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Critique de afriqueah


Répare-t-on un être humain ? Répare t- on un enfant , surtout quand il n'a aucune trace de sévices? Répare-t-on le petit innocent blondinet qui acceuille le monde avec tendresse, celui de la couverture du livre ?
« Je n'ai pas été mordu. Je n'ai pas été brûlé ni coupé. C'est pire. Il ne reste rien » dit Grégoire Delacourt. Il va mal, il sent que l'enfant en lui a été tu, obligé de se taire, sa mémoire estropiée, que son ventre est rempli de pierres.
Alors, il essaie, il cherche, il se cherche, à travers les mots de romans un peu bof comme « la liste de mes envies »… mots qui vont le conduire à écrire « Mon père ».
Ce roman le laisse « en vrac , il m'a dénudé, » dit il, comme si le roman lui même était porteur d'un message , l'avait accouché en quelque sorte, l'avait sorti de sa tombe d'oubli, avait présenté à son auteur le petit père assommé par les non-dits, car indicibles .
« Mon père(le roman) n'est pas qu'un livre, mais l'histoire de ce qu'à jamais un livre peut changer à la nôtre. »
Un début.
Une interrogation.
Un bousculement sauvage.

C'est un chemin de croix d'une bouleversante vérité, et Delacourt dans le cours de « l'enfant réparé » nous fait revivre le long passage de déni, de recherche, de demande d'explications, de demande de pardon, de doute puisque même sa mère ne parle pas, ne veut pas risquer d'entrouvrir une porte et préfère l'éloigner du prédateur. Comme toujours, comme font toujours ceux qui ont souffert, il parle d'autre chose, ce qu'il a à dire est trop saignant et il ne peut se déballer aussi vite.
Il y a les mots (Lacan : l'inconscient est structuré comme un langage) ceux qu'il dit au psychanalyste, qui repère à travers les confidences en apparence anodines, le mot à relever, le lapsus révélateur :
« le père a tiré sa fille
Non, il a tiré sur sa fille.
Non, il a tiré sa fille. »
Le prêtre de son livre, c'est son père.
« Et moi je suis le père qui cherche à sauver son fils. Et le fils. »

En cherchant dans sa mémoire, dans les murs de son ancienne maison, il découvre sa mère, dont il n'a pas connu les baisers, qui l'a éloigné sans qu'il comprenne, pensant qu'elle ne l'aimait pas. Alors que c'est par amour qu'elle l'éloigne. Elle n'a pas pu parler, elle était terrifiée, et on l'aurait prise pour une folle menteuse. de plus elle a senti que le silence protégeait le petit, puisqu'il avait refoulé l'acte et ne s'en souvenait pas.
Silence plus silence, plus silence du père.
Il est rare qu'un livre reprenne le cheminement de la pensée aussi exactement et c'est pourquoi il m'a tellement touchée. Bouleversée. Enorme discrétion dans la découverte, après l'écriture de son livre « Mon père » de l'urgence qu'il avait à prendre conscience, discrète urgence : les mots lui sautent à gorge et éclairent son mal de vivre et sa difficulté à aimer. le forcent à creuser en lui. « Les silences dégueulent, je dois les contenir ; parfois retenir la colère. Tout remonte. Tout s'assemble. Mon histoire est banale, c'est ce qui la rend triste. »
Cependant, la manière de la dévoiler n'est pas du tout banale. Il a fallu à Grégoire Delacourt toute une vie d'écrivain pour finir par se faire boxer par les mots, et il rapporte ce combat contre le silence, peu à peu, de façon unique, émouvante, troublante par son rythme et par sa lente sortie de la dénégation.
Un grand livre.
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