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EAN : 9782073032065
144 pages
Gallimard (17/08/2023)
3.41/5   69 notes
Résumé :
« On aurait voulu que je dise, je le sais bien, on aurait voulu que je dise : Tu ne mourras pas, je te sauverai. Et ce n’était pas parce que je l’aurais sauvé en effet, pas parce que j’aurais fait mon métier et que j’aurais fait ce qu’il fallait : envoyer les secours. Pas parce que j’aurais fait ce qu’on doit faire. On aurait voulu que je le dise, au moins le dire, seulement le dire.
Mais moi j’ai dit : Tu ne seras pas sauvé. »

En novembre 2021... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Alléchée par le retour de deux de mes babelamies, j'ai lu Naufrage.
Je ressors de ma lecture un peu mitigée.
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L'auteur annonce la couleur en préambule. "Ce roman est inspiré d'une histoire réelle dont la presse s'est fait l'écho. À l'exception des éléments connus et publics de ce fait divers, le texte qui suit est une oeuvre de pure fiction."
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Le fait divers en question, c'est le naufrage d'un bateau de migrants dans la Manche, lequel a causé la mort de vingt-sept personnes en novembre 2021.
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Alors vous je ne sais pas, mais hormis le naufrage par lui-même dont j'étais informée, depuis quasiment deux ans, je ne savais rien de plus.
En même temps, je n'avais pas cherché.
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Depuis que j'ai commencé le roman, bien évidemment, j'ai regardé la presse.
On parle d'enquête interne et de sanctions éventuelles, aujourd'hui on parle aussi d'investigation pour violation de l'instruction qui a été ouverte pour de potentielles fuites venant de la hiérarchie militaire.
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Bref, tout le monde ici a Internet, nul besoin de faire une revue de presse. En tout cas, l'affaire est encore en cours.
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L'auteur nous harponne bien dès le départ avec un interrogatoire fictif de l'opératrice dans les locaux de la gendarmerie maritime, interrogatoire mené par une femme à laquelle elle s'identifie, du moins physiquement.
Les deux femmes écoutent l'enregistrement des 14 appels du jeune Kurde qui demande de l'aide car le canot pneumatique coule, pimentés par les réponses de l'opératrice.
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Quelle est la part de fiction et quelle est la part de réalité ?
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En tout cas, elle prend cher la petite dame fictive qui a promis des secours qu'elle n'a jamais envoyés. Je vous laisse découvrir le reste, personnellement j'étais atterrée.
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La seconde partie concerne les hommes présents sur l'embarcation (fictifs aussi, mais qui sont morts quand même pour de vrai), jusqu'au naufrage.
Ça sonnait bien réel pour moi, cette partie fictive.
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Dans la dernière partie, on est dans la tête de l'opératrice. J'ai eu du mal à situer l'époque exacte, mais vous verrez bien.
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Pourquoi suis-je mitigée ?
Ceux qui me connaissent savent que je déteste quand L Histoire est romancée, parce que j'ai beaucoup de mal à faire la part des choses, surtout quand j'en ignore quasiment tout.
Ensuite, il faut que je creuse.
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Mais en attendant, on peut difficilement adhérer au comportement fictif de l'opératrice fictive, tout comme à celui de son collègue fictif, qui bouquinait en sortant des blagues d'un goût douteux.
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Maintenant je sais aussi que si je suis sur un bateau et que je vois quelqu'un se noyer dans des eaux étrangères, il vaut mieux que je m'abstienne de le secourir.
Là j'ai pas compris mais bon que vaut la vie d'un homme à côté des lois territoriales.
De toute façon je me connais, je ne verrai probablement pas la pancarte en pleine mer me disant qu'il y a une frontière à tel ou tel endroit.
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Mais je digresse, l'essentiel c'est que les sauveteurs et garde-côtes etc., eux, sachent bien qui a le droit de faire quoi.
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Bon, je n'aurais jamais cru que je réussirais à sortir quelque chose de mon demi-neurone pour vous parler de ce roman.
Des copines m'ont dit d'écrire ce qui me passait par la tête, voilà qui est fait.
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S'il n'y avait pas ce côté réalité / fiction qui me chiffonne à cause de mon manque d'informations, j'aurais vraiment beaucoup aimé ce livre.
En étant honnête, je dois même avouer que je l'ai beaucoup aimé, en fait. Je me suis posé des questions, j'ai tremblé avec les pauvres naufragés, mon coeur s'est serré avec eux et pour eux.
Ceux-là et tous les autres...
À part ça, je me sens impuissante.. comme tout le monde.
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C'est un très bon roman, n'hésitez pas à le lire.
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Je finirai mon billet sur un extrait des paroles de la chanson de Zazie, J'étais là...

