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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"L'Art Brut est un apex, une vue algébrique de l'esprit, un pôle vers lequel on tend..."
(J. Dubuffet)

"Vincent... !", s'est fâchée un jour Mme Capt.
"Encore un mot sur l'Art Brut, et tu vas te coucher sans dîner ! Et si vraiment tu as besoin d'en parler, fais-le avec tes amis, mais épargne-moi tes spéculations !"
Et voilà comment a vu le jour ce livre : "L'Art Brut, Actualités et enjeux critiques", qui regroupe les observations de plusieurs spécialistes sur l'évolution de ce courant artistique.
Mais d'abord - l'Art Brut est-il vraiment un "courant artistique" ? Oui et non...

Le sujet m'intéresse, et avant de me lancer dans cette laborieuse lecture, je pensais en savoir l'essentiel. L'appellation nous vient de Jean Dubuffet, qui (en 1945) commence à s'intéresser à la production des autodidactes, des marginaux et des mentalement dérangés qui créent pour leur propre plaisir, souvent poussés par un certain "besoin". Création hors système officiel et académique, à partir du matériel récupéré ou peu coûteux.
Ce n'est pas de "l'art naïf" à l'inspiration folklorique, ni "l'art ethnique" qui est en quelque sorte l'art officiel de telle ou telle ethnie, mais une création spontanée, originale et absolument libre de toutes les contraintes imposées par le diktat de "l'art culturel".
Mais voilà..
Depuis 1945 l'Art Brut (qui existe depuis toujours et qui est jusque là passé inaperçu) a fait son bout de chemin, et le récent engouement qu'il provoque nécessite d'éclaircir et de justifier sa position dans le monde de l'art actuel, et notamment sur le marché (ne tournons pas autour du pot !)
L'introduction de V. Capt, exercice verbal de haute voltige, m'a fait, hélas, réévaluer mes connaissances on ne peut plus brutes sur le sujet, en me laissant seule avec Socrate et son "je sais que je ne sais rien".

L'esprit à l'état brut, j'ai donc abordé le premier chapitre, "Axiologie d'une artification", qui se pose la question essentielle : à quel moment une oeuvre "brute" devient-elle une oeuvre "d'art", exposable et vendable ? Est-ce vraiment de l'Art ? Oui et non...
Peut-on le sortir de son contexte "marginal", sans en altérer la nature ? Oui et non...
Un artiste "brut", désire t-il lui même être connu ? Oui et non...
L'Art Brut peut-il être confondu avec l'Art Contemporain ? Oui et non... etc., etc.
Voilà le problème actuel de l'Art Brut, qui, sorti des hôpitaux psychiatriques et des ateliers miteux des autodidactes est subitement devenu un "produit" difficilement qualifiable, car une fois officiellement présenté au public et soumis aux critères, il va perdre une partie de son essence et de sa "brutalité". On va créer de nouvelles appellations : "Outsider art", "Art singulier", pour le différencier des autres formes qui ne désignent, après tout, qu'une seule et même chose.

Le livre n'est pas inintéressant, mais il tergiverse beaucoup et les phrases sont souvent pleines d'un pompeux rien, car toutes ces questions sont loin d'avoir une réponse claire. L'Art Brut en train de s'officialiser est devenu un peu comme ce mythique serpent Ouroboros qui dévore sa propre queue.
Mais quelques articles restent intéressants (le cas de Gaston Chaissac et les portraits de quelques autres artistes, accompagnés d'illustrations sporadiques), et on peut comprendre la perplexité des galeristes et commissaires d'exposition face à cette production hors-normes.

D'ailleurs, ces expositions originales attirent toujours un nombreux public... Est-ce que cela veut dire que l'Art Brut actuel (y compris virtuel, désormais) est en train de s'"institutionnaliser" ? La réponse est encore oui et non; et même l'un des derniers chapitres, qui s'interroge s'il vaut mieux exposer ces oeuvres dans une salle entièrement noire ou entièrement blanche reste indécis.

Je remercie donc les éditions Antipodes de m'avoir adressé ce livre lors de la dernière masse critique, en me posant la dernière question : le livre m'a t-il vraiment apporté quelque chose de plus que l'addiction à l'aspirine et la tête remplie de questions ?
Oui et non. Donc 2,5/5.
Peut-être un conseil : si vous avez envie de créer, faites ! Même un autodidacte peut devenir un artiste honnête en pratiquant, mais pas un "artiste brut". Lui, il est né tel quel, avec son étrange génie. Mais peu importe, car vous serez toujours l'un ou l'autre, et c'est ça qui est bien !
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