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Critique de gabb


Si y'a un truc qui m'horripile au quotidien, c'est bien la PUB !
Les slogans racoleurs, les effets de mode, le matraquage permanent, les campagnes ciblées et les spots vides de sens rediffusés à l'envi, la marchandisation du "temps de cerveau disponible", le "j'achète donc je suis", beurk beurk et beurk. Très peu pour moi.
Alors pourquoi, me direz-vous, m'être tourné vers ce roman dont les personnages, si l'on en croit la 4ème de couverture, semblent évoluer dans un monde de consumérisme et de superficialité de mon point de vue très peu engageant ?
Eh ben tout simplement parce que je garde un très bon souvenir de ma première rencontre avec Jonathan Dee (Ceux d'ici), et que j'étais curieux de voir s'il arriverait à me convaincre à nouveau dans cet exercice autrement plus périlleux : celui de m'intéresser à la pub ! Allait-il trouver une porte dérobée pour me faire entrer dans cet univers que je m'efforce généralement d'occulter (avec plus ou moins de succès...) ? Allait-il réussir à démonter pour moi les rouages secrets de cette fameuse "fabrique à illusions" afin de m'aider à y voir un moyen d'expression artistique exaltant et débridé, aussi "respectable" que les autres ?

440 pages plus tard, il me faut bien admettre que la réponse est oui, Jonathan Dee a encore gagné son pari !
Comme la première fois, j'ai eu un peu de mal à m'acclimater à sa prose plutôt décousue, avant de me laisser complètement embarquer par ce roman. L'auteur y met en lumière, avec un cynisme qui m'a beaucoup plu, tout un pan de la société américaine, "laquelle masque son absence de racines culturelles sous la consternante exaltation de la nouveauté et laquelle, au lieu de se soucier d'éternité, a parachevé l'art d'oublier, de manière à pouvoir réapprendre les mêmes choses à l'infini avec un enchantement sans cesse ravivé."

Son histoire, très bien menée, met en scène deux personnages principaux aux caractères finement analysés et aux états d'âme soigneusement disséqués.
La belle Molly, éprise de liberté et d'émancipation totale, multiplie les aventures sans lendemain. L'autodénigrement maladif dont elle fait preuve l'empêche de concevoir que les hommes puissent sincèrement lui vouloir du bien.
John, quant à lui, plaque le même jour sa compagne et son agence de pub "traditionnelle" pour suivre son patron, l'excentrique et charismatique Mal Osbourne, dans un nouveau projet aussi ambitieux qu'incertain. le bonhomme s'est en effet mis en tête de révolutionner de fond en comble le monde de la publicité ("le plus grand mode d'expression de notre époque [dont le budget annuel mondial, entre parenthèse, est plus important que celui dévolu à l'éducation publique]") : adieu les accroches creuses et les spots pré-formatés, place aux véritables oeuvres d'art, aux performances spectaculaires et complètement décorrélées des marques qu'elles sont censées représenter. Il est en effet entendu que "les publicités n'ont rien à voir avec la qualité, la valeur ou la nature du produit qu'elles promeuvent, et ce depuis très longtemps. Cette relation est totalement caduque." C'est le début d'une expérience sociale et artistique inédite, qui évidemment ne se déroulera pas tout à fait comme prévu...

Bien sûr aussi, comme on le devine vite, les destins de Molly et John se trouvent inextricablement liés sans pour autant - et pour moi c'est heureux ! - que l'auteur ne verse de manière trop caricaturale dans la romance bébête. Bien au contraire, la relation qui se développe entre elle (l'Insaisissable) et lui (l'Idéaliste) se révèle être d'une étonnante complexité, et j'ai pris beaucoup de plaisir à suivre leur curieux pas de deux.

Le principal point fort du roman n'en reste pas moins cette double réflexion très pertinente autour de l'art (la conception d'une oeuvre, la façon dont elle est diffusée et celle dont le public se l'approprie) et de la publicité, que Mal Osbourne qualifie non sans une certaine justesse "d'authentique parasite mental".
Pour lui, "nous vivons dans une époque où l'avant-garde a cessé d'exister, où plus rien ne choque personne parce que nous avons tout vu, tout fait, tout enfreint, tout renversé. [...] Pour retrouver cette puissance avant-gardiste, il faut, paradoxalement, travailler dans le plus banal de tous les médias. [...] Si on veut faire quelque chose d'intéressant, quelque chose de nouveau, on doit oublier les livres, oublier la peinture, la sculpture, le théâtre, le journaliste, le cinéma. On doit s'intéresser à la publicité. On doit annexer son incroyable capacité de destruction."
Tout un programme, n'est-ce pas ?
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