"Et j'ai levé mon verre à ceux qui n'ont plus rien
Encore un verre, on n'y peut rien

J'étais là devant ma télé à 20 heures
J'ai vu un monde s'agiter
S'agiter
J'étais là juste au retour de la Somalie, du Bangladesh et du Rwanda
J'étais là
J'ai bien vu le sort que le Nord réserve au Sud, bien compris le mépris
.
J'étais là pour compter les morts
J'étais là et je n'ai rien fait
Et je n'ai rien fait
.
J'étais là pourtant, j'étais là
Et je n'ai rien fait
Je n'ai rien fait"
.
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Dans la nuit du 24 novembre 2021, une embarcation sombre à mi-parcours de sa traversée de la Manche, entraînant dans la mort 27 des 29 migrants à son bord. Ils ont pourtant appelé à l'aide durant plusieurs heures, donnant chaque fois leur position. Mais l'opératrice du CROSS (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) du Pas-de-Calais n'a jamais envoyé de secours. Sur les enregistrements de ses échanges avec l'un des naufragés, on peut l'entendre le renvoyer vers les autorités britanniques, avant de finir par lui asséner, agacée par l'insistance de ses appels désespérés : « Bah t'entends pas, tu ne seras pas sauvé. »


Ce fait réel a inspiré à Vincent Delecroix un récit purement fictionnel, construit autour de cette femme telle qu'il l'a imaginée à partir de ce que la presse en a dit. Interrogée par une capitaine de gendarmerie, curieusement si semblable à elle-même qu'elle lui paraît comme une sorte de double de l'autre côté du miroir, l'opératrice devenue narratrice reste sûre d'elle, expliquant sa froideur et son absence d'empathie sans doute ni remords apparents. Dans son métier, explique-t-elle, « les états d'âme ça empêche d'agir, de prendre des décisions, d'être efficace ». Et tandis que le regard et le jugement de son interlocutrice lui renvoient l'image de plus en plus accusatrice d'un monstre d'inhumanité, elle se défend en refusant de faire figure de bouc émissaire, tout au bout de la longue chaîne de notre indifférence : « Alors donc il fallait en revenir à moi, en disant que la cause de leur mort, c'était moi. Autrement dit pas la mer, pas la politique migratoire, pas la mafia des passeurs, pas la guerre en Syrie ou la famine au Soudan – moi. »


« Ça arrangerait bien tout le monde, mais il ne faut pas croire : non, je ne suis pas seule, sur le rivage, je ne suis pas la seule à regarder de loin et à l'abri le spectacle interminable, nuit après nuit, des naufrages. (…) Pendant que je me tiens là, sur la terre ferme, il y a tous les autres aussi, derrière moi, et ça fait du monde, des milliers, des millions de personnes. Tout le monde est là, le monde entier en vérité : le monde entier derrière moi, sur le rivage. (…) Vous êtes tous là. »


