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Citations sur Au-delà de l'irréparable (9)

Du haut de mes dix ans, j'attends ce moment depuis le début, afin que soient punis tous ceux qui le méritent, en qui nous avions confiance, qui nous ont volé notre enfance, même si, à dix ans, ce n'est pas ainsi que je l'exprime.
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À l'époque, nous demeurons à la Tour du Renard, à Outreau, un quartier où feigne la misère sociale. Le cinquième étage accueille notre semblant de famille. En effet, la vie en commun est habitée de violentes disputes conjugales, de fracas d'objets et de hurlements terrifiants. L'alcoolisme de mon père et ses coups rythment notre quotidien.

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours subi de la maltraitance de mes parents. Le plus souvent de la part de mon père. Mon carnet de santé prouve que j'ai été hospitalisé plus d'une dizaine de fois avant l'âge de deux ans, pour des maladies infantiles, certes, mais aussi des traumatismes, y compris crâniens.

Je n'ai jamais vu de marque d'affection entre mes parents ni reçu de geste de tendresse - en tout cas, ils ne m'ont pas marqué. L'amour m'est alors une chose inconnue. Pas d'étreinte après un cauchemar, pas une main sur une joue rosie par les coups et mes pleurs, ni un sourire tendre et rassurant avant d'aller me coucher. Je ne mène pas la vie d'un petit garçon de cinq ans.

Je me sens tellement seul, triste et abandonné par ce système censé me protéger. Ce qui ne tue pas rend plus fort, dit-on. Progressivement, je me forge l'idée que, de toute façon, il m'appartient de construire ma propre histoire.

Pourtant, ce que je redoutais arrive à grand pas : je prends de plus en plus goût à la rue. Je me contente du peu que j'ai. Ou que je n'ai pas. C'est dramatique, mais c'est ainsi.

Il faut réagir et ne pas se laisser aller. Sinon, l'habitude prend le dessus, et la volonté de s'en sortir disparaît.

