Droits des femmes, tout peut disparaître

Les droits des femmes peuvent alors être pensés comme une question édulcorée, indépendante de toute autre question politique, et sans rapport avec d’autres inégalités sociales

jusqu'en 1944, elles n'avaient pas le droit de voter; jusqu'en 1965, elles n'avaient pas le droit d'ouvrir un compte bancaire et exercer un métier sans l'accord de leur époux; jusqu'en 1967, elles ne pouvaient disposer librement de leur corps en ayant recours à la contraception; jusqu'en 1970, les femmes mariées ne pouvaient disposer de leur salaire; jusqu'en 1975, l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) était interdite, limitant toujours les possibilités de contrôle des naissances par les femmes; jusqu'en 1980, le viol n'était pas considéré comme un crime et ce n'est qu'en 1990 que le viol entre époux fut reconnu dans le droit.

Les droits des femmes sont donc en péril, et ce livre cherchera à démontrer en quoi la conception dominante de ces droits constitue elle aussi un danger, un danger de l’intérieur

le passage de politiques redistributives – à travers l’allocation de politiques sociales aux politiques incitatives – à travers des politiques fiscales qui encouragent les acteurs privés à produire des formes de protections sociales

le choix est toujours contraint par un contexte social et historique qui limite le champ des possibles

le genre est producteur d’inégalités qui s’incarnent dans les corps, dans les visions du monde, dans les familles et les espaces publics

Faute de quoi, les "droits des femmes" continueront de nuire à tant de femmes: alors que les femmes des classes supérieures cherchent, parfois en vain, à atteindre les sommets des grandes entreprises, tout en conciliant leurs vies professionnelles et personnelles, d'autres femmes doivent s'acquitter des tâches domestiques et du soin des personnes vulnérables dans des conditions catastrophiques, en étant soumises à des cadences de travail infernales et à des horaires qui ne leur permettent que de s'adapter à leurs employeurs.

Promouvoir la lutte contre les violences d'un côté et risquer de saper les fondements des droits déjà acquis: ces deux logiques ne sont pas contradictoires. Au contraire, c'est même là l'un des fondements de ce féminisme néolibéral. Les pouvoirs publics doivent pouvoir mettre en scène leur volontarisme en termes d'égalité de genre sans que les modalités concrètes de l'intervention publique soient cohérentes avec les objectifs affichés.

une pétition signée par 314 enseignants et enseignantes du primaire, secondaire et supérieur a été publiée le 7 novembre 2017 pour affirmer qu'ils et elles n'enseigneraient plus que le masculin l'emporte. Le texte rappelle leur trois motifs de refus d'enseigner cette règle: le fait qu'elle est récente dans l'histoire, qu'elle repose sur une décision politique et non linguistique, et qu'elle rend légitime, dès le plus jeune âge, les stéréotypes de genre et les différences de traitement entre femmes et hommes.

De l'exemple de l'IVG surgit une limite à l'institutionnalisation des droits des femmes: leur cloisonnement par rapport à d'autres changements sociaux et politiques qui transforment l'État, social notamment. Comment en effet promouvoir les droits des femmes sans prendre en compte les changements dans l'État?