Implacable et dérangeant, appelant autant à l'émotion qu'à la réflexion, le roman procède à la manière d'une onde de choc. Choc lorsque le récit nous place à bord du canot, dans l'épouvante d'une nuit de mort, alors qu'agrippé à un mince et indifférent filet de voix, l'espoir s'amenuise désespérément. Choc lorsque l'indifférence lointaine de l'opératrice scelle le drame. Choc enfin de nous voir rappelés à nos responsabilités par cette femme en vérité ni pire ni meilleure que la plupart d'entre nous : « le type qui dort dans un carton au pied de ton immeuble, connard, tu ne le vois pas non plus ? Pourtant il rame pareil sur le bitume et coule pareil. Il n'est pas à des dizaines de kilomètres en pleine mer, pourtant, et en pleine nuit, celui-là. Et il est assez facile à géolocaliser : il est au bout de ta chaussure. Alors tu lui envoies les secours ou c'est encore à moi de le faire ? »


Miroir de nos indifférences face aux naufragés de la société, un livre qui, pour le coup, ne devrait laisser personne de marbre.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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* Critique chiante et larmoyante *

--> Comme ça vous êtes prévenus tout de suite, ca ne va pas rigoler sur la critique à Zeitnot.

le Naufrage, c'est le naufrage d'un bateau de migrants le 24 novembre 2021 au large de Calais. 27 morts 2 rescapés. Ce n'est pas de la fiction, c'est la réalité. C'est un fait divers, comme on en lit souvent, d'ailleurs plus en Méditerranée du côté de Lampedusa que du côté de Wimereux.
Ces migrants ont appelé à l'aide plusieurs fois. Les secours français ont attendu qu'ils passent dans les eaux anglaises et n'ont envoyé aucun bateau. Sont morts 20 hommes, 6 femmes, une fillette.

Vincent Delecroix dans Naufrage nous met d'abord dans la peau du monstre ordinaire. Dans la peau de cette femme qui a dit "Tu ne seras pas sauvé", lors de son interrogatoire par la gendarmerie, avec un récit en "je" qui fait froid dans le dos.
" Je ne t'ai pas demandé de partir. C'est toi qui l'a voulu. Si tu ne veux pas te mouiller, il ne fallait pas embarquer mon coco".
Elle, c'est l'opératrice du CROSS à Calais, celle qui aurait pu envoyer les secours et qui n'a rien fait. Est-elle responsable de ce désastre ?
Ce canot de migrants, ce n'est pas un canot d'aventuriers qui un jour décident de partir à l'aventure selon un moyen de fortune. Ce sont des dizaines de canots qui partent comme ça pratiquement tous les jours pour emmener hommes, femmes, enfants vers un avenir qu'ils croient meilleur.
Notre opératrice du CROSS, celle qui n'a pas sauvé, combien en a-t-elle sauvé avant ?
L'habitude, la répétition fait baisser l'urgence. Là où l'on voit des humains lors des premiers sauvetages, à la fin il ne reste que des numéros... Encore eux, sur leurs bateaux à la con. A peine sauvés, déjà rembarqués sur d'autres bateaux de la mort.
Avez-vous vu, il y a quelques semaines, en Méditerranée. Plus de 5000 migrants sont arrivés sur l'ile de Lampedusa en 1 jour. Ils n'y sont pas arrivés via Costa Croisière ! 5000 arrivés, et combien de perdus ?
Est-ce vraiment la faute d'une opératrice du CROSS si les 27 sont morts, ou aurait-il été possible d'arrêter ce massacre à la base ?
Que font nos gouvernements ? Pas grand chose. Chez moi en Belgique, La secrétaire d'Etat à la Migration a décidé que les hommes de plus de 18 ans dormiraient dehors en hiver pour laisser la place dans les centres d'asile aux femmes et aux enfants. J'ai un gamin de 20 ans et un de 17, je ne peux pas les imaginer dormir dehors dans les rues de Bruxelles par -10. Les autres politiciens ont eu à coeur de montrer du doigt la secrétaire d'Etat... nous sommes bientôt en période électorale. Mais sinon, rien. Pourtant entre les bureaux inoccupés, les logements inoccupés et les hôtels pas remplis, il y a de quoi faire. Comme d'habitude, on va attendre qu'il y ait des morts de froid avant d'agir.

