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Critique de MarianneL


Plutôt que de vivre une existence banale, Mademoiselle a choisi de se renommer Bérénice Beaurivage, comme une romancière dans un film d'Éric Rohmer, et de se détacher d'une routine sans issue, boulots précaires, bas salaires et petits chefs tyranniques. Elle a quitté son dernier poste chez Darty après avoir brandi un batteur-mixeur à la tête du chef de rayon qui lui refusait des vacances estivales.

«Certes elle pourrait chercher un emploi, attendre frugalement son premier salaire puis louer une studette où démarrer une nouvelle vie. Mais tout cela est trop lent, trop fastidieux, et il lui semble avoir parcouru mille fois ce sentier qui toujours ramène au point de départ.»

Installée dans un studio au Havre elle vit seule, détachée du monde, dans cette ville aux rues géométriques entièrement reconstruite sous la direction d'Auguste Perret, où les traces du passé ont été effacées par le bombardement de 1944. Elle aimerait se rebâtir une identité depuis ses fondations, « devenir en tous points la femme suggérée par ses six syllabes », Bénédicte Beaurivage. Et de fait Mademoiselle ressemble à Arielle Dombasle, qui incarnait la romancière dans ce film obscur. Séjournant tour à tour dans trois villes portuaires reconstruites après la guerre, le Havre, Saint-Nazaire et Marseille, Mademoiselle n'est qu'une façade, il n'y a ici aucune trace de sa vie d'avant. D'elle on ne connaît que ce nom de scène, et sa personnalité mythomane, désaxée et tellement versatile.

Oisive, elle contemple le port, les paquebots et leurs maquettes dans les musées, se fait passer pour une romancière sans écrire une ligne, et use de ses charmes pour rester à flot. Sa rencontre et sa liaison durable avec un Inspecteur de bateaux à Saint-Nazaire finit par fragiliser sa façade, sous les yeux inquisiteurs et jaloux d'une journaliste, Blandine Lenoir. Mais Bérénice Beaurivage s'accroche à son imposture et à l'Inspecteur jusqu'au délitement.

«La fin de semaine annonce deux jours en tête à tête. du lundi au vendredi, elle caresse cette perspective et, le moment venu, ne sait plus sur quel pied danser, la situation exigeant en quelque sorte de parler le plus en disant le moins. A l'écran, la romancière Beaurivage n'était jamais en reste d'un point de vue à partager, gazouillant sur mille sujets divers, et son assurance à toute épreuve la propulsait invariablement au centre des conversations.»

Sous l'apparence d'une vie indécise et cotonneuse, écho d'un monde désincarné qui ne tourne pas rond, Julia Deck compose un roman d'une construction extraordinairement rusée, comme une forme géométrique parfaite.

«Les aménagements intérieurs du studio, tout en angles droits, équipements fonctionnels et baies verticales, témoignent du style qui prédominait à la Reconstruction. le plancher exhibe quant à lui les marques d'un désastre plus récent – ouvrages de la médiathèque écrasés pages contre terre, pots de yaourt, emballages de plats cuisinés, rouleau essuie-tout, vernis à ongles, coton hydrophile, cotons-tiges, c'est dégoûtant, rien à foutre.»
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