. Son amie lui manque, elle ne répond plus à ses courriers ni à ses appels et elle finit par apprendre sa disparition, contactée par Alexander, inspecteur de l'autre côté de l'Atlantique et décide d'enquêter. Apparemment son amie harcelait un photographe, ex-otage retenu un an en Syrie. Linda a du mal à y croire connaissant son amie et décide de rencontrer Elias, ce survivant dont la presse parle tant.
« Les hommes sont faibles. Ils sont poreux aux charmes qui se donnent à voir. le regard est un piège dans lequel il faut éviter de tomber. Je suis bien placé pour le savoir – c'est mon métier. »
Chapitre 43, p. 79
Un livre qui déconcerte, ne correspond pas aux critères habituels d'un rompol ni de la narration. Aliénor Dubrocq utilise les digressions comme dans un journal, plonge dans les souvenirs et nous emmène avec elle. Humour, plaisir des mots, des tournures et observation fine de la mécanique du monde.
« A la fin du Moyen-Age, la représentation la plus commune est celle d'un dieu vengeur [... citation complète sur mon blog] bourdonnement incessant dans lequel baigne désormais notre cerveau vient parasiter cette relation de soi à soi. Nous sommes à la fois partout et nulle part. »
Chapitre 34, p.62
« Aussi longtemps qu'il y aura des femmes et du sang, leur cri se propagera dans la nuit, avec les bêtes, les insomnies et l'encre sur le papier. »
Chapitre 97, p.175
« On dit que juste avant de mourir, on voit sa vie défiler devant soi. Je n'y crois pas du tout. Il me semble qu'à cet instant, tout se contracte et se dilate à la fois. On échappe enfin à la linéarité du temps pour embrasser du regard les moments forts qui se juxtaposent et se mêlent en une constellation d'images. »
Chapitre 90, p.162
J'ai été sous le charme et la forme non conventionnelle de ses écrits m'a apparue comme un plus au contraire. On lit cela comme un journal, entre fiction et réalité et on est emporté, captivé. Surpris aussi parfois de la tournure du récit.
« le langage définit tout ce que nous vivons. «
chapitre 75, p.135
J'ai choisi ce titre parmi une longue liste proposée lors de la Masse Critique de Babelio et j'ai eu une belle surprise en découvrant cet écrivain, ce talent indéniable et cette forme originale d'écrit. C'est haletant comme un thriller, émouvant et drôle à la fois. N'hésitez pas, lisez-le!
« On a beau déborder d'imagination, on ne s'attend presque jamais à ce que le réel nous offre. Parfois le plus banal, parfois le plus improbable. Incroyable,. inimaginable. Impossible. «
Chapitre 94, p.167
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