Deuxième partie de l'histoire, nous sommes dans la peau des migrants. Dans la peau de celui qui appelle l'opératrice, de celui qui voit le désastre et la mort de ses compagnons d'infortune. de ces 29 personnes montées à bord d'un bateau donné par un passeur. Passeur qui empoche le peu d'argent qu'ont ces malheureux pour les faire monter à bord d'embarcations en sachant très bien qu'un seul sur 5 atteindra les côtes. Là où il y a de la demande, il y a l'offre. L'Angleterre, l'El Dorado, si proche et si loin à la fois.

Naufrage, c'est se poser sur les dysfonctionnements de notre monde. C'est s'interroger sur la responsabilité collective qui sous-tend derrière la responsabilité individuelle.
Naufrage, c'est une bouteille à la mer pour décider ceux qui peuvent agir. Pour rendre leur humanité aux invisibles.


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Pour moi premier livre ouvert de la rentrée littéraire 2023, "Naufrage" est un roman de Vincent Delecroix, une oeuvre de fiction qui pourtant est inspirée d'un fait réel tragique.
Paru à la mythique collection "Nrf" de chez Gallimard, ce récit est un huis clos.
A la gendarmerie maritime de Cherbourg, deux femmes se font face.
L'une est capitaine de gendarmerie.
Elle enquête sur le naufrage d'un bateau de migrants qui a sombré dans la Manche, noyant vingt-sept personnes malgré de nombreux appels à l'aide envoyés au centre de surveillance du Cross.
L'autre est l'opératrice qui était de quart au sémaphore cette nuit-là, une jeune officier-marinière de la Marine.
Elle est venue de Boulogne, de son plein gré, afin de répondre aux questions que n'a pas manqué de susciter l'enregistrement des appels téléphoniques de cette nuit-là.
Mais est-ce vraiment une défaillance qui a englouti vingt-sept personnes dans les eaux sombres de la Manche ?
Défaillance ou plutôt erreur d'appréciation, incompétence ou mauvaise volonté ?
Ce récit est composé de trois parties.
A mon sens, il aurait dû n'en comporter que deux.
La lecture de la troisième n'ayant fait que gâcher un peu le ressenti que m'a laissé derrière elle la dernière page tournée.
Ce récit est tendu comme un index pointé vers une coupable présumée.
Mais coupable de quoi ?
De mensonges, d'inertie, d'inhumanité ou de mauvaise appréciation de la situation ...
La gendarme accuse.
La sémaphoriste se défend.
L'écrivain raconte et philosophe.
Il est ici question de culpabilité, personnelle ou collective, de drames humains sans cesse répétés.
Le récit ne s'embarrasse d'aucun préambule long et ennuyeux.
Tout de suite, il s'empare de la lecture pour la mener sur un long et sinueux chemin pavé de questions, de justifications et de réflexions.
Le livre repose sur de vrais ambiguïtés à l'image de cette jeune femme qui hait la mer, et qui pourtant s'est engagée dans la Marine Nationale.
Le livre, à certains courts moments se saoule de paroles et d'expressions, en rajoute un peu dans les imaginations.
La troisième partie, la plus courte heureusement, étant le point d'orgue de ces vaines exagérations, de ces enthousiasmes d'écrivains sans souffle aucun.
Il n'en reste pas moins que ce livre traîne derrière lui les relents du malaise, les points d'interrogation du questionnement et la stupeur provoqués par l'envers du décor de la tragédie.
Le drame devient ici presque tangible, étant pourtant repoussé vers l'ordinaire et l'habituel de ce métier qui engage ceux qui le pratiquent.
Au final, c'est un bon livre avec pourtant une impression de lecture mitigée qui ouvre pour moi la rentrée littéraire 2023 au sortir de vacances pleines de soleil, de mer et de bons vieux bouquins sortis de sous la serviette de plage ... privilège embarrassé et peut-être coupable de la géographie ...



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« Naufrage » est le récit d'un effondrement généralisé de notre société où les sentiments d'empathie et de compassion s'effacent petit à petit quant aux flots de l'immigration.

