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Critique de soniamanaa


Je ne m'attarderai pas sur l'aspect littéraire de ce Naufrage qui, bien qu'écrit brillamment, use d'une prose qui ne me touche pas vraiment, trop emphatique, trop ambitieuse, usant de trop de didascalies, de trop de digressions, parenthèses, et d'une ponctuation qui m'a semblée hasardeuse.
Reste le propos, posé là sur ma table, comme un monstre avide, un gouffre abyssal par les questions qu'il me pose, claquant comme une gifle bien envoyée, rougeoyant comme une braise gourmande de brasier.
Au départ, un fait réel. Une nuit d'hiver sur la Manche, un canot de migrants a noyé ses 27 passagers après 14 appels au CROSS, centre militaire de secours en mer français. L'opératrice n'a rien fait, si ce n'est s'agacer au fil des appels en leur rappelant que les secours arrivaient. Secours qu'elle n'avait pas prévenus.
Trois parties distinctes découpent le roman. La première est un huis-clos entre une capitaine de gendarmerie et l'officier marinière soupçonnée de non-assistance à personnes en danger. Ce dialogue est ubuesque et glaçant, déroutant et mériterait plusieurs lectures. A l'incrédulité de la gendarme, la jeune militaire ne renvoie qu'un néant d'empathie. Non, elle n'a pas d'états d'âme ni d'avis sur ce que recouvre le Drame des migrants, cette Tragédie de l'exil qui nourrit inlassablement les grilles de nos médias. Elle n'est pas payée pour ça.
La première intention est de s'offusquer, de saborder cette nana insensible qui traite son job comme on vendrait des petits pois.
C'est vrai, c'est la première sensation qui m'est venue. En voix off, Vincent Delecroix nous fait écouter tout ce que pense cette jeune femme. Que si "Dieu s'amuse à créer des migrants a la chaîne poursuite les noyer comme des chatons", elle n'est pas responsable. Que des rafiots comme celui là, c'est quarante par nuit qui prennent la mer avec à leur bord toute la misère du monde et l'espoir d'un ailleurs plus miséricordieux, et que tout ça, c'est beaucoup trop lourd pour flotter.
Insensiblement, on commence à se sentir mal, à reconnaître que ce Drame, cette Tragédie, nous aussi, nous la visionnons avec une certaine insouciance depuis nos canapés ou entre potage et fromage. On commence à réaliser que ces morts par milliers tout le temps et partout sont peut-être bien le tribut à payer pour que tourne la grande roue du monde sans trop de grippages.
Oui, de moins en moins insensiblement, on réalise qu'on fait partie de la grande farce, de cette humanité déguisée, toute occupée à faire en sorte que le décor ne change pas trop.
Le second acte du roman relate le naufrage. La peur, le froid, les cris, l'eau glacée qui s'immisce, les suppliques, l'abandon, et puis les abysses...
En dernière partie, un monologue de l'officier marinière, comme une excuse de trop. La vie difficile, le père de sa fille partie, cette mer qu'elle hait de toute son âme et qui lui renvoie sans fin les gémissements de ces hordes de noyés sans bonne conscience ni saine compassion.
Alors, on se sent minable d'entretenir peu ou prou le système. Et tiens, pour un peu, on adopterait bien un chaton...
Une lecture âpre et violente qui convie le lecteur à la barre d'un tribunal peu ordinaire où l'accusé n'est autre que ce que nous appelons avec familiarité notre Humanité.
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