AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Kirzy
06 novembre 2021
Rentrée littéraire 2021 #40

Le titre annonce une tragédie biblique. le magnifique prologue, situé dans les temps préhistoriques précise les intentions de l'auteur à transporter le lecteur dans un récit mythologique à la portée universelle : un père, un fils, la nature, chasse, armes, accouplement, accouchement, et une certaine sauvagerie liée à la survie, autant de pistes explorées dans le monde contemporain.

Un père, un fils donc, une mère et un grand-père aussi, autant de figures archétypales, sans prénom, qui renvoient à la précaire condition humaine celle d'hier comme celle d'aujourd'hui. le père ressurgit dans la vie de son ancienne compagne et de son fils après plusieurs années de mystérieuse disparition. Il les entraine aux Roches, la maison à moitié en ruine dans laquelle il a grandi avec son propre père, complètement isolée en moyenne montagne.

Jean-Baptiste del Amo instaure d'emblée une ambiance lourde, proche du roman noir voire du thriller tellement le poids menaçant du père et de ses réelles intentions sourd et tend le récit, d'autant plus que la narration à la troisième personne adopte le point de vue de l'enfant qui devra trouver sa voie pour survivre à cet inquiétant géniteur.

Le thème de la transmission de la violence des pères aux fils est profondément exploré, subtilement, et explose lors d'un incroyable monologue du père hanté par son enfance sacrifiée au contact d'un patriarche oscillant entre folie, souffrance et violence. A cette logorrhée quasi hallucinée, répond le silence du fils comme une façon de résister à la parole du père et à la violence héréditaire du monde des adultes. le fatum antique se met en branle avec une fatalisme à la Zola de laquelle il semble difficile d'échapper, le tout sous le regard d'une nature omniprésente apportant une dimension panthéiste au drame qui se joue et menace d'emporter les personnages dans un mouvement vertigineux à travers le temps et l'espace.

L'auteur est un styliste. Ses phrases richement travaillées réjouissent par leur vocabulaire opulent et précis, gorgé d'adjectifs. Elles tendent à une solennité minérale qui fait cependant un peu écran à l'émotion. Certains passages peuvent basculer dans un esthétisme verbeux, notamment lors des évocations de la nature ( presque trop redondantes à mon goût ). Par contre, j'ai été totalement séduite par sa façon d'appréhender les personnages, chaque scène construite comme des tableaux, à l'image de celui d'Andrew Wyeth ( le Monde de Christina ), évoquée superbement dans le roman. Jean-Baptiste del Amo évite judicieusement toute approche psychologique pour se concentrer sur les corps, zoomant sur les détails, les gestes, les lumières afin de suggérer l'intériorité des personnages.

« Le père s'adosse au plan de travail, porte le pilon à ses lèvres retroussées sur de petites dents irrégulières, grisées par le tabac, une incisive à l'angle intérieur cassé. Il détache des filaments de muscle d'un mouvement latéral de mâchoire. Ses doigts et la commissure de ses lèvres sont luisants de graisse, du jus a coulé sur la tranche de sa main gauche, son poignet et son avant-bras, sans qu'il s'en aperçoive ou s'en préoccupe. Il déglutit, s'applique à ronger l'os, à déchirer les tendons, dessouder les cartilages qui craquent sous la pression des molaires, mastique l'extrémité du petit tibia pour en extraire la moelle, inspecte ce qu'il reste du pilon entre la pulpe huileuse de ses doigts. Enfin, il se tourne vers le plan de travail et laisse tomber l'os dans le plat, près de la carcasse. »

Un roman noir dont la beauté pessimiste éclabousse chaque ligne.
Commenter  J’apprécie          1278



Ont apprécié cette critique (119)voir plus




{* *}