Basé sur un « fait divers » réel, Vincent Delecroix en tire un roman très actuel et très juste. La nuit du 23 au 24 novembre 2021, 33 migrants de différentes nationalités (essentiellement des Kurdes irakiens) prennent place sur un bateau pneumatique (« small-boat ») depuis Loon-Plage en vue de rejoindre le Royaume-Uni. L'embarcation surchargée tombe en panne, se dégonfle et prend l'eau. Alors que plusieurs appels de détresse sont adressés aux secours français, les personnes sont abandonnées en pleine mer dans l'attente qu'elles rejoignent les eaux anglaises…

De ces 33 personnes, seulement deux ont survécus. Âgés de 7 à 46 ans, dont 6 femmes et 1 fillettes, c'est 27 corps (et 4 disparus) qui sont repêchés le lendemain. Ils n'espéraient pourtant que vivre en paix et se construire un avenir décent. Cela a été la plus dramatique tragédie connue sur les côtes de la Manche.

Dès 1h30 du matin, 18 appels furent passés aux secours et 6 fois leur géolocalisation envoyée. Les échanges téléphoniques entre les naufragés et le CROSS (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage) de Gris-Nez ont été enregistrés et la froideur de l'opératrice est stupéfiante et glaçante!

L'auteur part de ces événements et en tire un huit-clos oppression sur la base d'un monologue : celui de l'audition de l'opératrice face à la gendarmerie (ou finalement, face à sa conscience aussi).

Écrit d'une plume acérée, ce récit ne peut laisser personne indifférent. A la fois nécessaire mais aussi dérangeant, il ébranlera la conscience de ses lecteurs. Indéniablement, ce livre pousse à la réflexion quant à la responsabilité collective qui sous-entend la responsabilité individuelle.

La seconde partie est particulièrement poignante, où l'auteur décrit le naufrage en lui-même, en compagnie de ces migrants, sans pathos mais de façon distancée où le lecteur restera en apnée durant ces quelques pages.

Par ces quelques morts, Vincent Delecroix rend hommage à ces oubliés de la mer, à ces invisibles.