Grâce à ce chemin de travers, j'ai beaucoup appris sur moi et fini par comprendre ce que quelqu'un m'a dit un jour : dans la vie, tout n'est qu'une question de choix. Garder ce statut d'éternelle victime ou m'envoler vers un avenir plus radieux, c'est à moi de choisir. N'est-ce pas extraordinaire de réaliser que l'on est, au moins en partie, maître de son destin ? Désormais, je sais, je sens qu'il est possible de se réparer au-delà de l'irréparable.
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Je me sens tellement seul, triste et abandonné par ce système censé me protéger.
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Il a d'ailleurs été écrit que ce procès devenait ingérable au fil du temps. Non, il a été parfaitement géré par ceux qui prirent le pouvoir, puisqu'on les laissa faire.
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A la barre !
La première fois où je pénètre dans la salle d'audience, je me souviens que cela me rappelle le théâtre où notre instituteur, M. Boulogne, nous avait emmenés assister à une pièce lorsque j'étais en CP. Mais c'est à un tout autre spectacle auquel je vais participer cette fois.
En attendant mon tour, j'assiste aux audiences lorsque je suis au tribunal, face à des avocats de la défense sans pitié pour chaque enfant qui passe avant moi. Parfois, ils se mettent presque à crier dans la salle y compris contre nous, c'est effrayant. Je m'en souviens encore, surtout d'Eric Dupont-Moretti. Aujourd'hui, je dirais qu'il ne faisait pas du théâtre, mais du cinéma. Sa stratégie, c'est la peur. Cela marche contre des adultes , alors contre nous... C'est terrorisant.
Quand j'y repense, le président du tribunal, M. Monier, paraissait dépassé par la situation. A plusieurs reprises, on nous fit sortir de la salle, en attendant que la situation se calme.
Ceux qui nous accompagnent tentent, tant bien que mal, de nous rassurer. D'autant plus que le procès dure deux mois, ce qui est bien long... Chaque heure paraît interminable.
J'appréhende d'aller à la barre avec tous ces gens que je ne connais pas et ces avocats méchants. Ce n'est pas la peur de répondre aux questions - j'ai toujours raconté de la même manière ce que j'ai vécu _, mais la situation m'impressionne.
Le moment fatidique arrive. Je ne sais pas quelle est la date, mais, selon les comptes-rendus, c'est le lendemain de mon anniversaire. Je me souviens m'être avancé à la barre, en tentant de cacher du mieux que je peux la peur qui me vrille le corps. D'ailleurs, pendant l'audition, je me retourne souvent pour voir si tout se passe bien derrière mon dos, car je ne me sens pas en sécurité.
Le président me demande de me présenter - "Jonathan Delay". Il m'interroge sur mon âge et l'école que je fréquente. Je réponds, puis il énonce les raisons de ma présence. Il me demande si je comprends. Je réponds : "Oui, parce que des personnes m'ont fait du mal." Il me montre une planche avec des photos. Je dois les reconnaître et les désigner dans la salle, derrière moi.
Ensuite, je suis lâché dans la fosse aux lions. Je me rappelle la façon dont les avocats de la défense s'acharnent sur moi, notamment Eric Dupont-Moretti, Franck Berton, Delarue père et fils, sans oublier Blandine Lejeune. Je ne sais plus si d'autres m'ont interrogé, mais ces cinq-là m'ont marqué. Ils m'attaquent tout le temps. Aujourd'hui, j'ai encore l'impression que rien ne pouvait les retenir. Voici un exemple de question : "Tu te souviens de la couleur du papier peint de la pièce où tu as été violé ?" Par qui c'était, oui, mais la couleur du mur, non. Eric Dupont-Moretti revient à la charge, en ajoutant "chaque détail a son importance." Bien sûr... Parce que si je ne m'en souviens pas quatre ans après, cela signifie que rien ne s'est produit ? Toute personne violée doit donc désormais prendre note de ce genre de "détail".
A plusieurs reprises, nous aurions aimé que nos avocats se lèvent pour demander au président de calmer la situation, mais ils n'en font rien et lui n'est pas plus actif. Tous paraissent absents et laissent le champ libre à la défense. En revanche, j'entends ma mère crier à plusieurs reprises qu'ils doivent faire attention à la façon dont ils nous parlent, que nous sommes des enfants.
Mon audition devient trop éprouvante, j'ai besoin de respirer et de reprendre mes esprits. Comme j'ai vu d'autres le faire avant moi, je demande une pause. Nous pouvons sortir pendant quinze minutes.
A la reprise, je continue de répondre aux questions. Plus elles défilent, plus la peur m'envahit. Ils sont toujours au minimum trois ou quatre à me poser des questions en même temps. Je me demande pourquoi cette méchanceté, comme si j'avais fait quelque choses de mal. Je finis par perdre le fil, je deviens fuyant, je réponds à côté. Leur méthode est redoutable. C'est pire qu'un interrogatoire avec un policier ou chez le juge. Je n'ai même pas le temps de répondre à une question qu'ils m'en posent une autre. Je suis complètement déstabilisé. Cela dure environ deux heures. Je me sens perdu à la fin.
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Progressivement, je me forge l'idée que, de toute façon, il m'appartient de construire ma propre histoire.
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Nous devenons coupables d'avoir dénoncé.
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Anniversaire à Saint-Omer
Mes dix ans, je les "fête" pendant le premier procès de l'affaire d'Outreau. Drôle de cadeau. Il s'ouvre à la cour d'assises de Saint-Omer le 4 mai 2004 et se termine le 2 juillet. Il vise à juger dix-sept personnes pour des faits de maltraitance, de corruption de mineurs, de viols sur enfants, de réalisation de prises de vues et vidéos à caractère pornographique en vue de revente, de proxénétisme et de mise à disposition tarifée d'enfants pour activités sexuelles et de meurtres de jeunes enfants.
Il marquera les esprits par la façon dont il a été géré et restera dans les annales de l'institution judiciaire française. Mon objectif n'est pas de le raconter en détail ni de faire le procès du procès, mais de livrer quelques séquences, dont certaines m'ont marqué.
C'est sans aucune préparation que je dois affronter cette épreuve. Tant de monde s'agite autour de nous que ma tête tourbillonne. Sont notamment présents mes frères, les référentes sociales, les assistantes maternelles, la directrice du Conseil général, nos avocats, des policiers... Heureusement, nous ne sommes pas présents tous les jours.
Selon le motif officiel du nombre élevé de mis en cause, nous, les enfants, sommes placés dans... le box des accusés. Je ne comprends toujours pas comment la Justice a pu prendre cette décision. Même nos avocats ne s'y sont pas opposés. Les enfants victimes dans le box des accusés, quel symbole ! C'est nous qui sommes exposés... Tout le monde le sait, la première chose à laquelle on porte attention en pénétrant dans une salle d'audience est cette "cage", ceux ayant vécu l'expérience vous le confirmeront. C'est une première erreur qui, malheureusement, ne jouera pas en notre faveur.
Les accusés, eux, sont dans la salle, accompagnés de leurs avocats. Ils semblent libres comme l'air et peuvent se promener au milieu des dizaines de journalistes venus couvrir l'événement.
Comment ne pas se sentir affreusement mal à l'aise face à cette situation ? Je ressens encore aujourd'hui cette impression d'être la bête de foire. L'attraction du jour que l'on paie pour venir voir.
Croiser le regard de ceux qui m'ont abusé me terrifie aussi. Même si je sais qu 'ici je ne risque rien, une angoisse incontrôlable me monte à la gorge à chaque instant. Je mettrai des années à m'en débarrasser.
Lors de mon audition par l'Inspection générale des services judiciaires de la Justice le 20 janvier 2006, déjà citée ci-dessus, Jean-Claude Monier, président de cette cour d'assises, soulignera un autre biais généré par cette disposition :
Selon M. Monier, une telle configuration des lieux a eu un effet négatif sur le procès, personne n'étant à sa place : les parties civiles étaient à la place des accusés et ces derniers se trouvant comme fondus dans le public. La symbolique était ainsi inversée voire totalement brouillée, puisque cela donnait l'impression d'une justice qui accuse la société. En outre, la disposition des lieux était déstabilisante pour les enfants. Lorsqu'un enfant présumé victime était invité à reconnaître l'un des accusés, il se tournait vers une salle de 200 personnes et pouvait chercher plusieurs minutes avant même de reconnaître ses parents.
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On nous impose de nous adapter à leur système, mais qui tente de nous comprendre? Ne serait-ce qu'au moins une fois? Pourtant, nous avons juste besoin d'une présence à des moments difficiles. Qui alors est là pour moi?
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