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Critique de oiseaulire


"Pauvre folle" et un roman à la fois très branché sur l'actualité sociale et extrêmement créatif.

J'ai toujours une grande défiance à l'égard des romans en prise très (trop) directe sur les problèmes contemporains (la disparition annoncée de l'espèce humaine, le mouvement LGBT et #metoo) : non que je les désapprouve, non que m'en désintéresse, au contraire, mais j'aime trouver dans une oeuvre littéraire un souffle qui m'étonne et me séduit par quelque chose de nouveau.

Aussi le début du roman m'a-t-il agacée : encore, me suis-je dit, la perpétuelle litanie sur la rudesse des rapports sociaux et la folie criminelle du patriarcat avec utilisation des termes à la mode (iels, toustes etc)

Encore une fois je n'y suis pas opposée, mais pourquoi alors ne pas écrire un essai ?

Chloé Delaume elle-même a donné la réponse dans l'émission le Book Club de France Culture : la création littéraire peut être "hors cadre", "hors étiquette", c'est ainsi qu'elle la conçoit : poésie, réflexions, fiction, part autobiographique, elle dispose de tout cela en un nouveau paysage qu'on peut appeler "roman".

Effectivement, pour la part imaginative, j'ai été vite emportée par la force de cet amour littéraire vécu par les deux protagonistes, narré tantôt comme un conte, tantôt comme un cauchemar, mais riche et généreux : j'ai vraiment eu l'impression en cours de lecture que ce roman était un don de l'auteure au lecteur.

La principale interrogation porte sur la nature de l'amour : la passion amoureuse est ce qui permet de vivre pleinement, même au prix de la souffrance (ils ne vont pas l'un sans l'autre). Au fond, l'amour, vécu par correspondance (ici par mails, "l'amour littéraire") est-il inférieur à l'amour réel ("l'amour évier") ? certainement pas pour ce qui est de l'intensité et de l'accès à la magie.

L'amour est ce qui nous permet de nous connaître et d'accéder au noyau incandescent de nos êtres par la dénonciation de nos petites astuces quotidiennes, vite dépassées par les évènements : l'amour est un potlatch qui nous donne accès au sublime de la vie. Il est rendu possible par la Rencontre (d'un miroir trop souvent, ô Narcisse) et emprunte des chemins assez connus : l'échange épistolaire, pour n'être pas le moins original, peut être l'un d'eux, pourquoi pas ? Comme un jeu sexuel inachevé, il maintient la flamme plus longtemps et la cristallisation s'éternise. C'est dangereux, mais de toute façon après l'amour, parfois, souvent (toujours ?), il y a la "descente", et c'est l'enfer.
Qui veut avoir vraiment vécu doit-il accepter de traverser l'enfer : on est tenté(e) de répondre oui. La preuve : qui n'a juré-craché "jamais plus" et ne s'est surpris à recommencer ?...

Je sors de cette lecture convaincue et enchantée (au premier sens du terme). Elle m'a, en outre, permis d'ouvrir quelques voies de réflexions (deux pour être précise), sur des sujets qui me tenaient à coeur et qui me menaient toujours dans la même impasse embroussaillée.

Je note aussi la langue de Chloé Delaume, et sa virtuosité imaginative créatrice d'images parfois loufoques, toujours bienvenues : les titres des chapitres eux-mêmes révèlent un humour omniprésent, même au coeur du drame, ainsi que des talents de parolière de chansons : n'oublions pas que dans la vraie vie Delaume est aussi performeuse, chanteuse et écrit ses textes. Elle a le feu sacré de la poésie.
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