Merci!
Lien : https://www.musemaniasbooks...
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critiques presse (3)
LaCroix
28 septembre 2023
En reprenant une histoire vraie, Vincent Delecroix place le lecteur face à la violence implacable des naufrages de migrants. D’une plume acérée, il raconte un accident de conscience.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Culturebox
25 septembre 2023
Des pages frappantes qui tranchent avec l'apparente distance de cette opératrice. Vincent Delecroix nous propose un roman qui ne peut évidemment pas laisser indifférent dans le contexte actuel.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LesEchos
05 septembre 2023
Un roman nécessaire et dérangeant.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
J’ai offert ce livre à un ami habitant près de Boulogne sur mer. Voici ce qu’il m’écrit hier soir : « Salut,
Je pense que tu es le seul auquel je peux écrire ce message. Ce matin, c'était un naufrage, c'était le livre mais dans la vie, la vraie avec des migrants qui sortent par dizaines des bois, qui traînent la savate sur les trottoirs gelés d'Hardelot, parce qu'il a fait moins 5 cette nuit, que tout est blanc et qu'ils ont froid. Et puis il y a une femme enceinte et un enfant de deux ans, on est dans la salle de la mairie au chaud pour récolter des dons pour aider les enfants. Ils sont tous dehors à nous regarder... ils sont une vingtaine, ils ont froid. On étouffe la dedans, on étouffe alors on sort et avec mon copain pompier, on achète tout ce qui nous tombe sous la main, du pain, des biscuits, des boissons. Et la maman, elle a le gilet de sauvetage sous le manteau et ça sent le naufrage, alors on discute, ils sont venue d'Erythrée. Je regarde la mère, l'enfant, la femme enceinte et je les imagine sur le bateau dans le froid au milieu de l'eau. On décide de les emmener à la gare de Boulogne, pour le train, pour l'Angleterre et elles acceptent, elles montent dans la voiture, dans la mini pendant que le copain fait diversion en emmenant les autres, et me voilà sur la route, à éviter les flics, à prendre les petits chemins de campagne... et on arrive à la gare, la voiture surchauffée, des sourires, des remerciements et un gilet de sauvetage oublié dans le coffre qui me hante, qui me hante ce soir et probablement cette nuit. C'est terrifiant le livre, la réalité, le petit de deux ans et leur détresse. Ça fait chier toute cette misère et pas foutu de faire mieux que le taxi en petochant de trouille de me faire arrêter. Peut-être qu'ils sont dans le train... »
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Il n’y a pas de naufrage sans spectateurs. Même quand il n’y a personne, quand c’est au milieu de la mer et de la nuit sans témoin, même quand à des milliers de milles nautiques on ne voit pas âme qui vive et qu’il n’y a que des vagues et cette bouillie de nuit qui recouvre tout et engloutit tout, quand il n’y a pas plus d’yeux pour voir ça que de bras pour se tendre, il y a tout de même des spectateurs et le rivage, d’où on regarde ça, n’est jamais très loin, même si la distance est, en même temps, infinie. Même quand on ferme les yeux, on regarde et je n’en connais pas un seul qui pourrait dire Je n’étais pas là. Sans bouger de chez eux, tous au spectacle et le spectacle est permanent, il a lieu tous les jours, toutes les nuits, il continue pendant les jours de fête et même quand on fait autre chose on est tout de même spectateur du naufrage.
Des spectateurs aveugles et un spectacle pour aveugles. Ils regardent, ils ne voient rien, et d’ailleurs ils ne peuvent rien voir, vu que la scène est toute noire et qu’à cette distance, quand on est dans son canapé ou devant sa télé, on ne peut rien discerner. Ils ne voient rien mais ils sont quand même au spectacle. Il n’y a que moi qui ai les jumelles de théâtre et qui vois, mais pas un dans le public pour me les demander et me les emprunter, et moins encore pour monter sur la scène obscure, pas un qui fait mine de se lever pour mettre les pieds dans l’eau.
Il n’y a que moi qui vois et qui entends et qui réponds. Et l’aveugle qui maintenant crache sur moi en terminant son copieux déjeuner avec ses collègues avant de retourner dans son petit bureau, je lui demande : Le type qui dort dans un carton au pied de ton immeuble, connard, tu ne le vois pas non plus ? Pourtant il rame pareil sur le bitume et coule pareil. Il n’est pas à des dizaines de kilomètres en pleine mer, pourtant, et en pleine nuit, celui-là. Et il est assez facile à géolocaliser : il est au bout de ta chaussure. Alors tu lui envoies les secours ou c’est encore à moi de le faire ?
