Citations sur Le triangle d'Hiver (13)
Elle voudrait enchaîner, mais on a pas toujours à l'esprit le mot juste, celui qui transformerait l'instant en minute historique.
Non, Mademoiselle, il n'est pas question que vous preniez congés en été, c'est la période des vacances scolaires et vous n'avez aucun enfant, de toute façon madame Bloquet et monsieur Piton, qui eux en ont, m'ont déjà donné leurs dates, alors c'est trop tard, vous partirez en novembre comme tous les célibataires.
Elle aurait pu chercher un travail. Le cœur n’y était pas. Elle a commencé de fréquenter la médiathèque, les cinémas proposant un tarif réduit aux personnes dans sa situation. Au fil des mois, les heures devenues élastiques, ses actions n’étaient plus guidées que par de brusques accès d’envie ou de dégoût.
Tel celui, à l’instant, d’avoir trop buté contre les murs, et simultanément le désir de prendre l’air. Elle renfile ses baskets à scratch, son anorak argent doublé de fourrure synthétique, et dévale l’escalier de son immeuble.
Sur le quai de Southampton, il n’y a aps un chat ni même un arbre, l’architecte de la Reconstruction ayant estimé que la verdure eût inutilement distrait le regard de ses édifices en béton armé. De fait, les volumes quadrangulaires dégagent une belle impression d'équilibre grâce aux variations de hauteur, au jeu des éléments horizontaux – placettes, portiques, balcons, terrasses-, qui modulent en douceur la composition des façades.
C’est humain, à fréquenter le corps, on s’attache à la personne toute entière.
Au pire des immeubles, ces enseignes internationales qui égalisent tout lieu en une forme de nulle part.
Volets clos, il règne dans la pièce une chaleur amniotique.
Elle les méprise, rejette uniformément Monet, Pissarro, Cezanne, Sisley, ces fragments d’eau et de terre, ces petites taches de lumière qui arrachent des cris d’enthousiasme aux naïfs, comme si ce n’était pas le devoir de l'artiste de lutter contre l’éparpillement de l’esprit et de la matière.
La multiplication si désirable de commerces superfétatoires, débitants d’hypertelephones, cafés capsule au prix du diamant et grandes surfaces alterbiologiques.
Vous avez,mettons, une trentaine d'années. Cela fait environ trois cent mille heures que vous apprenez à vous connaître, en comptant le temps de sommeil qui n'a guère moins de raisons de fournir des informations sur la personne du dormeur que les instants de veille. Ainsi, vous possédez de vous-même une certaine idée, fondée sur une pratique quotidienne, des habitudes, une manière d'éprouver les émotions, de telle sorte que vous n'êtes pas bien dans votre tête – il n'y a que les magazines de salles d'attente pour aspirer à de tels sommets –, mais comme à la maison dans votre crâne. Et voici que vous êtes contrainte d'en changer. De vous extraire de votre abri le plus intime pour élire domicile ailleurs, dans la tête de Bérénice Beaurivage, dont vous ne savez rien sinon qu'elle paraissait, à l'écran, une femme que cela vaudrait la peine d'être, avec une vie facile, un bel amant, beaucoup d'argent.
Ensuite j’ai pris le DVD. Il s’agissait d’un long-métrage d’Erich Rohmer intitulé L’arbre, le maire et la médiathèque, formule étrange qui ne m’a pas encouragée à l’insérer tout de suite dans le lecteur. Pour ce faire, j’ai attendu que l’Inspecteur parte travailler le lendemain matin, et je me suis installée à mon aise dans le canapé.
L’intrigue, au demeurant fort mince, reposait sur le triangle composé par un homme et deux femmes, le rôle principal échéant au comédien Pascal Greggory, qui d’abord vivait avec Arielle Dombasle puis, au fil d’interminables arguties, se retrouvait avec Clémentine Amouroux. J’ai pensé que je ressemblais assez à la première, on me l’avait déjà remarquer, mais en dehors de ce détail, rien dans le film ne pouvait éclairer ma situation précédente. De dépit, comme j’avais lu tous les romans de la bibliothèque, je me suis tournée vers la pièce de Jean Racine, qui n’avait pas regagné le dernier tiroir, intitulée Bérénice et que j’ai parcouru d’un oeil distrait, n’étant guère portée vers la tragédie. !j’ai tout de mêmes enregistré la coïncidence entre les deux Bérénice, le personnage interprété par Arielle Dombasle dans le film d’Erich Rohmer s’appelant ainsi, et le soupçon m’est alors venu que c’était également le prénom de la morte.