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Alors je devais comprendre qu’entre mal faire et faire le mal la distance apparemment n’était pas si grande, comme aussi il n’y avait qu’un pas entre la mauvaise volonté et la volonté mauvaise. Et du coup ce n’était même plus une erreur de jugement, quelle que soit la nature de ce jugement, une mauvaise estimation de la situation, dont il était question, et la défaillance, elle n’était pas à chercher dans les services du CROSS mais en moi. Mais pas non plus, en moi, dans mes capacités à évaluer la situation et à prendre les bonnes décisions : dans mon âme pour ainsi dire, si quelque chose de ce genre existe. En sorte que la défaillance n’était peut-être pas ponctuelle non plus et qu’elle s’étendait au-delà des circonstances de cette nuit-là, ce n’était pas seulement comme si j’avais raté une marche cette nuit-là, que j’étais partie dans le décor pour quelques heures, oubliant quelque chose que tout le monde savait ou égarant temporairement quelque chose que tout le monde possédait, la conscience morale ou l’humanité, mais plutôt la révélation funeste d’une défaillance ou d’une anomalie bien plus durablement présente en moi. Un monstre, voilà sur quoi en définitive il s’agissait de faire la lumière.
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Depuis combien de temps j’avais cette pensée-là, cette conviction qui n’avait pas même la force d’une conviction véritable, je n’aurais pas pu le dire exactement, mais ce n’était pas Julien qui m’avait fourré ça dans la tête, ni lui ni personne d’autre. Pas lui en tout cas qui m’a appris ce que je sais, à savoir qu’il faut que l’un se noie pour qu’un autre puisse respirer à son aise et que l’air qu’on inspire c’est le souffle de celui qui expire, que l’un soit chassé pour qu’un autre s’installe, et qu’il n’y a pas une seule place qu’on occupe qui ne soit volée à un autre, qu’on a foutu à la mer.
(On me reproche de ne pas réussir à me mettre à leur place, ai-je encore songé. Mais la vérité est que c’est exactement le contraire : je suis à leur place parce que c’est leur place que j’occupe et eux, ceux qui se noient, ils sont à la mienne et ils coulent pour que je reste à la surface et je peux rester sur la terre ferme tant qu’ils sont dans l’eau).
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Qui se trouve sur le rivage ? Qui regarde le naufrage, depuis la terre ferme ? Est-ce que vraiment, il n’y a que moi, moi toute seule ? Ça arrangerait bien tout le monde, mais il ne faut pas croire : non, je ne suis pas seule, sur le rivage, je ne suis pas la seule à regarder de loin et à l’abri le spectacle interminable, nuit après nuit, des naufrages. (…)
Pendant que je me tiens là, sur la terre ferme, il y a tous les autres aussi, derrière moi, et ça fait du monde, des milliers, des millions de personnes. Tout le monde est là, le monde entier en vérité : le monde entier derrière moi, sur le rivage. (…)
Vous êtes tous là. Si je me retournais, je vous verrais tous, installés dans vos canapés sur le sable, dans vos chaises longues, dans vos bureaux, regardant sans regarder pendant que je tiens la vigie comme une conne, et après, une fois le spectacle terminé, fustigeant C’est scandaleux, C’est révoltant. Pourtant cette nuit je n’en ai pas vu un seul se jeter à l’eau pour venir en aide, pas un qui se soit proposé de regonfler le canot pneumatique avec ses petits poumons. Mais quand il s’agit de vociférer et de traiter les autres de monstres, là, tout le monde a du souffle.
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Vidéo de Vincent Delecroix
CONVERSATION Présentée par Raphael Zagury-Orly Avec Vincent Delecroix, philosophe Camille Riquier, philosophe Corine Pelluchon, philosophe
Ce n'est jamais l'espoir qui fait vivre: ce sont les aléas de la vie qui donnent à l'espoir ses ailes ou, au contraire, les lui coupent. On le sait bien d'ailleurs: l'espoir, on le «nourrit», on le «caresse», on le «fait naître», on le «soulève», on le «suscite» - comme si, en lui-même, il n'était qu'immobile attente, tantôt confiante, tantôt naïve, de l'avènement d'un Bien, d'un événement favorable, gratifiant, bénéfique. D'ailleurs, une langue telle que l'espagnol, n'a qu'un seul verbe pour dire attendre et espérer. Aussi une vie qui ne se s'alimenterait que d'espoirs serait-elle aussi anémique qu'un amour qui ne vivrait que d'eau fraîche - car bien tenue est la limite qui les sépare des illusions, des douces tromperies (ameni inganni) dont parlait Leopardi. Certes, dans l'Ancien Testament, Dieu lui-même est nommé Espoir ou Confiance, les Pères de l'Eglise en ont fait une vertu théologale, et du «principe espérance» de Ernst Bloch la philosophie contemporaine s'est nourrie. Mais lorsqu'on dit que l'espoir fait vivre - ou que l'espoir est toujours le dernier à mourir - il faudrait entendre que pour faire vivre l'espoir, il faut d'abord commencer soi-même, autrement dit «faire le premier pas» de l'action, le mettre en mouvement en faisant «un pas en avant», en s'engageant, en allant si l'on veut vers Dieu, par la foi, en allant vers l'autre, par l'amour et l'amitié, en allant vers autrui, par la bienveillance, l'hospitalité, la solidarité.
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